Page images
PDF
EPUB

les lignes, une tout autre lettre, à l'encre sympathique. Nous donnons les deux versions, la lettre apparente en romaine, la lettre secrète en italique.

Lettre à l'encre ordinaire

Ce jourd'hui à Strasbourg l'an 2' de la République française 23 avril 193.

Notre commerce depuis quelque temps, ma chère Seurette, a été interrompu, mais ce n'est pas ma faute. Je vous ai écrit, ainsi que ma petite sœur, assez souvent, les maîtres de poste ont assurément, et très-mal à propos, intercepté nos correspondances, j'aime à le croire. Il serait trop cruel pour moi si tu nous avais oublié, mais je te fais tort, tu penseras toujours à ton cher Vilhem Schoffer. Je m'attends done que cette lettre sera plus heureuse, et n'en déplaise à messieurs les maîtres de poste, commissaires, etc. Je : uis aussi bon patriote qu'eux, je m'en flatte : au reste, je ne leur en veux pas de mal, ils le font pour la sûreté républicaine, et il serait fort mal à un zélé citoyen de le trouver mauvais ; mais, messieurs, laissez passer celle-ci, elle est pour ma chère Seurette, elle pense aussi bien que moi, quoi qu'on en dise. Hâtez-vous, ma chère, de me répondre, ne me laissez pas plus longtemps languir, croyez-vous que l'absence ne soit pas assez cruelle, sans y ajouter encore les rigueurs d'un silence obstiné. Ecoutez la menace, si vous ne m'écrivez pas. Je vous prendrai pour une mauvaise patriote et je me brouillerai.

Le bonne Jeanneton, que fait-elle, et l'ami Charlot et la grande Guérite? Embrassez-les tendrement pour moi et notre maman. Servez-vous, ma chère, de charbon broyé, cela conserve parfaitement les dents, vous m'entendez, vous savez que j'aime beaucoup les belles dents; broyezen pour moi aussi. Adieu, je t'embrasse et suis pour la vie ton ami

Vilhem SCHOFFER.

L'adresse porte la suscription suivante et le timbre de Strasbourg: A la citoyenne Collesson l'ainée chez la citoyenne sa mère à Saint-Diez, Département des Vosges ».

Lettre à l'encre sympathique

Quel serait mon malheur, ma chère Seurette, si cette lettre n'était pas plus heureuse que les premières, car je me suis (servi), depuis que je suis ici, de tous les moyens imaginables pour vous les faire parvenir. Je m'étonnais de ne savoir aucune réponse, surtout d'après les lettres que j'avais écrites, lorsque j'ai rencontré ici, par hasard, M. l'abbé de Senones, qui m'a dit que vous n'aviez reçu aucune lettre. Enfin c'est très malheureux sans doute que vous ne les ayiez pas eues,puisque je suis à la veille de manquer de tout, et, par surcroit, mon frère malade, et pas un sol.

Je partis, l'on croyait que ce serait pour peu de temps ; mais comme nous avons été trompés, trop heureux si dans quatre mois je puis vous embrasser. Je suis arrivé ; l'armée de M. le prince de Condé était partie; de sorte que nous fumes obligés de rester ici. Nous écrirons aussitôt pour avoir quelque secours, et en attendant une réponse depuis trois mois, avons mangé le peu que nous avions. Aujourd'hui, dans le moment que l'on s'y attendait le moins, cette armée est conservée, et il ne nous reste pas un sol, tellement que nous ne pouvons payer la pension de ce· mois-ci. Nous sommes enfin, ma chère. aux abois et si l'on ne nous envoie aussitôt un secours, nous serons dans la dernière extrémité. Nous demandons pour nous deux vingtcing louis. C'est beaucoup, mais cela est nécessaiee tant pour nous habiller en uniforme que pour payer ici la pension. Il est nécessaire de s'acheter un uniforme; l'on ne serait point reçu sans cela, les princes n'ayant pas, comme l'an dernier, de l'argent. Songez que cet état est celui que

nous embrassons et ce sera probablement la dernière dépense que nous coûterons.

Il serait, il est vrai, moins dispendieux de rester ici, mais il faudrait toujours de l'argent enfin une chose dont je vous prie, c'est de ne pas tarder huit jours à nous envoyer des secours, car ce retard nous perdrait.

Un marchand d'Ettenheim me le ferait passer; M. Antoine Mainoué, marchand épicier à Strasbourg, son correspondant, doit vous écrire pour demander à ma mère si elle veut nous faire passer cette somme. De grâce, faites un effort qui sera le dernier; envoyez-nous cela tout de suite. S'il ne vous écrivait pas, adressez-vous à lui et tirez sur Michel Vinterer, marchand à Ettenheim, une lettre de change, il me la payera. Chargez-en mon ami Charlot, si ma mère n'a point d'argent, il pourra lui en prêter, mais tout est instant. Quand vous m'écrirez, servez-vous de ces deux moyens, d'abord adressez-moi, sous enveloppe, à M. Jean-Jacques Christ, négociant à Basle en Suisse, et, sous enveloppe, à M. Vilhem Shoffer à Etteinheim. Ensuite, en second lieu, par Strasbourg, à M. Vilhem Schoffer à Etteinheim. N'oubliez pas que je vous... (un mot illisible).

Comme on a pu le constater, la première de ces lettres est pleine d'illusions; les émigrés comptent rentrer sous peu victorieux en France et mettre à la raison les insolents révolutionnaires. La seconde est beaucoup plus modeste; la République a triomphe et il n'est plus question que des misères de l'émigration. Après l'enthousiasme des premiers temps, il n'y a plus que la question de savoir comment on vivra misérablement loin de la patrie.

Léon SCHWAB.

[graphic][merged small][merged small]

Depuis plusieurs années, un pressant appel est fait par les savants les plus autorisés au personnel de l'enseignement primaire pour qu'il collabore au progrès des études historiques en France. Cet appel n'a pas été vain. Déjà d'utiles travaux d'érudition sont dus à des instituteurs. D'autre part, l'attention a été attirée sur leur rôle comme secrétaires de mairie, c'est-à-dire comme conservateurs des archives communales, source d'information pour l'histoire et pour l'administration.

Il n'y a pas longtemps que M. Maurice Faure, alors ministre de l'instruction publique, invitait par une circulaire le personnel de l'enseignement primaire à faire entrer l'histoire et la géographie locales dans le programme de ses leçons et à rendre ainsi plus claires. plus intéressantes, l'histoire et la géographie nationales. Il complétait cette circulaire par un arrêté attribuant des récompenses spéciales aux membres de l'enseignement primaire « qui, soit par leurs leçons, soit par leurs recherches et publications, auraient le plus utilement contribué à l'enseignement de l'histoire et de la géographie locales ».

(1) Article paru dans l'Action du 12 août 1912.

Malheureusement, les instituteurs ne reçoivent, à l'école normale primaire, presque aucun enseignement qui puisse les préparer au rôle, soit de gardiens des archives, soit d'historiographes locaux.

Si, rien qu'avec leur bonne volonté, quelques-uns d'entre eux ont déjà rendu des services d'ordre historique, la plupart se trouvent fort embarrassés pour mettre en ordre et pour utiliser les archives ou pour composer la monographie qu'on leur demande.

Ils ont absolument besoin de notions élémentaires de science des archives et de méthode historique.

Voilà pourquoi la Société de l'Histoire de la Révolution française vient d'adresser à M. Guist'hau, ministre de l'instruction publique, une pétition pour lui demander d'organiser dans les écoles normales primaires un tel enseignement.

« Comme il n'y a pas, dit cette Société, d'histoire possible sans emploi des archives, ce qui d'abord importe, c'est de faire connaître, dès l'école normale, aux futurs maîtres de l'enseignement primaire élémentaire ou supérieur le contenu des fonds d'archives départementales et communales, de leur apprendre à s'y orienter; il conviendra même de faire, au moins à ceux d'entre eux qui le désireront, des exercices pratiques propres à les former à la recherche et à l'élaboration des matériaux ».

L'enseignement dont il s'agit ne devrait pas empiéter sur l'enseignement historique général; il ne devrait pas prendre plus de quelques heures dans l'année. La Société de l'Histoire de la Révolution le conçoit surtout sous la forme d'une série de conférences-visites dans les dépôts d'archives.

L'idée de ces conférences n'est pas extrémement neuve. Elle vient si naturellement à l'esprit que déjà, dans quelques départements, les inspecteurs d'académie ont pu, avec succès, faire appel dans cette vue à la collaboration des archivistes départementaux. D'autre part, au début de la présente année scolaire, M. Camille Bloch, inspecteur général des archives et bibliothèques, a fait aux élèves de l'Ecole normale de Saint-Cloud, six conférences, dont deux en forme de visites aux Archives nationales et aux Archives

« PreviousContinue »