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juin 1791, quatre heures de relevé. La copie de cette lettre est dans le dossier précité.

Rien de plus vrai, mon cher maire, que l'arrestation du roi ici. Il est arrivé ici à minuit, accompagné de sa vertueuse épouse, sa fille ainée, le dauphin, Mme Elisabeth trois autres femmes et autant d'hommes. M. Dété, chez lequel je vous écris, a été appelé par la municipalité comme expert, et c'est lui qui a assuré nos braves frères d'armes que c'était effectivement les malheureux déprédateurs de la chose publique qui fuyaient après nous avoir épuisés. M. Dété, juge du district, et qui a suivi cette affaire, va dicter tout l'historique de cet événement.

M. Drouet, maitre de poste à Sainte-Menehould, qui a précédé l'arrivée de notre royal voyageur, a annoncé, en mettant pied à terre ici, que le digne descendant de Henry IV arrivait. Quatre particuliers, qui étaient heureusement à l'auberge du Bras d'Or, se sont saisis de leurs fusils, armés de leurs baïonnettes, ont couru aux voitures, et, en appuyant la pointe sur la poitrine des postillons, les ont forcés de mettre pied à terre. (Le roi donnait dix louis au postillon pour passer outre et donnait un louis de guide au postillon.) M. Sauce, procureur de la commune de Varennes, ayant été instruit de l'arrestation du roi, est sorti de son lit et a couru aux trois voitures, s'est emparé de la portière et a déclaré à ces prétendus émigrants qu'il les arrêtait. A l'instant ils ont mis pied à terre et sont entrés chez M. Sauce, où ils ont été introduits dans une chambre haute, qui a été gardée par la garde nationale. Le brave M. Sauce leur a fait servir une collation composée d'un fromage et de deux bouteilles de vin.

C'est alors que M. Dété a été appelé comme expert et, par la reconnaissance qu'il en a faite, tout doute s'est

éclipse. On a aussitôt sonné l'alarme, plusieurs courriers ont été expédiés, de toutes parts les gardes nationales sont arrivées, et, à sept heures du matin, le corps municipal et le tribunal de district ont été députés au roi pour lui annoncer que le vœu général était qu'il retournàt à l'instant à Paris. Il essayait de s'y refuser en se plaignant amèrement de l'Assemblée Nationale; comme vous sentez bien, sa chaste autrichienne a appuyé la motion. Cependant il a fallu consentir au retour et le cortège s'est mis en marche et, grace à Dieu, chemine actuellement vers Paris.

Il est bon de vous faire observer qu'un sieur Damas, colonel du régiment de Conty-Dragons, cherchait à captiver le peuple, pour faciliter le départ du roi, en assurant les patriotes que son but était de s'arrêter à Montmédy. Mais, ne trouvant pas d'issues, il cherchait à forcer le passage, lorsque le major de la garde nationale de Varennes lui tira un coup de pistolet qui lui a, dit-on, cassé le bras. A mon arrivée, j'ai trouvé des officiers de dragons, des hussards de Lauzun, à la plupart desquels les soldats ont arraché des croix de Saint-Louis et des épaulettes, et un autre individu qui s'est dit aide-de-camp de M. de Lafayette et qui est M. de Choiseul-Labaume; les gardes-nationales, qui nous avaient devancés, se sont emparées de leurs personnes.

J'ai reçu ordre de la municipalité, qui met les susdits sous ma sauvegarde; je les ai conduits sur le champ à la maison d'arrêt où ils sont actuellement sous la garde de nos braves volontaires, et je ferai tout mon possible pour les conduire à Verdun, pour éclairer tout le mystère.

Je ne puis actuellement vous en dire davantage, nos aristocrates doivent avoir le nez bien long, vous vous souviendrez que le roi a voyagé sous le nom de valet de chambre ou homme d'affaires de madame la princesse d'Hermstadt,

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et c'était la reine qui en faisait le personnage; le roi a présenté un passeport qui lui donnait cette qualité, qui était signé Louis et Montmorin.

Note jointe à la lettre ci-dessus :

La veille, les dragons de Conty, en garnison à Clermont, disposés à partir vers neuf heures du soir, donnèrent des inquiétudes. M. le maire et le procureur-syndic allèrent demander à M. de Damas, leur chef, s'il avait des ordres pour faire partir les soldats si subitement. Il leur répondit : oui. Ils insistèrent à les voir; il leur répondit avec humeur qu'il n'avait point de compte à leur rendre. Sur ce propos, le maire le saisit au collet, en lui disant qu'il l'arrêtait au nom de la Nation. Le sieur Damas se débarrasse, tire son épée, va au milieu de la rue en criant : « Dragons, à mon secours! » Les dragons obéissent. Les corps administratifs, se voyant à la discrétion de ce militaire et des soldats qui obéissaient, se répandent dans les rangs et les invitent, au nom du patriotisme, à ne pas abandonner la Nation. Dans ce moment on fait donner l'alarme, le roi venait de passer, les gardes nationales assemblées, etc...

La narration officielle des événements est donnée par le directoire du district de Clermont en Argonne, qui envoya, le 22 juin un récit des événements au directoire du département de la Meuse; celui-ci le transmit au département de la Meurthe qui le fit parvenir par un gendarme national au département des Vosges; sur un réquisitoire du vice-procureur général syndic Lepaige, il fut adressé sur le champ, par des courriers extraordinaires, aux districts du ressort, afin que cet événement fût rendu public.

Vous êtes instruits, Messieurs, de l'alarme qu'a répandue

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dans toute la France, et surtout dans ce district, le départ précipité du roi et de la famille royale. Hier, pendant la journée, toute la ville fut inquiétée de l'ordre qu'avaient reçu les dragons du 13 régiment (arrivés le 20, quoique votre lettre d'avis portàt qu'ils devaient arriver le 19) de se tenir sous les armes et leurs chevaux sellés, pour partir vers les cinq heures du soir. Vers dix heures du soir, deux voitures sont passées; elles ont fait demander la distance de Verdun et, au moment du départ, elles ont dit de prendre le chemin de Varennes. L'inquiétude redoubla lorsque l'on vit, un quart d'heure après, les sous-officiers aller de maison en maison donner ordre aux dragons de monter à cheval.

Un des membres du directoire, M. le procureur syndic, et M. le maire se transportent au logement du commandant, nommé Damas, pour s'informer du sujet qui faisait partir à une telle heure le détachement. Il représente un ordre de M. de Bouillé et une lettre d'un aide-de-camp, et se sauve de son appartement en criant: «A moi, dragons!» On fait battre la générale, et nous avons vu le moment où, ignorant encore le véritable sujet d'alarme, la garde nationale et les dragons faisaient feu l'un sur l'autre. Mais gràce au patriotisme des dragons, à qui nous avons expliqué nos craintes et fait voir leur danger et le nôtre, ils ont refusé d'obéir au commandement de marche, qui leur a été donné par M. Damas.

Ce pendant, nous avions dépêché un courrier à Varennes, pour faire arrèter provisoirement les voitures suspectées. Elles l'étaient. Nous apprimes, deux heures après, que les voitures renfermaient la famille royale. Nous donnàmes aussitôt les ordres les plus pressants aux municipalités et gardes nationales de ce district de se porter au plus tôt tant à Varennes qu'à Clermont, pour sauver la France, dont le

départ du roi pouvait causer la perte. Pour les huit heures du matin, plus de six mille hommes étaient assemblés.

Nous crùmes devoir alors, vu les circonstances impérieuses, nous transporter à Varennes pour engager le roi, au nom du peuple français, à ne point quitter l'empire et à retourner à la capitale. Nous l'avons rencontré au milieu du cortège le plus imposant, vers les deux tiers du chemin de Varennes. Nous lui avons témoigné les vives alarmes que son départ précipité et surtout le voisinage des frontières, où il se trouvait, occasionnaient au peuple. Sa Majesté nous a cependant assuré que son intention n'était pas de quitter son royaume. Nous avons accompagné S. M. jusqu'ici, d'où elle est partie à dix heures du matin, escortée des dragons patriotes, sans officiers (ayant cru devoir interdire à ceux-ci le droit de commander des troupes dont ils abusaient), et d'une foule de gardes nationales qui grossit sûrement à chaque endroit.

Ces dragons, dont partie est restée ici, doivent revenir, et nous croyons qu'il convient que ce détachement reste en cette ville où il est aimé, jusqu'à ce que le comité militaire ait ordonné le remplacement des chefs dont nous ne pouvons souffrir le commandement, à l'exception d'un officier de mérite et des sous-officiers qui ont la confiance des soldats. Nous allons rédiger le procès-verbal, et un de nous le portera à l'Assemblée Nationale et y rendra compte de tous les détails et circonstances de cette affaire heureusement terminée.

La nouvelle de l'arrestation du roi se communiqua rapide ment de proche en proche; les administrateurs du district de Neufchâteau, prévenus par leurs collègues de Bourmont, en avisèrent les administrateurs de Mirecourt en même temps qu'ils dépêchèrent des courriers dans tous les chefs-lieu de can

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