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Les déclarations du clergé en 1790

dans le district de Mantes

par E. Grace (1)

Lorsqu'on connait l'indigence et les lacunes des déclarations du clergé dans les archives départementales des Vosges, on est heureux de trouver une publication complète, comme celle de M. Grave, qui donne l'état des biens et des revenus ecclésiastiques dans le district de Mantes, à la Révolution.

La masse des biens de main-morte était considérable par son étendue et par sa richesse; mais c'est à peu près tout e qu'on en avait, et tout ce qu'on en sait encore à l'heure actuelle. Ces biens constituaient-ils un cinquième des biensfonds du royaume, soit environ 7 milliards, comme le veut M. d'Avenel; ou ne valaient-ils que 4.200 millions, selon l'évaluation de Cambon en 1793; ou 3 milliards, d'après Lavoisier; ou 2 milliards, d'après Condorcet ? Il est impossible de le dire, dans l'état des travaux historiques; toutefois j'estime qu'on peut porter aux environs de 3 milliards la valeur des biens de première origine. Ce sont les études dans le genre de celle que je présente aux lecteurs de cette Revue qui pourront seules élucider cette question.

Ces études ont encore un autre résultat. Comme l'écrit si justement M. Grave: « Au point de vue économique, elles

(1) Versailles, 1912, in-8°, 188 pages, extrait du Bulletin du Comité dépar temental de Seine et Oise.

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nous font connaître l'étendue du territoire sur lequel le clergé prélevait ses droits et la nature de ceux-ci. Par « elles, nous savons ce que telle paroisse a comme produit en céréales, vin, foin, herbes, gaine, filasse, toisons ou porcelets, et nous en avons aussi les prix si divers. Nous « savons si le prêtre dîme, et comment; s'il exploite par lui-même, ce qui n'est pas rare, et par quels moyens. « Nous savons encore ce que le clergé percevait en bloc et aussi quelle était la teneur de ses charges, en argent et (C en nature.

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Au point de vue purement social, elles nous font péné«trer dans la vie des membres de ce clergé, depuis le gros « décimateur qu'on ne voit pas pour ainsi dire, qu'on ne connaît pas, étranger presque toujours et ne se souciant «que du temporel, jusqu'au curé desservant, riche parfois, jusqu'à celui réduit à la portion congrue, jusqu'au simple vicaire, réduit à accepter, pour vivre, des denrées régu<«<lièrement fournies. >>

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C'était évidemment le faible de la richesse ecclésiastique, seus l'ancien régime, de ne profiter qu'à un petit nombre d'élus. Le bien donné jadis pour le pauvre à l'Eglise peut faire retour au pauvre, si la loi le veut ainsi. Ce fut d'ailleurs la théorie révolutionnaires de l'assimilation de l'assistance à un service public, théorie fort ancienne, qui était presque devenue une règle du droit public sous la monarchie. Dès le XVI siècle, en effet, on ne considère le clergé que comme un usufruitier ses biens sont des biens sociaux dont la société, ou l'Etat qui la représente, peut légitimement disposer à sa convenance.

« Ces biens immenses, écrivait M. Drumont dans la Libre « Parole du 20 mars 1910, avaient été constitués au cours des siècles par des dotations de souverains, de seigneurs. Des fondations avaient été faites pour des motifs qui n'avaient plus raison d'être, pour aider aux frais des Croisades, par exemple. Ce n'étaient pas les vrais moines, d'ailleurs, qui profitaient des revenus considérables de certaines abbayes. Des abbés commendataires, qui n'avaient d'abbés que le nom, étaient couchés tout jeunes « sur la feuille des bénéfices... >>

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Les déclarations du district de Mantes donnent de nombreux renseignements sur les dîmes et leur importance. Prenons, par exemple, la Villeneuve-en-Chevrie, commune d'une population inférieure à mille âmes, et d'une superficie de 1.166 hectares; le curé a affermé pour neuf ans les dîmes pour le prix de quatre mille deux cents livres d'argent, mais il s'est réservé tout un assortiment de denrées, froment, avoine, orge, vesces et pois gris, paille, menue paille, foin, tiges de pois, qu'il estime à huit cents livres. Des documents de ce genre sont extrêmement précieux, en ce sens qu'ils permettent de se rendre compte de l'état et des genres de culture de la commune.

Le curé de Brueil (en Vexin) perçoit lui, entre autres, la dime de la filasse et celle des toisons; c'est dire que dans sa commune on élevait des moutons et on en filait la laine.

Une déclaration amusante est celle du curé d'Epône, qui fait un pathétique curriculum vitæ. Fils d'un perruquier, « état où l'on ne fait pas grande fortune », il était le neuvième de dix-sept enfants; il a eu à sa charge son père, sa mère, une vieille tante, et six ou sept frères et sœurs, sans compter trois neveux et une nièce. «< Ajoutez à cela, dit-il, « l'hospitalité que je suis obligé de tenir ». Et il supplie le directoire de Mantes d'avoir quelque égard à sa situation. Les administarteurs du district ne furent pas insensibles à sa requête et lui accordèrent tout ce qui était possible.

Le curé de Mandétour, en déclarant son revenu, donne le produit des récoltes de sa commune sept mille deux cent trente-cinq gerbes de blé, trois mille huit cent cinq gerbes d'avoine et d'orge, etc. Son revenu total est de 11.179 livres ; il estime ses charges à 4.001 livres, dont 491 livres de semences, 900 livres pour la nourriture de trois chevaux, 600 livres pour la nourriture et les gages de deux domestiques employés à l'exploitation. Ce curé paraît avoir été au moins autant, sinon plus, un cultivateur sérieux qu'un ministre du culte. En outre de ses revenus, il percevait encore les fruits du cimetière.

Ces quelques exemples sont suffisants pour montrer quels sont l'intérêt et la variété de ces déclarations. L'auteur

en a tiré des conclusions fort bien déduites, qu'il qualific nodestement d'« observations générales ». Elles ont une portée d'autant plus grande qu'elles peuvent aussi bien s'appliquer au département des Vosges qu'à celui de Seineet-Oise. La portion congrue des vicaires ressort à 374 livres en moyenne pour la moitié d'entre eux, à 700 livres pour l'autre moitié ; la Révolution leur accorde des traitements bien supérieurs, et, par cela même, améliore leur situation.

Quant aux revenus des cures, c'est une question, dit l'auteur, et nous partageons complètement son avis, qui demanderait des études sans fin, par espèce. Pour convertir en argent les redevances en nature, les titulaires n'avaient plus qu'à se faire marchands. « C'est un assujettissement qui n'est pas sans compromettre la gravité de leur ministère, << outre qu'il donnait lieu à plus d'une discussion dont la trace est ailleurs que dans ces déclarations. » D'autres, comme le curé de Mondétour, sont de vrais fermiers.

S'il s'agit de déterminer les superficies dimées, on aborde là un problème avec de telles inconnues, que tout calcul devient inabordable. Dans l'Ile-de-France, comme en Lorraine, les dimes chevauchent les unes sur les autres, se superposent, s'amalgament, et on en est à se demander comment le paysan pouvait encore tirer quelque profit de Sa terre.

Ce travail n'est pas seulement une étude documentaire, c'est beaucoup plus et mieux. M. Grave est un historien fort averti, familiarisé avec les textes et les vieux auteurs. Tous les noms de lieux, de personnes sont identifiés de la façon la plus heureuse; il met largement à contribution le Cartulaire de Notre-Dame de Paris, et le Polyptique d'Irminon, pouillé de la riche abbaye de Saint-Germaindes-Pré, si précieux pour le IX siècle, et de la sorte il donne l'origine d'un grand nombre de biens.

Nous sommes heureux de pouvoir féliciter de cette publication M. Grave. Il est d'ailleurs un peu des nôtres, et par l'intérêt qu'il porte à notre histoire régionale, et par les séjours qu'il a faits dans les Vosges, et par les amitiés profondes qu'il y entretient.

L. S.

Chronique

Le Comité Départemental

Séance du 19 décembre 1912.

La séance est ouverte à 10 heures, aux Archives départementales, sous la présidence de M. Philippe, président. Sont présents: MM. Bernardin, Martin, Schwab et Véchambre. Excusés

MM. Bonnamy, Froment, Lemasson, Missenard, Mougin, Pognon et Puton.

En l'absence du secrétaire, M. Léon Schwab, secrétaireadjoint, en remplit les fonctions et donne lecture du procèsverbal de la séance précédente qui est adopté.

Le président donne connaissance de la circulaire ministérielle relative au Congrès des Comités départementaux qui doit avoir lieu à Paris au début de février prochain, et fait part de la réponse qu'il a donnée. M. Schwab s'est inscrit pour une communication sur le Paiement des Biens nationaux.

M. Schwab présente le manuscrit de son nouveau volume sur la Vente des Biens nationaux dans le district de Remiremont. Fait sur le plan de son travail précédent, il comprendra une introduction assez développée, et trois chapitres intitulés respectivement: 1° Inventaires des biens ecclésiastiques; 2" Inventaires des biens nationaux par communes; 3° Les ventes d'immeubles. Il sera terminé par la double table alphabétique des anciens propriétaires et des acquéreurs.

M. le Président, au nom du Comité, présentera officiellement ce travail à la Commission centrale.

M. Philippe expose rapidement les résultats de l'activité du Comité. La revue, qui en est l'émanation, prouve surabondamment que ses membres ne restent pas inactifs.

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