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du communisme et, pour elle, la propriété individuelle était quelque chose d'intangible et de sacré.

La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, du 5 octobre 1789, dans son article 2, reconnaît la propriété comme un droit naturel et imprescriptible; un peu plus loin, dans son article 17, elle l'appelle un droit inviolable et sacré.

Robespierre se posa en défenseur de la propriété ; le 22 décembre 1792, il la définissait, à la tribune de la Convention: « le droit qu'a chaque citoyen de jouir et de disposer de la portion des biens qui lui est garantie par la loi »>, et, sous l'impulsion des mêmes principes, l'Assemblée votait, à l'unanimité, le 18 mars 1793, la peine de mort contre quiconque proposera une loi agraire ou toute autre, subversive des propriétés territoriales, commerciales et industrielles.

La vente des Biens Nationaux fut une entreprise fiscale destinée à remplir le Trésor; mais elle fut aussi, dans la pensée des Révolutionnaires, une opération sociale dont le but était d'amener l'accroissement heureux, surtout parmi les habitants des campagnes, du nombre des propriétaires. Aussi s'efforça-t-on de donner de la terre à tous, ou du moins au plus grand nombre possible des citoyens. C'est pour cela qu'on morcela, qu'on dépeça tous les biens devenus propriété nationale.

C'était un désir général, à l'aurore de la Révolution, de voir remettre en circulation les biens de main-morte. Ne venait-on pas de voir l'Etat s'emparer des biens des Jésuites, et la Commission des Réguliers faire des coupes sombres parmi la végétation trop touffue des congrégations religieuses?

Le bien donné jadis pour le pauvre à l'Eglise peut faire retour au pauvre, si la loi le veut ainsi. Ce n'était que l'affirmation d'une idée bien ancienne, qui était presque devenue une règle du droit public.

La vente des biens de l'Eglise avait déjà été proposée par la noblesse et le tiers-état, aux Etats-Généraux d'Orléans et de Pontoise, en 1560 et 1561. La noblesse avait même déclaré

expressément que le clergé n'en était qu'usufruitier. Ce sont proprement des biens sociaux dont la société, ou l'Etat qui la représente, peut légitimement disposer à sa convenance.

Dès le XVIe siècle, on avait vu le pouvoir royal mettre la main sur les finances des hôpitaux et saisir les biens hospitaliers; à la fin du XVIIe siècle, il remit à des établissements en activité, situés dans leur voisinage, les biens des maladreries, léproseries et aumôneries hors d'usage.

Chez les contemporains de Turgot, on n'hésitait plus à affirmer que les biens hospitaliers forment une masse commune, dont les produits peuvent et doivent être répartis proportionnellement aux besoins des pauvres de chaque localité, et non conformément aux intentions peu éclairées des donateurs. Ce trésor commun, constitué par le patrimoine des hôpitaux et les libéralités des particuliers, doit être géré par l'Etat, par le souverain, qui est naturellement le caissier de ses propres sujets.

Un édit de 1780 autorisa la vente des biens des hôpitaux, pour liquider leurs dettes, le surplus devant être versé dans la caisse des Domaines.

Cette théorie avait déjà été émise, avec une force singulière, par Massillon, dans un des sermons de son Petit Carême.

La vente des biens du clergé était donc dans l'air, et lorsque quelques cahiers de doléances du tiers-état vosgien la réclamaient nettement, ils ne se faisaient en quelque sorte que l'écho des idées courantes. Le bailliage de Neufchâteau, réuni en assemblée générale, le 23 mars 1789, vote un article 56 de son cahier ainsi conçu : « Les bénéfices consistoriaux « et les fondations reconnues inutiles seront mis en écono<«<<mat jusqu'à l'extinction des dettes de l'Etat, les revenus « immenses qui y seront affectés seront employés à porter « la portion congrue de tous les curés jusqu'à 1.200 francs, <<< pour les mettre à même de vivre avec décence, et leur <<< éviter le honteux trafic des choses saintes, désigné sous le << nom de casuel »>.

La ville de Neufchâteau demande qu'il y soit établi un collège, et que les fonds destinés à cet établissement soient prélevés sur la mense abbatiale de Saint-Mansuy de Toul, << ce qui paraît d'autant plus juste que les Bénédictins de cette <«<< abbaye jouissent dans cette ville, et dans les environs, des <«<< droits honorifiques de dîmes, et y possèdent une maison <«<< qui leur est inutile et qui serait propre à cet établissement. »

Le bailliage de Lamarche prend souci des religieux mendiants et voudrait que les sommes nécessaires à leur subsistance soient réparties sur les ordres religieux rentés dont les revenus excèdent la dépense.

Mais, c'est dans le bailliage de Châtel qu'on trouve, nettement formulée, la mainmise de l'Etat sur les biens ecclésiastiques. La commune de Rehaincourt déclare <«< qu'il serait <«< bien mieux que le Roi pensionne tous les ecclésiastiques <«<et religieux, mais d'une pension honnête et suffisante pour <«<< remplir convenablement les états et dignités de chacun «<< d'eux, et le Roi aurait alors, en s'emparant de leurs fonds, << de quoi soulager son peuple ».

Le clergé avait en effet d'immenses propriétés, en général assez mal cultivées; d'après M. Levasseur, plus de la moitié des terres dans les provinces du Nord, et, pour toute la France, certainement le tiers des biens fonciers. Ces propriétés et ces revenus appartenaient au corps du clergé, et ce corps, cette collectivité avait cessé d'exister depuis l'abolition des privilèges, depuis la nuit du 4 août. « La possession du territoire, disait l'abbé de Montesquiou, ne pouvait survivre à la dissolution du corps « qui n'était propriétaire qu'à titre « collectif, et qui ne l'était qu'à condition de remplir un <<< service public; et cette possession passait de droit à ceux <<< qui désormais se chargeaient d'acquitter ce service, c'est-à<< dire à la Nation ».

C'est le 7 août 1789 qu'est émise l'idée de la nationalisation des biens ecclésiastiques à la suite de la demande que fit

Necker, à l'Assemblée Nationale, d'un emprunt de 50 millions; le marquis de Lacoste déclara qu'on satisferait le peuple et les créanciers de l'Etat, en donnant pour seul et unique gage à l'emprunt les biens ecclésiastiques, et il déposa un projet d'arrêté conforme. « Les biens ecclésiastiques, << disait-il, appartiennent à la Nation, elle est tenue de les « revendiquer », et le chevalier de Lameth ajoutait: « Je << demande qu'on donne aux créanciers de l'Etat les biens « ecclésiastiques pour gage de leurs créances >>.

Le 24 septembre, Dupont de Nemours demande la nationalisation des biens ecclésiastiques; dans la séance du 10 octobre, Talleyrand, évêque d'Autun, fait une proposition en vertu de laquelle les rentes et biens-fonds du clergé seraient remis à la Nation; le 12, proposition identique de Mirabeau ; il revient à la charge le 30, et enfin le 2 novembre, où fut adoptée, par 568 voix contre 345, la loi qui mettait tous les biens ecclésiastiques à la disposition de la Nation. Ils devenaient des biens nationaux dont la dispersion allait immédiatement commencer.

A l'origine, c'est-à-dire le 2 novembre 1789, les biens nationaux ne comprirent que les biens ecclésiastiques. Un peu plus tard, l'Assemblée Nationale en donna une définition plus étendue et déclara, par un décret du 23 octobre 1790, qu'elle entendait par bien nationaux :

10 Tous les biens du domaine de la couronne; 2o tous les biens des apanages; 3o tous les biens du ci-devant clergé ; 4o tous les biens des séminaires diocésains.

Par le décret du 9 février 1792, les biens des émigrés étaient devenus propriété nationale et affectés à l'indemnité due à la nation; c'est l'intervention d'un député des Vosges, François (de Neufchâteau), qui fit décréter, le 14 août 1792, leur vente par petits lots. Le 30 août 1792, les biens séquestrés étaient acquis à la nation.

La Convention, par le décret du 24 août-13 septembre 1793, déclara propriété nationale tout l'actif des communes, et le

fit administrer, vendre et payer comme les autres bien nationaux, adoptant le rapport de Cambon du 15 août 1793.

Enfin, la loi du 23 messidor an II proclama que l'actif des hôpitaux, hospices et autres établissements de bienfaisance faisait partie des propriétés nationales.

En résumé, l'Etat était devenu à peu près l'unique personne morale susceptible d'être propriétaire.

Pour arriver à son but, c'est-à-dire à distribuer de la terre à la plus grande partie possible des citoyens, à faire accéder à la propriété les couches les plus profondes du peuple, la Révolution avait une tâche énorme à remplir : il fallait, d'une part, connaître quelle était l'étendue, quelle était la valeur des biens déclarés nationaux, et, d'autre part, les morceler et les mettre en vente. D'où, une législation forcément très abondante et surtout très touffue. Depuis la loi du 24 novembre 1789 jusqu'à l'article 8 de la Charte du 14 août 1830, on peut compter près de 400 lois, décrets et arrêtés concernant les biens nationaux, plus un nombre considérable de circulaires, de délibérations de corps élus ayant trait à des questions particulières.

Dans cette masse assez confuse je ne relèverai que les textes me paraissant présenter un intérêt tout spécial, soit pour les biens nationaux en général, soit, en particulier, pour ceux situés dans le département des Vosges.

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La loi du 24 novembre 1789 décrète que les biens ecclésiastiques sont à la disposition de la Nation, à la charge de pourvoir d'une manière convenable aux frais du culte, à l'entretien de ses ministres et au soulagement des pauvres, sous la surveillance et d'après les instructions des provinces ; 1.200 livres au moins par année devaient être affectées à la

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