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coucher et de manger hors de chez eux; qu'ils doivent d'ailleurs se fournir d'outils, ce qui doit augmenter le prix », a réglé, le 15 juin 1794, la journée du chef de brigade à 3 1. 10 s. et celle des ouvriers employés sous lui à 30 sous (1).

Malgré cela, la mesure a été mal accueillie sur les ateliers et, le 8 août 1794, le citoyen Masson, chef de brigade, à écrit à l'ingénieur, M. Navière, la lettre suivante (1):

C'est encore pour vous importuner que les ouvriers composant les brigades occupées à la réparation des chaussées du cidevant pays de Salm, ont encore à vous remontrer la triste nécessité où ils sont de ne pouvoir se procurer les subsistances qui leur sont nécessaires.

Déjà ils ont présenté des pétitions à l'Administration; mais elles ont été infructueuses, malgré que nous payons encore, dans ce moment, le pain à 12 sous la livre, encore ce n'est que depuis 8 jours, car nous l'avons toujours payé 15 sous. Le beurre à 50 sous, encore ne peut-on se procurer ni l'un ni l'autre qu'avec beaucoup de peine. L'acier, nous le payons à 3 livres la livre; les maréchaux sont d'un prix à ne pouvoir les approcher pour raccomoder les outils; ainsi jugez, avec 50 sols, si des ouvriers peuvent vivre dans un pays où on ne connaît pas l'ombre du maximum pour la moindre denrée. Il n'y a que nous d'assez malheureux pour le suivre ; aussi je vous assure que les ouvriers mangent leur soupe sans beurre et bien souvent sans pain; aussi presque tous les ouvriers ont quitté, il faut tous les jours les remplacer par d'autres, comme on peut les avoir. J'ai fait tout ce que j'ai pu pour engager ceux que j'ai dans ce moment pour qu'ils continuent encore cette décade, en attendant votre réponse sur la demande que nous vous faisons, qui est de vous prier de nous faire accorder, s'il est possible, 20 sous pour les outils, car nous savons que

(1) Entretien et réparation des routes et ponts, salaires d'ouvriers.

l'on ne peut nous payer que les journées fixées par la loi, malgré qu'il faut encore que les ouvriers paient des gites qui sont en rapport avec celui des denrées; c'est dans la forte confiance que nous avons que vous vous intéresserez à nous, que nous allons continuer jusqu'à la réponse que vous voudrez bien nous faire; si les ouvriers peuvent obtenir quelque chose pour leurs outils, ils resteront tous, je crois; mais si c'est le contraire, vous n'en pourrez plus avoir que par réquisition; mais vous savez que les ouvriers de la sorte sont toujours mauvais et en leur accordant 20 sous pour leurs outils, les journées seraient de 3 livres, ce qui sera encore un prix bien modique pour vivre dans ce moment.

Cette lettre, remise aux administrateurs du département par M. Navière, a été communiquée au district de Senones avec prière de s'occuper de « cet intéressant objet; la loi relative au maximum étant du nombre de celles qui regarde la sûreté publique, nous vous recommandons le sort de ces malheureux >>.

L'administration du département a reconnu le bien-fondé de la réclamation qui précède et autorisé les districts à indemniser les ouvriers des frais de déplacements et de fourniture de leurs outils; elle a, en outre, recommandé de procurer aux ouvriers les subsistances qui leur sont nécessaires par voie de réquisition (1).

L'argent se faisait attendre, les ouvriers désertaient les ateliers; à une réclamation du district de Senones, l'administration du département invite ce district à employer tous ses soins pour déterminer les ouvriers à continuer leurs travaux ; « vous sentez, disait-il, que la moindre négligence dans ce cas augmente la dépense dans une pro

(1) Délibérations, séance du 3 septembre 1794.

portion effrayante et nous comptons assez sur votre zèle pour être assurés qu'il n'y aura aucune interruption. »

Les travaux continuent, mais les ouvriers ne trouvent pas toujours, aux prix fixés par la loi, ce qui est nécessaire à leur existence et il était impossible de leur distribuer des grains en suffisance pour leur subsistance, parce que le district de Senones en était dépourvu. Dans ces conditions, M. Navière demande (1) qu'on leur fasse obtenir, dans les communes près desquelles ils travaillent, des pommes de terre et du beurre pour remplacer le pain dont les ouvriers sont privés; il ajoute « qu'un homme qui travaille avec force peut consommer, par décade, deux boisseaux de pommes de terre et une livre et demie de beurre ».

Le 4 prairial an III (24 mai 1795), le district de Senones, en présence de la cherté toujours croissante de la vie, dans la région, de la dépréciation continuelle des assignats et du manque de bras, a pris l'arrêté suivant (2):

Considérant que si déjà les journées d'ouvriers sont portées en ce moment à un taux excessif (3), la variété continuelle dans le prix des denrées donne lieu, de moment à autre, à une augmentation de salaires qui varient encore du plus au moins dans les différentes communes du district, suivant la baisse ou le discrédit que les assignats y éprouvent, ce qui ne permet pas au directoire de fixer lui-même ces salaires, ainsi que le porte l'article 18 de l'arrêté du département du 26 frimaire.

Considérant que malgré cette exhortation, il est encore fort douteux que l'on trouve suffisamment assez d'ouvriers pour

(1) Lettre de M. l'ingénieur Navière du 27 octobre 1794.

(2) Entretien et réparations des routes et ponts; salaires d'ouvriers.

(3) Depuis le mois de mars, les journées avaient été portées à 6 livres 10 sous pour les chefs de brigades et à 5 livres pour les ouvriers. (Etat des salaires).

s'occuper volontairement de ces travaux publics, à raison des avantages qu'ils ressentent en travaillant dans les forges de Fromont et de Rothau, où ils reçoivent une partie de leurs journées en numéraire, ou en s'engageant dans le service des chapitaux de Senones et de Schirmeck, d'où ils tirent des vivres en nature.

Le directoire du district arrête:

Lesalaire des ouvriers sera payé sur le pied qui sera déterminé chaque décade par les municipalités des communes sur le finage desquelles ils seront successivement occupés, en se réglant sur le prix courant des lieux et en accordant constamment au chef de brigade trente sous par jour en sus des autres ouvriers.

Dans le cas où il ne s'en présenterait pas, ou que l'on ne pourrait en trouver en nombre suffisant pour activer les travaux d'une manière convenable, le directoire du district sera autorisé à en faire mettre en réquisition dans les communes où il s'en trouvera de ceux qui y ont déjà été employés ou d'autres en état de l'être.

Enfin, le 6 messidor an III (21 juin 1795) (1), le district de Senones, qui était toujours celui qui réclamait le plus de bras, pour mettre en état les routes suivies par les armées du Rhin et les convois d'approvisionnements, a fait connaitre à l'administration du département, qu'il était parvenu à une fixation de gré à gré des salaires, calculée d'après le prix des denrées aux différentes époques où les ouvrages ont éte faits sur la route du Donon; il ajoutait qu'il n'a pas dépendu de lui de les ramener à un taux plus raisonnable.

En vain, il a engagé les ouvriers à continuer sur leur dernier

(1) Entretien et réparations des routes et ponts, salaires d'ouvriers.

prix de 15 livres par jour (1), ils n'ont pas voulu le permettre; ils sont allés jusqu'à demander 25 livres et enfin ils se sont réduits à 20 livres, mais pour une décade seulement, parce qu'ils exposent que d'un jour à l'autre le prix des denrées varie dans ces contrées où les assignats sont dans le plus grand discrédit.

Ma'gré la nécessité indispensable de réparer et d'entretenir cette route du Donon, qui dans ce moment est extraordinairement fréquentée par les voitures de transports pour l'armée du Rhin, nous n'avons pas cru devoir prendre sur nous d'y mettre ce prix que les ouvriers exigent, ce qui, peut-être, n'est pas encore exhorbitant d'après l'état actuel des choses.

L'administration départementale a donné son adhésion et, à partir du 1er juillet 1795, le prix des journées des simples ouvriers occupés par le district de Senones, a varié de 16 l. 10 s. à 21 livres, et celui d'une voiture, de 50 à 75 livres (2).

Cette situation n'était pas particulière au seul district de Senones, elle s'est également fait sentir, avec un peu moins d'intensité, toutefois, dans les districts voisins; il résulte, en effet, d'autres états de dépenses déposés aux archives, que, à la fin de 1795, le salaire d'un ouvrier était de 12 livres et celui d'un chef de 13 l. 10 s. dans le district de Rambervillers.

A défaut d'états de dépenses postérieurs à l'an IV, nous ignorons dans quelle mesure les autres districts ont été atteints, tant par la dépréciation des assignats que par la

(1) En assignats, naturellement, lesquels étaient tombés au 1/12 de leur valeur.

(2) Extraits des états de dépenses, dressés par décades, par les chefs de brigades, vérifiés par le conducteur et arrêtés avant payement par le directoire du district.

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