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J'avoue que j'y trouve une extrême difficulté, et c'est dans la recherche de moi-même que je la trouve. Je suis devenu à moi-même une terre ingrate; je la cultive inutilement avec beaucoup de travail et d'opiniâtreté.... C'est moi-même qui me souviens des choses que je me rappelle; c'est moi-même puisque c'est mon esprit qui s'en souvient. Et qui peut être plus proche de moi que moi-même? Je ne comprends pas toutefois quelle est la puissance de ma mémoire, quoique sans elle je ne pourrais me nommer moi-même. »

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Que puis-je donc dire, étant assuré comme je le suis, que je me souviens de mon oubli! Dirai-je que ce dont j'ai l'idée ne réside pas dans ma mémoire? ou dirai-je qu'il est nécessaire que l'oubli soit dans ma mémoire pour m'empê cher d'oublier? L'un et l'autre ne seraient-il pas très-ridicules? Comment aussi pourrais-je dire que, quand je me souviens de l'oubli, c'est L'image de cet oubli, et non l'oubli même, qui est conservé dans ma mémoire? Comment pourrai-je le dire, puisque, quand l'image de quelque chose s'imprime dans notre mémoire, il est nécessaire que la chose même nous soit présente, afin que cette image s'y imprime; car c'est ainsi que je me rappelle Carthage et tous les autres lieux où j'ai été : c'est ainsi que

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je me souviens des visages de toutes les personnes que j'ai vues, et de tout ce que mes autres sens m'ont rapporté : c'est encore de même que j'ai le souvenir de la santé et de la maladie que j'ai éprouvée dans mon corps. Lorsque toutes ces choses m'étaient présentes, ma mémoire en a conçu des images que je pusse considérer et repasser dans mon esprit, lorsque je voudrais avoir la réminiscence de ces objets dans leur éloignement et dans leur absence:

« Si c'est par son image et non par lui-même que l'oubli se conserve dans ma mémoire, il fallait donc qu'il fût présent afin que ma mémoire pût concevoir cette image? Or, de quelle sorte l'oubli, étant présent, gravait-il cette image dans ma mémoire, puisqu'il efface par sa présence les choses mêmes qu'il trouve déjà imprimées dans notre mémoire? Quoiqu'il soit très-difficile de comprendre et d'expliquer de quelle manière cela arrive, je suis très-assuré que je me souviens de mon oubli, quoique ce soit lui qui efface les images des choses dont

nous nous remémorons. »

Après avoir démontré combien la mémoire est admirable, le saint docteur prouve que, pour retrouver une chose perdue, il faut en avoir conservé la mémoire, et qu'on ne peut

pas

dire avoir oublié ce dont nous convenons de ne plus avoir la réminiscence, et que nous ne pourrions point chercher ce que nous aurions perdu, si nous l'avions entièrement oublié. Ainsi, selon lui, ce n'est pas par les sens que nous avons connaissance des choses abstraites, mais par un don de Dieu selon lui, toutes ces connaissances sont en nous, et l'éducation ne sert qu'à les rassembler et à les développer, ou plutôt à en porter un jugement sain; selon lui, un homme isolé de la société, et ne l'ayant jamais connu, a connaissance de Dieu et de la vie bienheureuse : c'est le sujet du chap. XX, liv. X.

:

C'est l'intelligence de l'homme qui fait sa sagesse et sa force; cette intelligence est l'âme : à l'aide de ses facultés, elle aperçoit les ressemblances ou les différences, les convenances ou les disconvenances qu'ont entre eux les objets physiques et moraux. La connaissance de ces rapports entr'eux ou avec nous, forme ce qu'on nomme l'esprit. Celui-ci consiste à comparer nos sensations et nos idées, à voir les ressemblances et les différences, les convenances et les disconvenances qu'elles ont entr'elles. Au moyen de l'imagination, de la mémoire et de l'attention, il prononce sur la découverte qu'il a faite des rapports, et le prononcé se nomme jugement.

Les philosophes modernes s'opiniâtrent, suivant leur tendance vers le matérialisme, à dire que, pour juger, il faut d'abord sentir.

sonne,

Sans doute; il faut sentir pour juger des objets physiques, pour comparer les idées qui nous viennent des sens; mais, pour juger des objets surnaturels, des choses abstraites, l'âme n'a pas besoin de sentir : elle perçoit, elle raielle compare, elle juge. Lorsqu'elle dit: la matière n'a pas toujours existé ; c'est Dieu qui l'a créée, elle n'éprouve aucune sensation; elle discerne; elle juge qu'un être essentiel a créé la matière: c'est une inspiration divine, ou une idée qui en provient. Le spiraculum vitæ, la raison, dont Dieu lui a fait don, lui procure la faculté de faire ce discernement; la matière ne sent rien; c'est l'intelligence qui dirige notre corps, qui éprouve un sentiment. Sentir et percevoir sont les deux principales facultés de l'âme. Elle est sensible ou active et attentive. Elle a des idées qui lui viennent des corps extérieurs, au moyen des organes du mais la connaissance de Dieu; celle du bien et du mal proviennent de l'éducation que Dieu donne à l'homme, c'est-à-dire de l'inspiration divine.

corps;

Puisque la matière est inerte, et ne sent pas, dira-t-on, les animaux ont donc encore

une intelligence? sans doute; mais cette intelligence n'a que les perceptions qui lui viennent des organes du corps. Les animaux ne sont pas doués de la raison; ils ne peuvent perfectionner, connaître le bien et le mal, s'élever aux idées abstraites. Mais le spiraculum vitæ, que l'homme tient de son auteur, lui donne le pouvoir de connaître Dieu; la brute n'en a pas été doué: elle ne peut conséquement en avoir l'idée : elle n'en a aucune du bien et du mal, de la vertu ni du vice; elle n'a que celle de la conservation, et celle de la propagation qui lui vient de l'irritation du sang et du gluten. Elle est 'sans discernement: un cheval mourrait de faim dans une boucherie, et un lion dans un pré, quoique l'un et l'autre pourraient se conserver avec de l'herbe ou de la chair : il y a donc une grande différence entre l'animal et l'homme. Cela est certain, cela est reconnu vrai. Nous avons démontré que ce n'est pas l'organisation qui occasionne cette différence, puisqu'il y a des brutes, qui, quoique organisées comme l'homme, ont beaucoup moins d'intelligence que l'abeille et la fourmi. Mais que dis-je? Il n'y

qu'habitude chez elle, et nullement d'intelligence. Dieu a borné ainsi le singe ou l'homme des bois, afin d'apprendre à l'homme raisonnable que ce n'est point son organisation qui

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