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On peut faire ce raisonnement, tirer cette conséquence sans le secours de la révélation. Nous avons démontré, dans nos Tusculanes, que Cicéron et bien d'autres païens avaient formé ce raisonnement, et qu'ils avaient été forcés, quoiqu'ils ignorassent la révélation, de reconnaître dans les corps organisés une substance spirituelle et immortelle, une âme.

Examinons d'abord ses facultés : on ne peut contester qu'elle ne soit active, libre, pensante, attentive, et qu'elle ait de la mémoire.

Elle est active; car, sans cette faculté, elle pourrait penser, recevoir des impressions, les comparer, délibérer et juger.

Elle a de la volonté; elle est libre: car, quoique, souvent, elle ait des idées malgré elle, elle peut les rejeter, et ne pas s'y arrêter : elle délibère à son gré, et elle dirige de même les mouvemens du corps.

Elle pense, elle raisonne. Et qui oserait sérieusement dire le contraire, puisque nous en sommes aussi certains que des deux premières facultés ? Ses idées sont un don de Dieu; elle en a naturellement, et d'autres lui viennent des sensations qu'elle éprouve ou qu'elle a éprouvées, quoique des philosophes modernes disent qu'elle n'en a que de cette dernière espèce.

Nous entendons par idée la perception pure et simple d'un objet sans en juger, sans lui donner aucun attribut.

L'âme a de la mémoire : elle se ressouvient qu'elle a eu une affection ou une idée : ceci n'a pas besoin de preuve.

Elle est attentive: elle considère un objet pour le mieux connaître : c'est par suite de cette attention qu'elle le qualifie, qu'elle en raisonne, et qu'elle en juge telles sont les vérités importantes que nous reconnaissons sans le secours de la révélation,; et que les philosophes de l'antiquité connaissaient avant nous. Nous aurions pu dire toute l'antiquité: car les païens croyaient que leurs âmes allaient dans les Champs-Élisées, ou qu'elles restaient dans le Tartare, selon le bien ou le mal qu'elles avaient fait sur la terre, et ceux qui, ridiculement, ajoutaient foi à la métempsycose, considéraient également les âmes immortelles.

La pensée tient à l'essence de l'âme : mais, dira-t-on, si la pensée tient à l'essence de l'âme humaine, elle pensera donc toujours? Sans doute ne pense-t-elle pas lorsque le corps sommeille? Si souvent nous ne nous rappelons pas ces pensées, c'est que nous ne nousarrêtons point; c'est que nous ne faisons aucune comparaison. Mais, ajoutera-t-on, ne

voyons nous pas journellement des hommes perdre la raison? Cela est vrai : mais l'asthénie mentale est une maladie, dans laquelle nous ne savons plus juger de nos sensations; nos organes altérés nous font divaguer; nous ne savons plus faire un bon usage de notre raison, mais nous ne la perdons pas : les personnes, attaquées de cette maladie, ne discontinuent point de penser ni d'avoir des idées : il y en a dont l'esprit est non-seulement en mouvement, mais qui parlent continuellement; leurs idées n'ont point de suite: elles se succèdent rapidement, et les malades très-souvent ne s'arrêtent à aucune; mais ils ne cessent d'en avoir, et c'est ce conflit d'idées que nous nommons asthénie mentale.

Des philosophes ont dit qu'il n'y avait point d'idées d'inspiration divine, et ils ont parlé contre l'expérience. Nous-mêmes, nous avonз été avertis par des songes d'accidens imprévus, qui nous menaçaient; nous ne donnions aucune suite à ces idées, craignant de nous abandonner à la superstition; cependant les choses sont arrivées ainsi que nous les avions vues en songe, et nous n'y avions jamais pensé; nous n'avions même jamais eu de perceptions analogues: nous n'avions conséquemment aucun pressentiment. L'interprétation par Joseph du

songe du Seigneur Egyptien avec qui il était enfermé, le songe du Pharaon d'Égypte, et tant d'autres semblables, n'étaient point des idées naturelles, et ne provenaient d'aucune sensation.

Lorsque, durant notre sommeil, nous avons la perception d'une chose que nous n'avons jamais vue, d'une chose à laquelle nous n'avions jamais pensé, on ne peut dire que cette idée provient des sensations : c'est donc une idée naturelle. Nous en avons eu de ce genre: il y a donc des idées, qui, quoique ne provenant pas d'inspiration divine, ne viennent pas encore des sensations : il y a donc des idées d'inspiration divine, des idées naturelles, et des idées qui nous viennent des sens.

J'entends les philosophes modernes se récrier; ils nous disent: Les objets extérieurs agissent sur nos organes, la perception se nomme sensation.

Nous ne disons pas le çontraire; mais nous ne pouvons adhérer à leur opinion, quand ils soutiennent que l'idée est simplement la connaissance des rapports contenus dans nos sensations, puisque l'expérience nous démontre le contraire. D'ailleurs, en admettant cette absurdité, ne serait-ce pas anéantir entièrement le dogie de l'immortalité? Après la

mort, nous n'avons plus de sensations, nous ne pourrions donc plus, suivant leurs vains raisonnemens, avoir d'idées ? Alors l'âme serait anéantie; elle ne pourrait avoir la perception du bien et du mal, du vrai et du faux, du juste et de l'injuste; elle ne pourrait être ni recompensée ni punie. Voilà cependant où nous conduiraient les raisonnemens fallacieux de ces hommes qui veulent passer pour philosophes, et qui s'opiniâtrent à enseigner à la jeunesse que toutes nos idées viennent à la suite des sensations; que les sensations précèdent les idées comme l'original précède la copie; et que, admettre des idées innées, des idées antérieures à toute sensation, c'est admettre des rapports sans termes relatifs : qu'enfin l'attention puise toutes nos idées dans les impressions qui arrivent à l'âme par le ministère des sens. Ainsi, lorsque l'âme sera séparée du corps, lorsqu'elle n'aura plus les sens, les organes, elle ne pourra plus avoir, selon eux, des idées, des perceptions. Autrement ce serait admettre des rapports sans termes relatifs. Mais que sont-ils pour vouloir donner des termes à la pensée? Est-ce que notre âme n'a du rapport qu'avec les objets sensibles? Nous éprouvons continuellement le contraire : elle a plus de noblesse, plus de puissance; elle

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