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rité: c'est par sa méthode que nous sommes assurés qu'il y a une ville de Constantinople, que l'Empereur Constantin-le-Grand l'a fait construire sur les ruines de Bysance, et que les Turcs l'ont prise aux Grecs. Quelques-uns diront peut-être que ce n'est qu'une certitude morale; supposez-le : mais à force de témoignage ne repose-t-elle pas sur les sens et sur des faits? Dira-t-on que la force du témoignage ne peut pas exclure tout doute raisonnable? Mais, s'il en était ainsi, jamais un juge ne pourrait condamner un assassin, s'il n'avait lui-même vu le crime, et les fondemens de la société s'écrouleraient bientôt, si la vie humaine restait sans principe certain, s'il n'y avait plus entre les hommes aucun rapport, et, si toutes les relations sociales, livrées à l'incertitude, n'avaient plus de règle fixe. Nous sommes cependant aussi certains que des hommes s'ils ne sont pas dans l'asthénie mentale, n'iront pas se jeter dans la mer, que nous sommes physiquement assurés que ceux qui y tomberont, courront risque de se noyer. Cette certitude, qu'on veut nommer morale, n'est-elle pas absolument nécessaire pour nous pour nous diriger dans cette vie? Ne sommes-nous pas intéressés à savoir certainement une multitude de choses qui se sont passeés dans des temps et dans des

lieux éloignés ; et Dieu, qui a pourvu avec lant de soin à tous nos autres besoins, aurait-il négligé un des plus essentiels? Le penser, ce serait un blasphême; car en reconnaissant l'autorité du témoignage des hommes, cette contradiction dans la providence disparaît. Ce que nous ne pouvons savoir par notre raison et par nos sens, nous l'apprenons des autres hommes qui ont vu, et nous en acquérons la certitude, lorsque leur témoignage réunit les qualités qui l'opèrent. Les sens d'autrui servent de supplément aux nôtres, et c'est cette certitude morale qui dicte les lois, qui est la base du commerce, qui fait fleurir les sciences, et sur laquelle reposent les droits civils. Pourquoi donc l'incrédule rejeterait-il dans la spéculation ce qu'il est forcé de suivre dans la pratique ? Pourquoi raisonnerait-il d'une manière et agirait-il de l'autre? Ne serait-ce pas une grande inconséquence de démentir à chaque moment ses principes par sa vie? L'ordre morale ne nous présente - il pas des vérités aussi certaines que l'ordre physique? La certitude physique a pour base ce principe: Il est impossible que tous nos sens, réunis et bien disposés, s'accordent pour nous tromper, n'est-il pas aussi impossible qu'une multitude d'hommes, qui ne sont ni fourbes ni aliénés,

s'accordent pour nous tromper sur un fait qu'ils ont tous vu? Voilà le principe de la certitude morale. Cette seconde proposition n'estelle pas aussi certaine que la première? Si les deux impossibilités sont d'un genre différent, ne sont-elles pas égales entr'elles? L'accord de cette multitude pour nous tromper n'est-il pas aussi moralement impossible que celui de tous nos sens pour nous induire en erreur est physiquement impossible? Dieu a donc employé toute sorte de certitudes pour nous révéler ses volontés, et nous empêcher de tomber dans l'erreur à ce sujet : Certitude métaphysique: il n'y a que lui seul qui puisse suspendre le cours de la nature. Les miracles, certitude physique; le témoignage parfait des hommes: Certitude morale, ou de fait. Aucune autre voie n'était convenable. Les démonstrations géométriques paraissent-elle claires et véritables aux gens inexprimentés, qui n'ont point étudié cette science? Y a-t-il bien des personnes qui connaissent les propriétés des angles? Pourra-t-on persuader à un homme du peuple que la terre est en mouvement, et qu'elle a deux révolutions, l'une diurne et l'autre annuelle ? Quel est l'homme illétré qui comprendra la divisibilité du temps à l'infini, et à qui l'on persuadera qu'on ne saurait jamais

former un angle tellement obtus, qu'on n'en puisse encore former de plus obtus à l'infini, sans parvenir à la ligne droite?

Dieu, qui voulait se faire entendre à tous les hommes a donc dû employer la voie la plus sûre. Au reste, il s'est déterminé; nous n'avons plus rien à répliquer.

Les conditions requises pour opérer la certitude morale sont :

Un nombre raisonnable de témoins;

Un témoignage sur un fait simple, palpable, et éclatant;

La connaissance du fait par les témoins qui le rapportent, non sur des relations étrangères, mais sous le rapport de leur propre sens;

La facilité que les témoins ont eue de bien voir, ou de bien entendre, ou de bien toucher; L'assurance qu'on n'a pu leur faire croire ce qu'ils n'ont point vu : la probité, l'honneur, les bonnes mœurs des témoins;

Leur désintéressement personnel en tous genres;

Leur relation dans un temps et dans un lieu voisin du fait, et accompagnée de circonstances, en sorte qu'on puisse la vérifier au moment où elle se produit;

Des dépositions constantes sans variations, et uniformes sans contradictions;

Une narration non contestée, ou seulement par de frivoles difficultés.

Les cinq premières conditions garantissent les témoins de l'erreur; les cinq dernières répondent de leur vérácité : ainsi, dès que nous sommes assurés de ces deux points, nous le sommes de la vérité du fait simple et palpable, sans examiner ses causes ni ses conséquences. Qu'on ne dise pas que l'autorité du témoignage s'affaiblit par le laps de temps : le genre humain ne se renouvelle que par parties; chaque homme passe une portion de sa vie avec plusieurs générations précédentes, et une autre avec plusieurs générations postérieures ; alors la transmission du fait s'opère continuellement et sans interruption; elles sont toutes garantes de la vérité de la relation.

Si le fait ne repose pas seulement sur une tradition orale, mais encore sur une histoire écrite, ou sur des monumens comme une médaille frappée, une statue érigée, un édifice publiquement élevé en l'honneur du fait à l'époque de l'événement, celui-ci ne se transmet-il pas sans altération à tous les siècles qu'il

traverse?

Quiconque écrit l'histoire se soumet à la critique de tout ce qui l'environne; il s'expose à être démenti au même instant, s'il avance Tome II.

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