Page images
PDF
EPUB

à

des ordres du roi et du ministre pour prohiber l'exportation et couper la circulation des grains dans les provinces de l'intérieur. MM. Berthier, intendant de Paris, et Le Noir, étaient alors, ce qu'on assure, les chefs de cette compagnie; M. Finet en était le caissier général. Il avait succédé à M. Mirlavaud, que l'abbé Terray, en 1773, avait eu le front de décorer du titre de trésorier des grains pour le compte du roi; celui-ci avait eu pour prédécesseur M. Goujet, caissier du bail de Laverdy.

La fortune de M. Pinet était originairement très-bornée, et ses premiers placemens dans l'affaire des grains étaient une simple spéculation de commerce. Son intelligence et son activité lui méritèrent bientôt l'initiation aux grands mystères, et on le fit agent de change pour lui donner plus de moyens de trouver des capitaux. La facilité des placemens, leur énorme produit (il prenait de l'argent depuis 30 jusqu'à 75 pour cent), l'exactitude des paiemens ayant attiré chez lui la foule, en 1787, il prit tout à coup son vol, et le système de ses opérations embrassa la France entière. Tous les fonds qu'il recevait, il les convertissait en grains; et en 1789, cinquante à soixante millions étaient employés à ces sortes d'achats, dont le bénéfice à la revente s'élevait de 70 à 100 pour cent.

De là ses liaisons intimes avec l'ancien ministère, MM. Bre

'distribution faite aux brigands, d'uniformes de gardes françaises et sui3'ses; les faux édits du roi; les faux décrets de l'Assemblée nationale, répandus avec profusion dans tout le royaume; on reconnaîtra sans peine combien cette espèce de tactique est familière à nos ennemis. « Je me fie à la vérité, dit M. Necker; elle serait pour moi les cheveux de Samson si je voulais en faire usage. » Nous osons l'y inviter avec tous les bons citoyens. Sans doute il est doux pour une âme élevée de répondre comme Scipion à ses calomniateurs : « Citoyens, allons au capitole, c'est à pareil jour que j'ai vaincu Carthage. » Mais il y a peut-être plus de grandeur encore à répondre soixante et dix fois comme Caton à ses calomniateurs, et à confondre les méchans, non pour sa propre vengeance, mais pour la consolation des bons et l'encouragement des faibles, qui seraient tentés de ne plus croire à la vertu. C'est un hommage à l'opinion publique que lui doit le premier administrateur qui ait appris aux Français à la respecter, et si, pour une âme sensible, il y a quelque douceur dans l'injustice et même dans l'ingratitude, il y en a plus encore à assurer le triomphe de la justice et de la vérité, et à forcer à la reconnaissance une nation généreuse et sensible, mais facile à égarer.

teuil, Brienne, Villedeuil, d'Albert, etc. Ce dernier était, diton, chargé des négociations avec M. Pinet, que M. Le Noir (1) ne pouvait souffrir. La prise de la Bastille et le meurtre de MM. de Launay et Flesselles ne parurent nullement l'affecter. Il n'en fut pas ainsi du massacre de MM. Foulon et Berthier, et de la fuite des frères Leleu. Ce ne fut qu'à ce moment qu'il commença à témoigner des craintes sur les suites de la révolution, et l'on observa dès-lors des altérations sur sa figure.

Le 29 juillet, il sortit de chez lui entre cinq et six heures du soir, après avoir diné tranquillement avec sa famille, et invité du monde à souper. Mais il ne revint pas, et l'on sut le lendemain qu'il avait reçu un coup de feu dans la forêt du Vésinet, près Saint-Germain-en-Laye, où il avait une maison de campagne, dans laquelle il fut transporté.

Cet infortuné avait, à ce qu'on assure, une âme honnête et sensible. Entraîné par les liaisons de commerce dans l'abominable affaire des grains, et livré à deux factions qui dévorèrent successivement le royaume comme la flamme d'un incendie, par une de

(1) Le nom de cet homme nous rappelle un trait digne de figurer dans l'histoire du monopole. M. Le Noir avait, en 1780, accordé aux épiciers la permission de cumuler l'état de chandelier. Sur la plainte des syndics des chandeliers, il leur promet de la révoquer et de n'en plus accorder à l'avenir, s'ils voulaient consentir à un marché de suif pour toute la communauté. M. Dominique Leleu se présente, Dominique Leleu, successeur de Malisset dans les moulins de Corbeil. Il offre un marché de suif de 700 milliers, mais il y mettait un prix excessif, Le lieutenant de police, pour faciliter la conclusion, permet aux chandeliers d'augmenter la chandelle d'un sou la livre. Les syndics signent le traité et le parlement l'homologue. La communauté, qui n'avaît pas même été consultée, forme opposition à l'arrêt d'homologation. La grand'chambre déboute les opposans, avec amende et dépens, les condamne à remplir solidairement toutes les clauses du marché, et à cinq mille livres de dommages-intérêts envers M. Leleu. C'est ainsi que le parlement eut la lâcheté d'enregistrer, sans lettre de jussion, un impôt sur la chandelle au profit d'un accapareur de suifs.

C'est dans cette affaire qu'échappa à M. Le Noir, en présence des maîtres chandeliers, cette naïveté si connue: Je dois savoir ce que c'est qu'un arrét du conseil, puisque j'en fais tous les jours.

Que l'on juge par ces deux traits de l'influence que devaient avoir sur l'opinion publique ces arrêts qu'on osait quelquefois lui opposer avec tant d'assurance.

ces inconséquences communes à la nature humaine, il tachait de rassurer sa conscience effrayée, de se persuader lui-même de sa probité, par la certitude qu'il croyait avoir de faire ses remboursemens, et de se tranquilliser sur les calamités dont ses opérations frappaient tout l'empire, par la considération des biens particuliers qu'il faisait. Il répétait souvent: Ce qui me fait grand plaisir, c'est d'avoir rendu service à beaucoup de malheureux. En effet, quelquefois il prenait de préférence de petites sommes pour multiplier davantage ses prétendus bienfaits. Peu de temps avant sa mort, il refusa 50 mille livres d'un homme riche de Saint-Germain, et accepta d'un particulier du même lieu 12 mille livres qu'il lui offrit de la part d'une jeune personne de cette ville, dont é'était toute la fortune. Voilà, lui dit M. Pinet, de l'argent comme il m'en faut ; j'aime mieux être utile à beaucoup de monde......... Pour que je n'aie pas d'argent, disait-il, il faudrait qu'il n'y en eût pas dans tout Paris, et que la cour en manquât. Ce qui désigne bien suffisamment et la nature de ses opérations et la qualité de ses commettans. Il est constant qu'il ne jouait point à la loterie, comme on l'a prétendu, qu'il négociait peu d'effets sur la place, et qu'il était étranger à ces dangereuses spéculations de l'agiotage qui ont élevé un petit nombre d'intrigans au sommet de la roue de fortune, et qui précipitent tous les jours dans l'indigence une avide et imprudente multitude.

Il paraît que la crise subite, qui suivit la révolution, intercepta la rentrée de ses fonds. Mais il est incertain s'il succomba au renversement de sa fortune, ou si ses co-associés, qu'il pressait d'autant plus vivement que la fuite d'un grand nombre d'entre eux diminuait ses ressources, se délivrèrent par un meurtre de ses importunités et de la crainte d'une révélation indiscrète. Un pistolet déchargé, resté dans la forêt, un autre chargé que l'on trouva dans sa poche, et qui tous deux furent reconnus pour lui appartenir, fortifient le soupçon du suicide. Cependant, durant les trois jours qu'il vécut encore, il assura constamment qu'il avait été assassiné, que ses affaires étaient en bon état, et que personne ne perdrait rien, si l'on voulait s'en

tendre. Il témoignait le plus grand désir d'être transféré à sa maison de Paris, et recommandait particulièrement un portefeuille rouge, comme renfermant la sûreté de ses créanciers. La disparition de ce portefeuille, jointe aux diverses circonstances de sa mort, donna naissance à d'affreux soupçons, à une banqueroute de 53 millions, à des calamités d'autant plus déplorables, que 1,500 familles s'y trouvèrent englouties, et que ses malheureux prêteurs étaient absolument étrangers au secret (1) de ses opérations. Ainsi finit par un funeste désastre cette association de brigands, dont l'existence provoquait depuis 60 ans la vengeance céleste.

On tenta néanmoins encore, et même avec quelque succès, de faire sortir des grains hors du royaume. Mais cette exportation fut bientôt arrêtée par le rétablissement des barrières sur les frontières, et par cette chaîne de gardes que le peuple avait eu l'imprudence de rompre dans les premiers momens d'effervescence. Les moteurs des troubles et des désordres sentirent la né cessité de changer alors de batterie, et employèrent tous leurs efforts à répandre de vaines terreurs, à égarer dans son cours une circulation qu'ils ne pouvaient empêcher, à altérer les denrées, à acheter à grand prix l'inaction des hommes chargés de les préparer; et telle fut leur habileté dans ces cruelles manœuvres, qu'ils réussirent à occasionner une disette réelle au sein de l'abondance, et à faire apparaître le fantôme épouvantable de la famine aux yeux des malheureux Parisiens, que l'activité du comité des subsistances avait arrachés à sa fureur. (Moniteur.)

C

(1) Ce secret lui paraissait d'une telle importance, qu'il ne permettait même pas qu'on cherchât à le pénétrer, et remboursait sur-le-champ ceux qui lui montraient quelque envie de connaître le genre de ses pla

[merged small][subsumed][subsumed][subsumed][merged small][graphic]

DU DEUXIÈME VOLUME.

PRÉFACE. Du défaut d'initiative dans l'assemblée nationale, et des inté-
rêts bourgeois.

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

HISTOIRE PARLEMENTAIRE.—JUIN 1789.-Serment du Jeu-de-Paume,

p. 1,

3. SÉANCE dans l'église Saint-Louis, p. 6. - Réunion de la

majorité du clergé, p. 7. SÉANCE royale du 23 juin, p. 44. - Dé-

claration du roi, p. 13.— Déclaration des intentions du roi, p. 46.

Déclaration de l'assemblée nationale, p. 25. Émeute à Versailles,

p. 26.-Réunion de la minorité du clergé et de la noblesse à l'assemblée

nationale, p. 27. — Émeutes de Paris; prise de l'Abbaye, p. 31. —

Disposition des gardes-françaises et de l'armée, p. 35.-Club breton,

plus tard des Jacobins, p. 36. — Avis au peuple, par Marat, p. 57.

Clubs du Palais-Royal; disette, p. 39, 40.

JUILLET 1789. Mirabeau parle contre les rassemblemens de troupes, et

pour la formation de gardes bourgeoises, p. 42, 51. — Adresse au roi

pour le renvoi des troupes, p. 55.-Discours de Mounier, rapporteur

du comité, sur la constitution, p. 57. Bruits sur la conspiration de

la cour contre l'assemblée nationale, p. 67,69.-Brochures sur le même

sujet, p. 70, Physionomie de Paris, p. 69, 70, 72. - Projets de la

destitution de Necker, p. 73.-Incendie des barrières de Paris, p. 70,

75. — Lettre du roi à l'assemblée sur le séjour des troupes; proposi-

tion de transporter le lieu de ses séances à Noyon ou à Soissons, p. 74.

Projet de déclaration des droits, par M. la Fayette, p. 77, 79.

-Paris, dimanche 12 juillet. Nouvelle du changement de ministère;

Camille Desmoulins au Palais-Royal; engagemens avec les troupes,

p. 81, 84.- SÉANCE permanente de l'assemblée; la Fayette nommé

vice-président, p. 85, 92. - Paris, lundi 15 juillet. Arrêté des élec-

teurs réunis à l'hôtel-de-ville pour la formation d'une garde civique,

p. 92, 93.-Deuxième arrêté portant organisation de la milice, p. 94.

-Insurrection de Paris, p. 95, 101. Terreur à Versailles, p. 104.

[ocr errors]

-

« PreviousContinue »