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aime la liberté, il suffit qu'elle la connaisse; et que, pour qu'elle soit libre, il suffit qu'elle le veuille.

Le second objet d'utilité est d'exprimer ces vérités éternelles d'où doivent découler toutes les institutions, et devenir, dans les travaux des représentans de la nation, un guide fidèle qui les ramène toujours à la source du droit naturel et social.

Il considère cette déclaration comme devant s'arrêter au moment où le gouvernement prend une modification certaine et déterminée, telle qu'est en France la monarchie; et renvoyant à un autre ordre de travail, d'après le plan proposé, l'organisation du corps législatif, la sanction royale qui en fait partie, etc., etc., il a cru devoir désigner d'avance le principe de la division des pouvoirs. Ensuite il a ajouté:

Le mérite d'une déclaration des droits consiste dans la vérité et la précision; elle doit dire ce que tout le monde fait, ce que tout le monde sent. C'est cette idée, Messieurs, qui seule a pu m'engager à tracer une esquisse que j'ai l'honneur de vous présenter.

Je suis bien loin de demander qu'on l'adopte; je demande seulement que l'assemblée en fasse faire des copies pour être distribuées dans les différens bureaux ; ce premier essai de ma part engagera d'autres membres à présenter d'autres projets qui rempliront mieux les vœux de l'assemblée, et que je m'empresserai de préférer au mien.»

On applaudit vivement.

M. le marquis de la Fayette fait lecture du projet qui suit :

« La nature a fait les hommes libres et égaux; les distinctions nécessaires à l'ordre social ne sont fondées que sur l'utilité générale.

> Tout homme naît avec des droits inalienables et imprescriptibles; telles sont la liberté de toutes ses opinions, le soin de son honneur et de sa vie; le droit de propriété, la disposition entière de sa personne, de son industrie, de toutes ses facultés; la communication de ses pensées par tous les moyens possibles, la recherche du bien être, et la résistance à l'oppression.

L'exercice des droits naturels n'a de bornes que celles qui en assurent la jouissance aux autres membres de la société.

>Nul homme ne peut être soumis qu'à des lois consenties par lui ou ses représentans, antérieurement promulguées et légalement appliquées.

Le principe de toute souveraineté réside dans la nation.

› Nul corps, nul individu ne peut avoir une autorité qui n'en émane expressément.

> Tout gouvernement a pour unique but le bien commun. Cet intérêt exige que les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire,soient distincts et définis, et que leur organisation assure la représentation libre des citoyens, la responsabilité des agens et l'impartialité des juges.

» Les lois doivent être claires, précises, uniformes pour tous les citoyens.

> Les subsides doivent être librement consentis et proportionnellement répartis.

> Et comme l'introduction des abus, et le droit des générations qui se succèdent, nécessitent la révision de tout établissement humain, il doit être possible à la nation, d'avoir, dans certains cas, une convocation extraordinaire de députés, dont le scul objet soit d'examiner et de corriger, s'il est nécessaire, les vices de la constitution.»

M. le comte de Lally-Tolendal. Messieurs, j'appuie la motion qui vous est présentée, à quelques lignes près, susceptibles de quelques discussions. Tous ces principes sont sacrés; les idées sont grandes et majesteuses, et l'auteur de la motion parle de la liberté comme il l'a su défendre.

Ici des applaudissemens universels interrompent l'orateur,
Après que le calme est rétabli, il continue ainsi :

Cette motion doit être l'objet de notre travail.

Cependant, plus le fond de cette déclaration nous paraît séduisant, plus nous devons être en garde contre la forme que nous lui donnerons. Permettez donc que j'insiste sur les craintes dont

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je ne peux me défendre, et que je dépose mes alarmes dans le sein de votre patriotisme.

D'abord, n'oublions jamais la différence énorme d'un peuple naissant qui s'annonce à l'univers, d'un peuple qui, las du joug qui l'écrase, le secoue, et brise ses fers; ou d'un peuple ancien, immense, qui depuis quatorze cents ans obéit à un prince qu'il a chéri quand il était réglé par la vertu, et qu'il idolâtrera quand il sera dirigé par les mœurs.

Il est affreux de le dire, plus affreux de le penser, la calomnie nous assiége; elle recueille nos discours pour les empoisonner: et quelle occasion funeste ne lui offririons-nous pas, si nous ne nous étendions que sur le droit de la nature!

Il se ferait bientôt une interprétation maligne de nos pensées, de nos sentimens.

Que serait-ce, si quelques esprits pervers qui ne comprendraient pas nos principes, s'abandonnaient à des désordres dont nous gémirions nous-mêmes!

Il faut aller plus loin : le peuple souffre, et il nous demande plus de secours que de définitions arbitraires.

Hatons-nous de joindre à cette déclaration des droits les principes de la constitution; et alors, Messieurs, quels puissans motifs n'avons-nous pas de doubler nos efforts pour soulager la pénurie du trésor public et l'indigence des créanciers de l'Etat.

Adoptons pour l'avenir cette motion; faisons-en nos principes, nos sentimens ; mais qu'elle ne nous arrête pas à ce seul but.

Que la déclaration de nos droits soit la déclaration de tous, que le sujet, que le monarque, y trouvent également les leurs; que ce soit un engagement, un pacte social qui lie, qui engage toutes les parties.

Je rends à la motion de M. de la Fayette tous les hommages qu'elle mérite; mais je demande qu'il ne soit rien délibéré sur cette motion que par le même acte qui consentira à la constitution.

A la fin de ce discours, les applaudissemens recommencent

dans toutes les parties de la salle, et ils sont long-temps prolongés.

L'opinion de M. Lally-Tolendal prévaut; l'assemblée ne juge pas à propos de délibérer encore sur eet objet.

La séance est levée.]

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Paris.-Dimanche 12 juillet (1).

La nouvelle du changement de ministère ne fut connue à Paris. que vers les neuf heures du matin. On remarquait un mouvement extraordinaire de troupes; on voyait passer dans la ville, des cavaliers, des fantassins et jusqu'à de l'artillerie. On lisait au coin des rues, d'énormes affiches, où de par le roi on invitait les Parisiens à rester chez eux, à ne point se rassembler, et dans lesquelles on prévenait la population qu'elle n'eût point à s'effrayer de la présence des corps armés réunis par mesure de précaution 'contre les brigands.

Cependant, vers midi, la nouvelle n'était pas encore devenue publique. Le Palais-Royal était plein de monde, on s'interrogeait sur ce grand mouvement militaire, sur ce singulier placard. Enfin un jeune homme cria la fatale nouvelle. Les premiers qui l'entendirent, refusèrent de la croire et se jetèrent sur le malheureux orateur; on allait le précipiter dans un des bassins, lorsqu'un député du Tiers, qui se fit connaître, vint l'arracher à ces furieux, en confirmant tout ce qu'il avait dit. La nouvelle vola en un instant d'une extrémité du jardin à l'autre. En ce moment, il était midi et le canon du palais vint à tonner. Je ne puis rendre, dit l'Ami du roi, le sombre sentiment de terreur dont ce bruit pénétra toutes les âmes. A cet instant, Camille Desmoulins monte sur une table, crie aux armes, tire l'épée, montre un pistolet, arrache une feuille d'arbre et se la mét pour cocarde au chapeau. On lui répond par d'affreux hurlemens. Plusieurs milliers d'hommes, à

(1) Nous nous serions épargné beaucoup de travail en nous bornant à donner la narration des trois journées qui vont suivre, d'après le Moniteur. Mais le compte rendu de ce journal n'est pas seulement incomplet, il a encore le défaut de confondre les événemens. Il nous a paru possible d'abréger, et d'être cependant plus exacts.

T. II.

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son imitation, se parent de la cocarde qu'il vient d'improviser. On décide que les jeux, les spectacles seront fermées, les danses défendues, et des pelotons s'échappent porter cet ordre qui fut suivi. Un autre peloton court chez Curtius (1), y prend les bustes de Necker et du duc d'Orléans, on les couvre de crêpes et on les porte dans les rues, au milieu d'un cortége nombreux d'hommes armés de bâtons, d'épées, de pistolets ou de haches, et l'on va ainsi promener la fatale nouvelle et l'exemple de l'insurrection, Le cortège défila de la rue de Richelieu, par le boulevart, par les rues Saint-Martin, Grenétat, Saint-Denis, la Ferronnerie, SaintHonoré, et vint se présenter sur la place Vendôme : il était alors composé de cinq ou six mille individus déguenillés, disent les royalistes. Là il fut attaqué et dissipé par un détachement de dragons qui était sur cette place. Le buste de Necker fut brisé; un garde française sans armes fut tué, et quelques personnes

blessées.

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En même temps, divers engagemens avaient lieu dans Paris. Dans quelques lieux, on jeta des pierres aux soldats. Dans d'autres il y eut des coups de fusil tirés et quelques victimes (2).

Aux barrières, les troubles de la veille recommençaient. Aux Porcherons, un détachement de Royal-Allemand fit feu sur le peuple, il y eut un homme tué et plusieurs blessés par cette décharge (5); mais comme il n'y avait pas assez d'hommes pour garder toutes les barrières, ailleurs le peuple put sans obstacle poursuivre leur destruction qui continua presque toute la nuit.

Cependant, M. de Bezenval, commandant la force armée, avait donné ordre à toutes les troupes qu'il avait dispersées dans Paris, et qu'il avait laissées sans ordre toute la journée, de se réunir sur la place Louis XV. Ce mouvement de concentration s'achevait au moment où une population nombreuse revenant des ChampsElysées, remplissait le jardin des Tuileries. Il lui prit envie, c'est son expression devant le Châtelet, de repousser tout ce peuple;

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