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citoyen paisible qui, croyant abandonner son pays pour concourir à la paix générale, se trouve tout à coup transporté dans une ville de guerre, au milieu du tumulte d'un camp, exposé à la brutalité d'un soldat qui, par instinct, par métier, par une impulsion secrète des préjugés de son pays, est dévoré sans cesse de la soif de répandre le sang français.

On remarque l'indiscipline effrénée des hussards qui, dans les vapeurs du vin, courent çà et là dans les rues de Versailles, comme des furieux prêts à commettre les plus horribles assassinats, et faisant fuir à leur aspect les citoyens épouvantés.

Déjà des assassinats ont été commis par cette troupe de forcenés. Ces massacres jettent ici l'effroi dans tous les cœurs; le désordre, les émeutes, les malheurs se succèdent rapidement depuis leur arrivée. Les États-Généraux, le roi, les princes ne sont plus en sûreté depuis que ces barbares se sont répandus dans nos plaines.

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A tous momens les gardes du corps montent à cheval, font eux-mêmes la patrouille; les suisses environnent le château; les canons sont braqués de toutes parts et en tous lieux; à tous momens l'on parle de rompre les ponts, de poser des barrières, c'est-à-dire des canons sur les chemins.

Abandonnerons-nous le champ de bataille où le ministère le plus coupable, le plus criminel de la France, offre à un fer étranger, à un fer qui ne s'est teint que du sang français, les malheureuses vietimes de son imprudence, ou plutôt de la perversité de ses conseils? 1.

Transportons-nous dans la salle du conseil.

Tout ce qui s'y passe est vraiment alarmant. Pour dissiper une émeute de cinq à six cents hommes qui, luttant depuis longtemps contre les horreurs du besoin, ne sont plus que des fantômes animés, ne met-on pas en marche une armée de cinquante mille hommes?

Mais pourquoi placer des canons sur les chemins, dans tous les châteaux, dans toutes les places, dans les jardins? est-ce pour arrêter l'effervescence de quelques citoyens, emportés

trop loin par leur zèle et leur patriotisme? Croit-on qu'il faut pour cela tout l'attirail militaire, et placer une armée aux portes de Paris? on s'abuse; un mot de bonté de la bouche du souverain, plus de confiance dans les représentans de la nation, l'expulsion de ces pandours qui donnent de l'ombrage même aux bons citoyens, fera plus que les cinquante mille hommes qui nous environnent.

Quatre objets s'agitent aujourd'hui dans le conseil: quelques révélations en ont donné la certitude.

1° Faire cesser les États-Généraux, et pour cela enlever les membres à minuit, les faire conduire tous chez eux, en donnant ordre aux maîtres de poste de fournir des chevaux à l'officier qui les accompagnera;

2o Vendre la Lorraine à l'empereur (qui la paiera, bien entendu, avec les six millions qu'on lui a prêtés);

3° Tenir une séance royale où le roi apportera quatre déclarations: l'une établissant des États-Provinciaux et des ÉtatsGénéraux de trois ans en trois ans; les dépenses des ministres fixées selon le taux de leurs dépenses actuelles, etc.

La seconde déclaration contiendra la suppression de la gabelle remplacée par l'impôt territorial.

La troisième, un emprunt d'un milliard pour payer et rembourser les dettes.

4o Une déclaration qui dissout au moment même les EtatsGénéraux.

Si ces projets doivent être réalisés, ce que sans doute la clairvoyance et la force du peuple préviendront, on peut conjecturer les plus horribles calamités.]

Voilà ce que dit le Moniteur, n° 17; voici ce que nous ajoutons à ces renseignemens:

Le régiment royal-allemand, cavalerie, commandé par le prince de Lambesc, vint camper, le6, dans le jardin de la Muette. Le 6, il reçut l'ordre d'envoyer un détachement pour surveiller une troupe nombreuse d'ouvriers, qui étaient occupés à des travaux de terrassement à Montmartre, et parmi laquelle on aper

cevait de la fermentation. On disait, en effet, que ces travaux étaient dirigés contre Paris, et qu'ils devaient servir à l'établissement d'une batterie de canons. Le 8, il y cut une espèce d'enga gement; l'attroupement tenta de bruler la barrière; il fut repoussé, et l'on arrêta un ouvrier qui portait une espèce de drapeau formé d'un linge blanc attaché au haut d'une perche. Cet homme fut remis à la maréchaussée, arraché de ses mains par le peuple, et porté en triomphe au Palais-Royal,

Le 10, on colporta dans Paris, et l'on jeta sous les portes, un petit écrit ayant pour titre: Lettre de M... à son ami..., ce 9 juillet. Cette petite brochure est une pièce importante pour l'histoire du commencement de la révolution; non-seulement elle ne contient pas un seul mot qui ait été démenti; mais les écrivains royalistes eux-mêmes se rendent garans du plus grand nombre. Il est probable, au reste, qu'elle émanait du Club breton. En voici un extrait :

On nous assure que le roi tiendra une séance royale lundi prochain (13 juillet); que là il prononcera qu'il n'a jamais entendu rétracter ses déclarations, et qu'il entend qu'elles soient exécutées; il ajoutera qu'il voit avec plaisir la réunion de sa fidèle noblesse aux autres parties des États-Généraux... Le roi ordonnera que pour donner le temps aux députés qui ont des mandats impératifs, d'aller les faire changer, il proroge les États-Géné raux à un mois....

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J'espère, disait un homme assez facile à reconnaître au ton de ce propos, j'espère que sous peu de jours nous chasserons ce coquin de Necker, et que nous nous débarrasserons de ces polissons.

› Vous avez dù être étonné d'apprendre que les membres de la majorité (la noblesse), après avoir annoncé un voyage dans leurs bailliages respectifs, n'ont pourtant point quitté Versailles. Tel est le billet que l'on colporte, adressé à M. le duc de Luxembourg: «Jevous préviens, mon cher, de ne point aller en Poitou, ni vous, ni vos co-députés; il se passera bientôt tel événement qui vous dispensera du voyage.

› Trouvez-vous rien de plus ridicule que la garde que M. d'Au

tichamp monte, toutes les nuits, au pont de Sèvres et de SaintCloud? Vous savez qu'il y a huit canons à Sèvres, et que les passans y sont reçus la nuit comme dans un camp ennemi.... Avanthier, il y avait une noce dans une guinguette de Vaugirard; aussi l'armée de Sèvres passa la nuit dans des alarmes continuelles... >

Réponse de M... à son ami... qui fait partie de la même bro

chure.

› Les aristocrates, dans l'ivresse de leur joie, n'ont pu se contenir; ils ont répandu que le roi avait dit expressément de ne pas s'éloigner... Que dans peu tout serait fini. Les gens sensés n'osent croire à la vérité du propos; mais ce qu'il y a de certain, c'est qu'un des jours de la semaine passéc, on est parvenu, à force de vins et de liqueur, à mettre l'abbé de Vermond (le lecteur de la reine) en gaîté; en cet état, on a parlé des affaires du jour : on lui a demandé quelles pouvaient être les vues du ministère. » Ce n'est rien, a-t-il répondu, ce n'est rien: on n'a d'autre dessein que de dissoudre les Etats-Généraux, et de demander de nouvelles élections. Vous voyez que le billet adressé à M. le duc de Luxembourg se rapporte parfaitement avec les propos de l'abbé de Vermond... On n'attendait que les troupes, qui doivent être toutes arrivées pour le 12 autre concordance avec le bruit d'une séance royale. Ces troupes, suivant l'état levé au bureau de la guerre, montent à 20,400 hommes, non comprises les troupes qui sont ordinairement à Paris et à Versailles...

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› Depuis long-temps, il est question d'armer la bourgeoisie de Paris : le moment est plus pressant que jamais, et je m'étonne de l'insouciance de nos habitans. Seront-ils mieux défendus par des étrangers que par eux-mêmes? N'ont-ils pas une propriété, une femme, des enfans, des parens à conserver? Eh bien! tout cela ne fait aucune impression sur leur esprit. Nous fermerons, disent-ils, nos boutiques : mais les portes de la prison de l'Abbaye étaient fermées ; et on en a retiré les prisonniers. Parisiens, leur dirai-je, sortez de vos spectacles, et de votre léthargie : les ennemis du bien public sont aux portes, et font marcher contre

vous des soldats étrangers. Assemblez-vous; formez-vous en compagnies, et défendez vos biens et vos parens.

..... Prenez courage, vous et vos co-députés. Personne n'osera attenter à votre liberté; et quiconque l'osera, la main du peuple s'appesantira aussitôt sur lui... Qu'ils tremblent !

‹ P. S. Il n'est pas que vous n'ayez appris les propos indécens tenus à l'OEil de Boeuf, par M. le duc de la Trémouille et M. le prince de Hénin, contre les députés et représentans de la nation et les comités secrets de M. le comte de Flahaut au Louvre. ›

Ces lettres suffisent pour donner une idée de tous les propos sur lesquels se formait la certitude d'une conspiration de la cour. Personne d'ailleurs, sauf le petit nombre des intéressés, ne l'a mise en doute.

Le soir du même jour où ces brochures furent colportées dans Paris, une compagnie d'artilleurs du régiment de Toul, caserné aux Invalides, vint fraterniser au Palais-Royal avec les jeunes gens et les gardes françaises, et porter des toasts à la nation. La bourgeoisie improvisa un souper aux Champs-Elysées, auquel vinrent prendre part, sous les yeux d'une foule immense, des canonniers, des grenadiers, des dragons, des gardes-françaises, des cavaliers de Royal-Cravatte. A huit heures, ils retournèrent dans leurs casernes sous la conduite de leurs sous-officiers. Il était évident, dit l'Ami du Roi, que si on leur laissait le temps, les Parisiens devaient débaucher toute l'armée et mettre le camp en déroute. Cette réflexion hâta, en effet, l'exécution du plan que la cour méditait depuis long-temps; car tout le monde la faisait.

Le lendemain, 11 juillet, M. Montmorin porta à M. Necker une lettre qui lui annonçait qu'il n'était plus ministre, et l'invitait en même temps à s'éloigner tout de suite de Paris, et à sortir de France. En effet, il monta aussitôt en voiture, sans même en avoir averti madame de Staël, et gagna la frontière de Flandre. Le changement du ministère était à peu près général. MM. de la Luzerne, de Saint-Priest, de Montmorin, reçurent aussi l'ordre de quitter la cour. M. de Breteuil était nommé président des finances; M. de la Golaizière contrôleur général; M. le maréchal

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