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Enfin, Messieurs, la lettre du roi à M. l'archevêque de Paris, en date du 2 juillet, après avoir exprimé les intentions paternelles de sa majesté, à l'égard des prisonniers dont la liberté suivrait immédiatement le rétablissement de l'ordre, annonce « qu'il va prendre des mesures pour ramener l'ordre dans la capitale, et qu'il ne doute pas que l'assemblée n'attache la plus grande importance à leur succès. ›

En ne considérant que ces expressions de la lettre du roi, la première idée qui semblait devoir s'offrir à l'esprit, était le doute et l'inquiétude sur la nature de ces mesures.

Cette inquiétude aurait pu conduire l'assemblée à demander dès-lors au roi qu'il lui plût de s'expliquer à cet égard, et de caractériser et détailler ces mesures pour lesquelles il paraissait désirer l'approbation de l'assemblée.

Aussi, dès ce moment, eussé-je proposé une motion tendante à ce but, si en comparant les expressions de la lettre du roi avec la bonté qu'elle respire dans toutes ses parties, avec les paroles précieuses qu'on nous a données comme l'expression affectueuse et paternelle du monarque: je trouve votre arrêté fort sage, je n'avais cru apercevoir dans ce parallèle de nouveaux motifs pour cette confiance, dont tout Français se fait gloire d'offrir des témoignages au chef de la nation.

Cependant quelle a été la suite de ces déclarations et de nos ménagemens respectueux? Déjà un grand nombre de troupes nous environnait. Il en est arrivé davantage, il en arrive chaque jour; elles accourent de toutes parts. Trente-cinq mille hommes sont déjà répartis entre Paris et Versailles. On en attend vingt mille. Des trains d'artillerie les suivent. Des points sont désignés pour les batteries. On s'assure de toutes les communications. On intercepte tous les passages : nos chemins, nos ponts, nos promenades, sont changés en postes militaires. Des événemens publics, des faits cachés, des ordres secrets, des contre-ordres précipités, les préparatifs de la guerre, en un mot, frappent tous les yeux, et remplissent d'indignation tous les cœurs.

Ainsi, ce n'était pas assez que le sanctuaire de la liberté eût été souillé par des troupes! ce n'était pas assez qu'on eût donné le spectacle inouï d'une assemblée nationale astreinte à des consigues militaires, et soumise à une force armée! ce n'était pas assez qu'on joignît à cet attentat toutes les inconvenances, tous les manques d'égards, et pour trancher le mot, la grossièreté de la police orientale. Il a fallu déployer tout l'appareil du despotisme, et montrer plus de soldats menaçans à la nation, le jour où le roi lui-même l'a convoquée pour lui demander des conseils et des secours, qu'une invasion de l'ennemi n'en rencontrerait peutêtré; et mille fois plus du moins qu'on n'en a pu réunir pour secourir des amis martyrs de leur fidélité envers nous, pour remplir nos engagemens les plus sacrés, pour conserver notre considération politique, et cette alliance des Hollandais si précieuse, mais si chèrement conquise, et surtout si honteusement perdue!

Messieurs, quand il ne s'agirait ici que de nous, quand la dignité de l'assemblée nationale serait seule blessée, il ne serait pas moins convenable, juste, nécessaire, important pour le roi lui-même, que nous fussions traités avec décence, puisqu'enfin nous sommes les députés de cette même nation, qui seule fait sa gloire, qui seule constitue la splendeur du trône, de cette nation qui rendra la personne du roi honorable, à proportion de ce qu'il l'honorera plus lui-même. Puisque c'est à des hommes libres qu'il veut commander, il est temps de faire disparaître ces formes odieuses, ces procédés insultans qui persuadent trop facilement à ceux dont le prince est entouré, que la majesté royale consiste dans les rapports avilissans du maître à l'esclave; qu'un roi légitime et chéri doit partout et en toute occasion ne se montrer que sous l'aspect des tyrans irrités, ou de ces usurpateurs tristement condamnés à méconnaître le sentiment si doux, si honorable de la confiance.

Et qu'on ne dise pas que les circonstances ont nécessité ces mesures menaçantes; car je vais démontrer qu'également inutiles et dangereuses, soit au bon ordre, soit à la pacification des es

prits, soit à la sûreté du trône, loin de pouvoir être regardées comme le fruit d'un sincère attachement au bien public et à la personne du monarque, elles ne peuvent servir que des passions particulières et couvrir des vues perfides.

Ces mesures sont inutiles. Je veux supposer que les désordres que l'on craint sont de nature à être réprimés par des troupes, et je dis que, dans cette supposition même, ces troupes étaient inutiles. Le peuple, après une émeute dans la capitale, a donné un exemple de subordination infiniment remarquable dans les circonstances. Une prison avait été forcée, les prisonniers en avaient été arrachés et mis en liberté : la fermentation la plus contentieuse menaçait de tout embraser... Un mot de clémence, une invitation du roi, ont calmé le tumulte et fait ce qu'on n'aurait jamais obtenu avec des canons et des armes; les prisonniers ont repris leurs fers, le peuple est rentré dans l'ordre ; tant la raison seule est puissante! tant le peuple est disposé à tout faire, lorsqu'au lieu de le menacer et de l'avilir, on lui témoigne de la bonte, de la confiance!

Et dans ce moment, pourquoi des troupes? Jamais le peuple n'a dû être plus calme, plus tranquille, plus confiant; tout lui annonce la fin de ses malheurs, tout lui promet la régénération du royaume. Ses regards, ses espérances, ses vœux reposent sur nous. Comment ne serions-nous pas auprès du monarque la meilleure garantie de la confiance, de l'obéissance et de la fidélité des peuples? S'il avait jamais pu en douter, il ne le pourrait plus aujourd'hui ; notre présence est la caution de la paix publique, et sans doute il n'en existera jamais de meilleure. Ah! qu'on assemble des troupes pour soumettre le peuple aux affreux projets du despotisme! mais qu'on n'entraîne pas le meilleur des rois, à commencer le bonheur, la liberté de la nation, avec le sinistre appareil de la tyrannie.

Certes, je ne connais pas encore tous les prétextes, tous les artifices des ennemis du peuple, puisque je ne saurais deviner de quelle raison plausible on a coloré le prétendu besoin de troupes au moment où non-seulement leur inutilité, mais leur danger frappe tous les esprits. De quel œil ce peuple, assailli de tant de calami

tés, verra-t-il cette foule de soldats oisifs venir lui disputer les restes de sa subsistance? Le contraste de l'abondance des uns, (du pain aux yeux de celui qui a faim est l'abondance), le contraste de l'abondance des uns et de l'indigence des autres, de la sécurité du soldat, à qui la manne tombe sans qu'il ait jamais besoin de penser au lendemain, et des angoisses du peuple, qui n'obtient rien qu'au prix des travaux pénibles et des sueurs douloureuses; ce contraste est fait pour porter le désespoir dans les

cœurs.

Ajoutez, Messieurs, que la présence des troupes frappant l'imagination de la multitude, lui présentant l'idée du danger, se liant à des craintes, à des alarmes, excite une effervescence universelle; les citoyens paisibles sont dans leurs foyers en proie à des terreurs de toute espèce. Le peuple ému, agité, attroupé, se livre à des mouvemens impétueux, se précipite aveuglément dans le péril, et la crainte ne calcule ni ne raisonne. Ici les faits déposent pour nous.

Quelle est l'époque de la fermentation? Le mouvement des soldats, l'appareil militaire de la séance royale. Avant, tout était tranquille; l'agitation a commencé dans cette triste et mémorable journée. Est-ce donc à nous qu'il faut s'en prendre, si le peuple qui nous a observés, a murmuré, s'il a conçu des alarmes lorsqu'il a vu les instrumens de la violence dirigés, non-seulement contre lui, mais contre une assemblée qui doit être libre pour s'occuper avec liberté de toutes les causes de ses gémissemens? Comment le peuple ne s'agiterait-il pas, lorsqu'on lui inspire des craintes contre le seul espoir qui lui reste? Ne sait-il pas que si nous ne brisons ses fers, nous les aurons rendus plus pesans, nous aurons livrés sans défense nos concitoyens à la verge impitoyable de leurs ennemis, nous aurons ajouté à l'insolence du triomphe de ceux qui les dépouillent et qui les insultent?

Que les conseillers de ces mesures désastreuses nous disent encore s'ils sont sûrs de conserver dans sa sévérité la discipline militaire, de prévenir tous les effets de l'éternelle jalousie entre les troupes nationales et les troupes étrangères, de réduire les

soldats français à n'être que de purs automates, à les séparer d'intérêts, de pensées, de sentimens d'avec leurs concitoyens? Quelle imprudence dans leur système de les rapprocher du lieu de nos assemblées, de les électriser par le contact de la capitale, de les intéresser à nos discussions politiques? Non, malgré le dévoûment aveugle de l'obéissance militaire, ils n'oublieront pas ce que nous sommes, ils verront en nous leurs parens, leurs amis, leur famille occupée de leurs intérêts les plus précieux; car ils font partie de cette nation qui nous a confié le soin de sa liberté, de sa propriété, de son honneur. Non, de tels hommes, non, des Français ne feront jamais l'abandon total de leurs facultés intellectuelles; ils ne croiront jamais que le devoir est de frapper sans s'enquérir quelles sont les victimes.

Ces soldats bientôt unis et séparés par des dénominations qui deviennent le signal des partis ; ces soldats dont le métier est de manier les armes, ne savent, dans toutes leurs rixes, que recourir au seul instrument dont ils connaissent la puissance. De là naissent des combats d'homme à homme, bientôt de régiment à régiment, bientôt des troupes nationales aux troupes étrangères, le soulèvement est dans tous les coeurs, la sédition marche tête levée; on est obligé, par faiblesse, de voiler la loi militaire, et la discipline est énervée. Le plus affreux désordre menace la société; tout est à craindre de ces légions qui, après être sorties du devoir, ne voient plus leur sûreté que dans la terreur qu'elles inspirent.

Enfin, ont-ils prévu, les conseillers de ces mesures, ont-ils prévu les suites qu'elles entraînent pour la sécurité même du trône? Ont-ils étudié dans l'histoire de tous les peuples comment les révolutions ont commencé, comment elles se sont opérées? Ontils observé par quel enchaînement funeste de circonstances les esprits les plus sages sont jetés hors de toutes les limites de la modération, et par quelle impulsion terrible un peuple enivré se précipite vers des excès dont la première idée l'eût fait frémir? Ont-ils lu dans le cœur de notre bon roi ? Connaissent-ils avec quelle horreur il regarderait ceux qui auraient allumé les flammes d'une

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