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pouvoir législatif; l'assemblée ne peut vouloir autoriser de semblables conférences.

Le pouvoir législatif est le seul qui puisse prononcer des lois avantageuses au peuple qu'il représente, et dont il connaît les besoins. Sans doute le discours du roi, si nous eussions pu en deviner les principes et les motifs, eût éprouvé dans l'assemblée nationale le sort qu'a justement éprouvé ces jours derniers le rapport envoyé par son ministre.

J'adopte en entier l'avis de M. le duc de la Rochefoucault.

M. de Volney. Je n'avais demandé la parole que pour une question incidente, cependant comme elle se rapproche beaucoup de celle dont on s'occupe à présent, j'ose solliciter un instant d'attention. Je serai court.

M. de Volney s'élève contre les motifs d'intérêts particuliers, qui s'opposent constamment dans l'assemblée à l'intérêt général, et propose une motion dont l'objet est d'engager l'assemblée à s'occuper, sans délai, de l'organisation des nouvelles législatures, et de l'énonciation des qualités nécessaires pour être électeur et éligible. L'assemblée alors ordonuera une élection générale, et de nouveaux représentans viendront remplacer ceux qui sont actuellement en activité. (Applaudissemens, marques presque universelles d'adhésion.)

Cependant, M. Guillotin rappelle la question à l'ordre du jour. Alors, le président, au milieu des réclamations d'une partie de l'assemblée, lève la séance.

SÉANCE DU VENDREDI SOIR.

Après de longs débats, on vote un arrêté sur la circulation des grains; et l'on décide que le président se retirera auprès du roi, pour en demander la promulgation.

Paris. La nouvelle de cet ajournement eut, un mois auparavant, causé une émeute. Mais le Palais-Royal était dissous ou surveillé ; les districts occupés d'affaires d'administration, et surtout de subsistances; et le 19 septembre, l'assemblée des trois

cents nouveaux représentans de la commune prenait séance, et prêtait serment en des termes vagues, parfaitement en rapport avec l'incertitude du rôle qu'elle devait remplir: nous jurons, dirent-ils, et promettons de remplir fidèlement les fonctions qui nous ont été confiées, La presse elle-même ne fut pas bruyante comme elle le devait : elle manquait d'ailleurs de hardiesse ; n'ayant plus l'appui populaire, elle n'avait pas encore celui de la loi. Marat seul ne fit pas défaut.

« Je supplie mes lecteurs, disait-il, je les supplie d'observer avec soin que les articles à sanctionner, sur lesquels le roi, ou plutôt ses ministres, ont élevé des difficultés, sont ceux de l'indemnisation des redevances pécuniaires, de la suppression des dîmes avant d'avoir pourvu aux besoins des prélats, de la suppression de la vénalité des charges, de la suppression des pensions, etc. Ils n'ont donc en vue, dans ce refus de sanction, que de se ménager un parti formidable, le clergé, l'ordre de Malte, les tribunaux, les négocians, les financiers et la foule innombrable des créatures que le prince achète des deniers de l'État.

> Je les supplie aussi d'observer qu'en refusant d'exécuter à la rigueur le décret sur la circulation et l'exportation des grains, ils cherchent à se ménager le moyen de continuer à les accaparer, et de réduire le peuple à la famine.

> Je les supplie encore d'observer qu'ils n'attendent que le travail sur les finances pour arrêter les travaux de l'assemblée nationale, réduire en fumée le grand œuvre de la constitution, et remettre le peuple dans les fers.

› Voilà donc enfin mes craintes sur les dangers de la fausse marche que l'assemblée suit depuis deux mois, justifiées par l'événement....

› Voilà donc le prince rendu l'arbitre suprême des lois, cherchant à s'opposer à la constitution avant même qu'elle soit ébauchée.

› Voilà donc ces ministres si ridiculement exaltés, ne songeant plus qu'à remettre dans les mains du monarque les chaînes

du despotisme que la nation en a fait tomber.» (L'Ami du peuple, n° X, 20 septembre.)

Si l'on considère que ces beaux sacrifices (du 4 août) ont été proposés au moment même où il n'y avait plus qu'à recueillir les voix pour délibérer sur la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, on sera tenté de craindre que la confiante loyauté des députés du Tiers-état, n'ait été exposée aux entreprises de la politique, couverte du masque du patriotisme. Et de fait, comment n'ont-ils pas senti que tous ces sacrifices, annoncés avec art, ne sont que des conséquences nécessaires des lois fondamentales à établir? Comment n'ont-ils pas senti que le corps-législatif ne doit procéder au bien des peuples que par des lois générales (1)....

› A quoi en serons-nous réduits, bon Dieu! s'il s'assujettit à discuter séparément chaque conséquence des lois fondamentales? et quand sera jamais terminé le grand œuvre de la constitution? Ne nous y fions pas; on cherche à en reculer l'époque, jusqu'à ce qu'on ait trouvé quelque moyen de s'y opposer; on cherche à nous endormir, on cherche à nous leurrer..... J'aurais dévoilé ce complot depuis six semaines, si la pusillanimité de mes imprimeurs ne m'en eût empêché. » Marat applaudit donc de toutes ses forces à la proposition de M. de Volney, qui aurait, dit-il, pour résultat de purger l'assemblée des députés du clergé et de la noblesse qui ont cessé d'être corps dans l'État..

Pour apprécier la portée et connaître le retentissement des ob

(1) « Un inconvénient bien fâcheux de cette fausse marche est que le corps-législatif ne s'est occupé qu'à détruire, sans réfléchir combien il était indispensable de construire le nouvel édifice avant de démolir l'ancien. Abolir était chose aisée: mais aujourd'hui que le peuple ne veut payer aucun impôt qu'il ne connaisse son sort, comment les remplacer? Et comment, dans ces jours d'anarchie, pourvoir aux besoins pressans des vrais ministres de la religion? Comment soutenir le poids des charges publiques? Comment faire face aux dépenses de l'état?

» Un autre inconvénient de cette fausse marche du corps-législatif est d'avoir négligé le soin des choses les plus urgentes; le manque de pain l'indiscipline et la désertion des troupes; désordres portés à un tel degré, que, sous peu, nous n'aurons plus d'armée, et que les peuples sont à la veille de mourir de faim.» (Ami du peuple. Note.)

servations de l'Ami du peuple, il faut savoir que ce journal mal écrit, mais plein de sens, avait déjà un nombreux public. A cette époque, on lisait énormément, car on ne lisait que les écrits qui traitaient des affaires publiques ; l'attention n'était pas éparpillée, ainsi qu'aujourd'hui, sur une multitude de livres vides et sans portée, et qui n'ont d'autre résultat que d'exciter et d'épuiser l'imagination sur de mauvaises et de stériles pensées.

Cependant, au milieu du calme apparent, sous cette surface presque paisible que formait la bourgeoisie, il y avait une sourde et profonde agitation. Versailles avait été menacé, le 18, d'une invasion parisienne.

M. la Fayette écrivait au ministre M. de Saint-Priest : M. de la Rochefoucauld vous aura dit l'idée qu'on avait mise dans la tête des grenadiers (les gardes-françaises), d'aller cette nuit à Versailles. Je vous ai mandé de n'être pas inquiet, parce que je comptais sur leur confiance en moi pour détruire ce projet, et je leur dois la justice de dire qu'ils avaient compté me demander la permission... Cette velléité est entièrement détruite par les quatre mots que je leur ai dits, et il ne m'en est resté que l'idée des ressources inépuisables des cabaleurs. Vous ne devez regarder cette circonstance que comme une nouvelle indication de mauvais desseins, mais non, en aucune manière, comme un danger réel. Envoyez ma lettre à M. de Montmorin.... On avait fait courir la lettre dans toutes les compagnies de grenadiers, et le rendez-vous était pour trois heures, à la place Louis XV. › ( Mémoires de Bailly.)

Quels étaient les cabaleurs? les gens du peuple. Ils étaient en effet profondément persuadés que la disette ainsi que les retards aux bienfaits que leur promettait le mot constitution, étaient le résultat d'une conspiration de la cour, à laquelle le roi était étranger, mais dont il subissait l'influence; on eroyait donc qu'il suffisait de posséder le roi, pour que tous les maux qu'on souffrait, prissent fin aussi les gardes-françaises voulaient aller à Versailles pour s'emparer de la garde du château, et il y eut quelque mou

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vement parmi les ouvriers, qui avaient projet de les accompagner. M. Bailly dit qu'il eut quelque peine à les arrêter.

Nous allons maintenant laisser parler le Moniteur. Les faits dont il rend compte constituent une si terrible accusation contre la cour, que nous n'avons rien voulu changer au texte, de crainte qu'on ne nous accusât d'avoir arrangé cette effrayante justification des colères révolutionnaires.

[Tout annonce depuis plusieurs jours l'approche d'un violent orage. Les partisans des anciens abus, c'est-à-dire, presque tous ceux qui en profitaient, désespérés d'une révolution qui, affranchissant le trésor public du tribut auquel l'avaient assujetti la bassesse et l'intrigue, sapait les fondemens de leur fortune, se liguent pour la faire échouer, et relever l'idole du despotisme. L'intérêt de l'autorité royale, si long-temps chère à la nation, qui durant tant de siècles n'avait trouvé qu'en elle seule un rempart contre la tyrannie des prêtres et des grands, mais que les vexations des ministres et le brigandage des favoris avait depuis rendue si redoutable; un feint attendrissement sur le sort du roi qu'ils représentent dépouillé, avili, détrôné, et qu'ils avaient en effet réduit à cette condition déplorable jusqu'au moment où le peuple le délivra enfin du cruel et honteux esclavage auquel ils l'avaient condamné, sont les prétextes dont ils usent pour colorer leurs perfides projets, pour donner une impulsion aux esprits peu éclairés, et rallier autour de leurs bannières une multitude d'hommes honnêtes, mais faibles, et plus susceptibles de recevoir une impression, que de se décider par des motifs raisonnés.

C'est par ces artifices que, lors de la fameuse question de la sanction royale, ils parvinrent à séduire une grande partie de l'assemblée nationale elle-même, en présentant les sages précautions de la liberté comme des attentats contre la personne du prince, et les patriotes comme des conjurés. Comme si les vrais soutiens de la puissance du monarque n'étaient pas ceux qui l'affermissent sur la base immuable et sacrée de la constitution, et les vrais conspirateurs, ceux qui mettent tout en œuvre pour dégrader à

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