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donner dans le piége. Vous êtes aussitôt traités en révoltés : le sang coule le fléau de la guerre civile fond sur vous... Vous frémissez! Ce n'est cependant pas tout ce bouleversement général provoque à l'instant l'arrêt de mort de l'assemblée nationale : elle est dissoute par la violence; car la violence ouverte paraît alors une ressource légitime à vos ennemis....

» Vous sentez maintenant, sans doute, quel pressant intérêt vous engage à rétablir, à conserver parmi vous le calme et la paix.... Laissez done, laissez patiemment s'entasser, autour de vos murs indignés, des soldats, des armes, des munitions, que votre prudence saura rendre inutiles. Ne souffrez plus désormais qu'ils retentissent au milieu de vous ces bruits séditieux, incendiaires, qui ne peuvent que vous porter à de désastreux excès, et qui font gémir les bons citoyens. Repoussez comme des traîtres, notez-les d'infamie, ceux qui, ne rougissant point de s'en rendre les organes, osent semer l'alarme au moment où le calme èt la tranquillité sont le plus nécessaires....

-> Oui, soyez-en persuadés, si vous ne troublez pas cette pré cieuse harmonie (qui règne à l'assemblée nationale)... par un prodige dont les annales d'aucun peuple ne présentent d'exemple, la révolution la plus salutaire, la plus importante, se consomme irrévocablement, sans qu'il en coûte ni sang à la nation, ni larmes à l'humanité !

Le calme n'était point si facile à obtenir que le pensait Marat. Le marquis de Launay, gouverneur de la Bastille, effrayé de ce qui venait de se passer à l'Abbaye, fit dans cette citadelle quelques mouvemens dont le faubourg Saint-Antoine fut effrayé. Il fit saillir à travers les créneaux des tours les bouches de ses canons, et les fit charger; la garnison fut renforcée d'un détachement du régiment de Salis-Samade; les postes furent doublés. L'on vit entrer des munitions de toute espèce, et l'on remarqua que M. de Launay faisait de fréquens voyages à Versailles. D'ailleurs, les précautions analogues furent prises à la Force; la garde de cette prison fut augmentée de cinquante hommes.

On annonçait, et l'on croyait généralement, de l'aveu même

des royalistes, que le roi tiendrait bientôt un nouveau lit de justice, et prorogerait ou dissoudrait l'assemblée nationale.

La colère publique contre les opposans se manifestait par des brochures dont on inondait la capitale. Voici les titres de quelques-unes des plus virulentes: Lettres au comte d'Artois; Confession de madame de Polignac, etc. Les motions au Palais-Royal n'avaient pas diminué de violence. On prenait des décisions imaginaires sur les objets de la haine publique. On simulait des jugemens, et l'on condamnait le comte d'Artois, les princes de Condé, de Conti, le duc de Bourbon, madame de Polignac, MM. de Vaudreuil, de la Trémouille, de Villedeuil, de Barentin, Berthier, Foulon, Linguet, d'Espremenil, etc.; des placards affichés journellement dans presque toutes les rues, répétaient ces singuliers décrets. Dans l'un, on bannissait à cent lieues MM. de Condé et de Conti; dans un autre, on exilait de France M. et madame de Polignac; dans un troisième, on condamnait l'abbé Maury à être attaché à un carcan, sur le Pont-Neuf, jusqu'à la fin des Etats-Généraux. On jouait sur le mot aristocrate; on appelait l'un aristocrâne, l'autre aristocroc, un autre, aristocruche; l'archevêque de Paris était un aristocrossé. On disait que le comte d'Artois avait un duel avec M. de Ségur, qui avait perdu son bras droit, etc. Il ne faudrait pas croire que ces plaisanteries ne portassent pas coup. Il n'est pas un de ces personnages qui eût osé se présenter dans Paris. Le prince de Conti étant venu un jour à'l'Opéra, en fut chassé par les huées et les sifflets. MM. de Sombreuil et Polignac, officiers de hussards, s'étant présentés au Palais-Royal, y causèrent une émeute. Ils échappèrent avec peine, et grâce à leurs sabres. Il y eut plus d'une scène semblable; les rues n'étaient sûres pour personne, dès qu'il portait un nom signalé à la colère publique.

Mais il y avait encore un élément de fermentation plus invincible et plus redoutable : c'était la disette. Afin que l'on puisse savoir de quels conseils et de quelles démarches elle pouvait être l'objet, nous citerons ce passage d'un journal royaliste du temps

(l'Ami du Roi, 3o cahier, page 39); et nous ajouterons que nous ne connaissons pas un écrit qui ne s'accorde avec lui sur les faits qu'il nous révèle.

Plus on approchait du 14 juillet, plus la disette augmentait: chaque boutique de boulanger était environnée d'une foule à qui on distribuait le pain avec la plus grande parcimonie, et la distribution était toujours accompagnée de craintes sur l'approvisionnement du lendemain. Les craintes redoublaient par les plaintes de ceux qui ayant passé une journée entière à la porte d'un boulanger, n'avaient cependant rien pu obtenir. Souvent la place était ensanglantée; on s'arrachait l'aliment, on se battait; les ateliers étaient déserts; les ouvriers, les artisans, perdaient leur temps à disputer, à conquérir une légère portion de nourriture, et, par cette perte de temps, se mettaient dans l'impossibilité de payer celle du lendemain. Il s'en fallait de beaucoup que ce pain, arraché avec tant d'efforts, fût un aliment sain: il était en général noirâtre, terreux, amer, donnait des inflammations à la gorge, et causait des douleurs d'entrailles. J'ai vu à l'École militaire et dans d'autres dépôts, des farines qui étaient d'une qualité détestable; j'en ai vu des monceaux d'une couleur jaunç, d'une odeur infecte, et qui formaient des masses tellement endurcies, qu'il fallait les frapper à coups redoublés avec des haches pour en détacher des portions. Moi-même, rebuté des difficultés que j'éprouvais à me procurer ce malheureux pain, et dégoûté de celui qu'on m'offrait même aux tables d'hôtes, je renonçai absolument à cette nourriture. Le soir, je me rendais au café du Caveau, où heureusement on avait l'attention de me réserver deux de ces petits pains qu'on appelle des flûtes : c'est le seul pain que j'aie mangé pendant une semaine entière. Ayant été obligé, au plus fort de la disette, de me rendre à Versailles et d'y faire un séjour, je voulus voir le pain que l'on mangeait à la cour, celui qu'on servait sur les tables des ministres et sur celles de députés: je ne trouvai nulle part le pain de seigledont avait parlé M. Necker; je vis partout un pain exquis, de la plus belle et de la meilleure qualité, servi avec abondance et que les boulangers faisaient por

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ter eux-mêmes.» Et l'on demandera plus tard, pourquoi le peuple alla, le 6 octobre, chercher du pain à Versailles, et voulut avoir le roi et l'assemblée à Paris! A l'époque où nous sommes, il ne

connaissait pas encore cette différence dans la position des deux villes. Aussi sa colère d'affamé était tournée tout entière contre les magistrats chargés du soin des subsistances.

L'assemblée des électeurs de Paris se réunit, ainsi que nous l'avons déjà dit, le 4 juillet. Lorsqu'elle fut interrompue par une députation du Palais-Royal qui venait lui demander son intercession pour les prisonniers de l'Abbaye, et qu'elle nomma, sur leur demande, une députation à l'assemblée nationale dont nous avons parlé, elle s'occupait du projet de création d'une milice bourgeoise. Elle se proposait de faire une demande à l'assemblée sur ce sujet. Quel était le but de ces représentans de la commune?Etait-ce de défendre Paris? On venait d'apprendre en effet l'arrivée de nouveaux régimens: ceux de Provence, de Bouillon, de Nassau infanterie, et ceux du Dauphin et Mestre-de-camp cavalerie. - Était-ce pour faire la police de la ville? nous verrons plus tard que ce dernier but était le principal de ceux qui les préoccupaient.

Mais retournons à Versailles ; c'est de là que va partir le signal qui doit transformer en acte cette hostilité qui n'était qu'en projet et en paroles. Nous avons fait suffisamment connaître quels sentimens, quelles craintes, quelles volontés, agitaient la capitale.Un mot suffira maintenant pour donner la mesure d'exaltation qu'atteignit l'opinion publique. Le 6juillet, on apprit que le duc de Broglie était nommé commandant de l'armée réunie sous les murs de la ville.

Pendant tout ce temps, l'assemblée nationale fut occupée d'une discussion oiseuse sur les protestations de la noblesse; elle recevait des adresses de villes qui approuvaient sa conduite. Elle avait formé un comité de subsistance, qui commença son travail par rejetter un mémoire de Rutledge, et demander des renseignemens à Necker. Enfin, elle reprit un moment l'initiative dans la séance qui va suivre.

SÉANCE DU 8 JUILLET.

Présidence de Lefranc de Pompignan, archevêque de Vienné. On s'occupa d'abord de la question des protestations; enfin l'assemblée prend, à la majorité de 700 voix contre 28, l'arrêté suivant :

L'assemblée nationale regardant ses principes comme fixés à cet égard, et considérant que son activité ne peut être suspendue, ni la force de ses décrets affaiblie par des protestations ou par l'absence de quelques représentans, déclare qu'il y a lieu à délibérer.

M. le comte de Mirabeau. Messieurs, il m'a fallu pour me décider à interrompre l'ordre des motions que le comité se propose de vous soumettre, une conviction profonde que l'objet dont j'ai demandé la permission de vous entretenir, est le plus urgent de tous les intérêts. Mais, Messieurs, si le péril que j'ose vous dénoncer menace tout à la fois et la paix du royaume, et l'assemblée nationale, et la sûreté du monarque, vous approuverez mon zèle.

Le peu de momens que j'ai eus pour rassembler mes idées ne me permettra pas sans doute de leur donner tout le développement nécessaire; mais j'en dirai assez pour éveiller votre attention, et vos lumières suppléeront à mon insuffisance.

Veuillez, Messieurs, vous replacer au moment où la violation des prisons de l'abbaye Saint-Germain occasionna votre arrêté du premier de ce mois. En invoquant la clémence du roi pour les personnes qui pourraient s'être rendues coupables, l'assemblée décréta que le roi serait supplié de vouloir bien employer pour le rétablissement de l'ordre les moyens infaillibles de la clémence et de la bonté, si naturels à son cœur, et de la confiance que son bon peuple méritera toujours.

Le roi, dans sa réponse, a déclaré qu'il trouvait cet arrêté fort sage; il a donné des éloges aux dispositions que l'assemblée lui témoignait, et proféré ces mots remarquables: Tant que vous me donnerez des marques de votre confiance, j'espère que tout ira bien.

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