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était prévenu d'un délit grave, ils le firent reconduire en prison, en disant qu'ils voulaient protéger le malheur et non le crime.

Le lendemain, les soldats furent logés à l'hôtel de Genève; et chacun s'empressa d'apporter l'offrande qui devait leur servir de solde.

En même temps, une députation de jeunes gens alla à Versailles présenter à M. Bailly une lettre dans laquelle on réclamait l'intercession de l'assemblée nationale.

Cette demande occupa toute la séance du premier juillet. On craignait surtout d'attenter à la liberté du pouvoir exécutif. Enfin, on se détermina à envoyer au roi une députation de seize membres, à la tête de laquelle on mit l'archevêque de Paris, et qui fut chargée de lui remettre la déclaration suivante, qui fut imprimée et affichée :

L'assemblée nationale gémit des troubles qui agitent la capitale: elle déclare que la connaissance des affaires qui y sont relatives appartient uniquement au roi. Les membres ne cesseront de donner l'exemple du plus profond respect pour l'autorité royale, de laquelle dépend la sécurité de l'empire. Elle conjure donc le peuple de la capitale de rentrer sur-le-champ dans l'ordre, et de se pénétrer des sentimens de paix qui peuvent seuls assurer les biens infinis que la France est prête à recueillir de l'assemblée libre des États-Généraux, et auxquels la réunion volontaire des trois ordres ne laisse aucun obstacle.

Il sera fait une députation solennelle à sa majesté, pour invoquer sa clémence en faveur des personnes qui pourraient être coupables, l'instruire du parti pris par l'assemblée, et la supplier d'employer pour le rétablissement de la paix les moyens infaillibles de douceur et de bonté si naturels à son cœur, et de la confiance que mérite son bon peuple. >

Pour en finir de suite de cette affaire, et afin de n'y plus revenir, nous ajouterons qu'une lettre du roi, du 2 juillet, annonça que la liberté des soldats suivrait le rétablissement de l'ordre. En conséquence, ceux-ci furent réintégrés à l'Abbayé dans la nuit du 4 au 5, et reçurent leur grâce le 5. Il n'était pas d'ailleurs

trés-facile de la refuser. Les électeurs de Paris s'étaient assemblés le 4, et s'étaient occupés de la grande affaire du jour. Ils avaient nommé une députation pour Versailles, qui fut reçue par l'assemblée, bien que tout fût alors terminé et qui, aussi, se borna à la remercier et à l'assurer du calme de Paris, et de l'obéissance des Parisiens. Cependant le colonel du corps donna sa démission: elle ne fut pas acceptée. Mais cet officier ne cessa de se considérer comme démissionnaire, et le régiment se trouva abandonné, pour ainsi dire, à lui-même.

« Ce n'était point ici, dit l'Ami du roi, l'attentat d'une vile po pulace: les coupables, par l'éducation qu'ils avaient reçue, devaient en connaître toute l'énormité; et plus ils avaient mis de sangfroid et de tranquillité dans cette démarche, plus on avait à redouter ce que pourrait une troupe considérable de bourgeois, qui agirait avec cette circonspection et qui aurait des chefs.

> Mais ce qui était le plus propre encore à ajouter aux alarmes qu'un tel événement devait inspirer à la cour, c'est que les soldats qu'elle avait mandés pour protéger Paris en avaient été témoins, et qu'ayant pu l'empêcher, ils n'avaient pas même voulu l'entreprendre.

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En effet, les actes d'insubordination se multipliaient, sans êtré cependant encore très-nombreux. Outre cette société établie dans le régiment des Gardes-Françaises, une compagnie de gardesdu-corps venait de se faire casser à Versailles; elle s'était plainte qu'on lui fit faire un service de maréchaussée, un service de patrouilles indigne d'elle. Quelques troupes qu'on avait eu l'imprudence de faire passer par Paris, s'étaient débandées, et avaient couru au Palais-Royal, fraterniser avec la jeunesse et les gardesfrançaises. Quelques soldats avaient osé déclarer que si on leur ordonnait de tirer sur leurs concitoyens, ils n'obéiraient pas. En province, plusieurs régimens montrèrent les mêmes dispositions. A Béthune, dans une émeute causée par la disette, les soldats ayant reçu ordre de tirer, posèrent leurs armes. Alors, chaque soldat fut pris sous le bras par un bourgeois, et conduit chez celui-ci, où on le contraignit d'accepter le logement et la table.

On fit plus encore; toute la bourgeoisie se cotisa, pour faire une haute-paie au régiment tant qu'il séjourna à Béthune. Ainsi les soldats trouvaient des frères dans la bourgeoisie, tandis que leurs chefs ne leur offraient que leur morgue et leur sévérité aristocratique.

Nous avons sous les yeux deux lettres de soldats qui furent im, primées et colportées à cette époque; elles expriment très-nettement le sentiment d'une position que l'esprit de l'époque rendait insupportable. Les grades dans les régimens appartenaient à la noblesse; l'homme du peuple ne pouvait dépasser celui de sous-officier, quel que fût d'ailleurs son mérite : c'était donc sa question que l'assemblée nationale débattait avec la cour. Le pri vilége de la race était tout-puissant dans l'armée comme partout.

L'une de ces lettres est d'un garde-française. « Vous traitez, dit-il à son colonel, des braves gens comme des nègres; vous frappez des hommes qui sont vos frères, vos égaux. → Dans votre système, il faut n'être plus ni Français, ni citoyen, ni fils. Vous ne voulez que nous soyons ni époux ni pères. En vain vous avez voulu nous épouvanter, en cassant un vieux sergent, parce qu'à la rue Saint-Antoine, il n'a pas scrupuleusement suivi vos ordres sanguinaires, etc. - Dans l'autre de ces lettres, adressée aux États-Généraux, le soldat se plaint que l'armée ne soit représentée que par de la noblesse. Il se plaint de l'usage aristocratique qui ferme au mérite et au courage sorti du peuple, la voie des grades et de la réputation, etc. »

Cette contagion des idées nouvelles menaçait donc évidemment d'envahir l'armée entière. Aussi on commença à prendre des précautions pour isoler la partie de l'armée qu'on appelait saine, du contact des factieux. Ainsi, au camp du Champ-de-Mars, des factionnaires empêchaient le peuple et les gardes - françaises d'approcher.

Les royalistes ne pouvant expliquer ces faits par le développement naturel des sentimens qu'ils ne comprenaient pas, en cherchaient la cause dans des intrigues de divers genres. Le plus grand nombre les attribuaient aux manœuvres du duc d'Orléans:

on lui reprochait la tolérance qu'il témoignait pour les motionnaires du Palais-Royal: pourquoi, disait-on, ne fermait-il pas son jardin à ce rassemblement journalier qui était le centre d'où partaient et où aboutissaient tous les mouvemens de l'opinion publique à Paris. On l'accusait même d'être le caissier des motionnaires, et de leur fournir cet argent qu'ils dépensaient si largement en libéralités de toutes sortes envers les soldats.

A cette occasion, on commença aussi à parler du club breton dans les salons de l'opposition nobiliaire. Ce club avait commencé par une réunion des députés bretons qui s'assemblaient pour débattre à l'avance les sujets qui devaient être traités aux États-Généraux. Il était d'abord uniquement composé des représentans du Tiers et de curés de la Bretagne; ensuite divers députés du côté gauche s'y firent admettre. A l'époque où nous sommes, 1er juillet, il était fort nombreux : on comptait parmi ses membres, Chapelier, Goupil de Préfeln, Lanjuinais, Sieyès, Barnave, Lameth; le duc d'Aiguillon en était président. Nous voudrions pouvoir en donner une liste plus complète; mais nous n'en possédons aucune; et nous croyons qu'on n'en a jamais publié. Ce club prit plus tard le nom d'Amis de la Constitution, et eut un journal. Après le 6 octobre, il alla à Paris, avec l'assemblée. Il choisit pour lieu de ses réunions le couvent des Jacobins, et de là il prit le nom de club des Jacobins.

Les accusations qu'on adressait à ce club étaient plus réelles que celles dont on chargeait M. d'Orléans. En effet, il n'est pas douteux qu'il ne mit une grande activité à organiser la défense contre la cour; il entretenait de nombreuses correspondances; il faisait imprimer un grand nombre de pamphlets; il préparait les motions à faire à l'assemblée. Lorsqu'il commença à rendre ses actes publics, on voit qu'il était déjà le point d'union, le centre d'un grand nombre de sociétés de province qui lui étaient affiliées. Cependant il est un fait pour lequel alors on lui faisait surtout la guerre; celui-là même qui attira l'attention sur lui, et qui est absolument faux: c'était de travailler pour donner le trône au duc d'Orléans. Nous n'avons pas rencontré une seule indication qui

pût même donner le soupçon que jamais il eût eu un pareil projet.

Les patriotes donnaient aux troubles une origine toute différente. Ils accusaient les royalistes de vouloir provoquer le peuple, afin d'être autorisés à user des nombreuses troupes qu'ils avaient sous la main. Voici ce que publiait, le 1er juillet, Marat, dans une brochure ayant pour titre : Avis du Peuple, ou les Ministres dévoilés.

«O mes concitoyens! observez toujours la conduite des ministres pour régler la vôtre.

› Leur objet est la dissolution de notre assemblée nationale; leur unique moyen est la guerre civile.

› Les ministres, les aristocrates soufflent la sédition! eh bien! gardez-vous de vous livrer à la sédition, et vous déconcerterez leurs perfides manœuvres.

> Ils vous environnent de l'appareil formidable des soldats, des baïonnettes! Pénétrez leurs projets inflammatoires. Ce n'est pas pour vous contenir, c'est pour vous exciter à la révolte, en aigrissant vos esprits, qu'ils agitent ces instrumens meurtriers: soyez, je le répète, paisibles, tranquilles, soumis au bon ordre, et vous vous jouerez de leur horrible fureur.

› Et les misérables! ils se rendent coupables d'un crime de plus, en montrant à des citoyens qui remplissent, au sein de la paix, tous leurs devoirs, des dispositions hostiles, incendiaires!

› Et les misérables! ils se rendent coupables d'un crime de plus encore, en faisant approcher de Paris, dans un moment où la disette de l'aliment de première nécessité semble y devenir chaque jour plus alarmante, soixante mille bouches ennemies, qui, bravant la détresse et l'inquiétude publique, vont mettre à contribution votre subsistance, vos besoins même!

› Laissez-les combler la mesure : le jour de la justice et de la vengeance arrivera.

› Pour vous affermir par système, comme par sentiment, dans la modération, considérez quel serait le funeste effet d'un mouvement séditieux, si vous aviez le malheur de vous y livrer, de

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