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M. le président lui observe qu'il ne s'agit pas du réglement. M. Robespierre veut répondre; les cris recommencent, et il descend de la tribune.

Plusieurs membres s'élèvent contre un pareil despotisme, et réclament la liberté des opinions.

M. Robespierre remonte à la tribune, et y propose, sans succès, d'ajouter quelques articles nécessaires à la tranquillité de la délibération, préalablement à toute discussion sur la constitution.

M. le comte de Mirabeau cherche à donner quelque faveur à l'avis de M. Robespierre. Si un membre, dit-il, soutenait que l'on ne peut aller aux voix par assis ou levé, parce que ce mode est une espèce d'acclamation, l'opinant serait dans l'ordre du jour.

Puisqu'il y a lieu à délibérer sur la série des questions proposées, et qu'ainsi nous allons enfin nous occuper de la constitution, je demande que tous les objets constitutionnels soient jugés par appel nominal, et non par assis et levé.

M. Mounier. Je vais plus loin; je demande qu'il soit fait une liste de tous ceux qui parleront sur les questions qui viennent d'être posées, et que cette liste, divisée en deux colonnes, l'une remplie par les noms de ceux qui parleront pour l'affirmative, et l'autre destinée à ceux qui soutiendront la négative, soit ensuite insérée dans le procès-verbal.

M. le comte de Mirabeau. Qu'il soit permis à un homme qui signe et qui a toujours signé, de représenter comme dangereuse la motion du préopinant, elle ne convient ni à la dignité, ni à la fraternité de l'assemblée. Je crois qu'après avoir combattu pour notre opinion, avec une opiniâtreté zélée, il ne doit rester parmi nous nulle trace de dissentiment. Tel est le principe de toute assemblée régulière et sage, et rien ne peut vous empêcher de penser que votre souverain, c'est le principe.]

-Personne ne vient à la tribune relever cette objection. La discussion d'ordre tombe donc, n'étant pas soutenue; et les motions recommencent: plus de quarante-cinq projets de rédaction sont présentés. Ils diffèrent peu de celle de la commission. Deux seu

lement méritent d'être citées : l'une est celle de M. de Wimplen; elle était ainsi rédigée : Le gouvernement français est une démocratie royale; l'autre est celle de M. Roussier: La France est un État monarchique, dans lequel la nation fait la loi, et le roi est chargé de la faire exécuter. Cette distinction et séparation des pouvoirs législatif et exécutif constitue essentiellement la monarchie française. Cependant, la moindre de ces propositions était la conclusion d'un discours plus ou moins long. On ne trouve ces discours nulle part; mais dans les uns et les autres, il était question de l'extension qui serait donnée à la sanction royale.

[Enfin M. Mounier demande que la question soumise soit jugée provisoirement, sauf à être confirmée sans discussion pendant deux autres jours.

Plusieurs demandent que le premier article ne soit décidé qu'avec le second relatif à la sanction royale.

M. le président récapitule les avis divers, et détermine l'assemblée à remettre la décision au lendemain.]

Ce fut à la suite de cette séance que l'assemblée se sépara définitivement en côté gauche et côté droit. Tous les partisans du veto allèrent s'asseoir à droite du président; tous les antagonistes se groupèrent dans la partie opposée. Cette séparation rendait plus facile le calcul des voix dans le vote par assis et levé, qui avait été conservé.

Depuis long-temps déjà, et dès avant la réunion des ordres, l'extrême gauche et l'extrême droite étaient devenues le point de réunion des députés les plus ardens dans les opinions alors opposées. Chaque groupe avait été en augmentant en nombre, au fur et à mesure que les discussions devenaient plus irritantes. Les habitués des bancs de droite appelaient le côté gauche coin du Palais-Royal; non pas, ainsi qu'on l'a dit plus tard, parce qu'il était composé des partisans de d'Orléans, mais parce qu'ils agissaient dans l'opinion des motionnaires du Palais-Royal: ce

surnom lui était donné à titre d'injure. On désignait aussi les motions de ses membres sous le nom d'arrêtés bretons. Mais la majorité des représentans ne se classa complétement dans l'une des deux divisions, qu'après la séance dont nous venons de parler.

Paris. Un mouvement de terreur agitait la capitale : c'était encore la disette qu'on craignait. On voyait de nouveau, depuis quelques jours, ces longues queues aux portes des boulangers qui avaient cessé après le voyage du roi à Paris. Des factionnaires étaient apposés aux portes des boutiques, et maintenaient l'ordre,

Cette émotion avait été préparée par une succession de petits accidens qui s'étaient grossis en s'accumulant. Le 2 août, d'après les plaintes unanimes qui s'élevaient sur la mauvaise qualité du pain et sur son insalubrité, une proclamation de l'Hôtel-de-Ville annonça aux Parisiens, « que les farines venues par mer ayant été avariées, ce n'était la faute de personne si le pain avait un mauvais goût; la nécessité prescrivait, ajoutait-elle, de le manger, comme on l'avait; mais cette avarie n'avait rien de nuisible pour la santé. Le 4 août, on apprit qu'un convoi de farines, destiné pour la capitale, avait été pillé à Elbeuf, et l'on fit partir 400 hommes pour Provins, afin d'assurer les achats de la ville. Le 5 août, une nouvelle proclamation fut adressée à la population effrayée de ces événemens. Elle concernait moins encore les Parisiens que les habitans des campagnes voisines; et en effet, elle fut affichée dans toutes les communes de la généralité. « La confiance, disait-elle, la liberté, la sûreté, sont les seules sources de la prospérité publique.... Tous les habitans de la France se doivent des secours fraternels. » Ensuite elle invitait tous les particuliers qui avaient des grains et farines, à les porter dans les marchés... Les officiers municipaux étaient priés de protéger la libre circulation; et dans le cas où leur garde nationale ne serait pas assez forte, on leur offrait des secours. La lecture d'une telle proclamation n'était certes pas rassurante; aussi, le 7 août, une décision des représentans de la commune réduisit le prix de la

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livre de pain à 3 sous. Le 14 août, cette assemblée manda pardevant elle le comité des subsistances. Bailly blama vivement cette mesure qui devait avoir pour résultat de rendre publics les embarras du comité. Par cette démarche inconsidérée, dit-il dans ses mémoires, le salut du peuple a été compromis; et si la ville de Paris n'a pas été renversée par une insurrection, cela tient à un concours de circonstances dont personne alors ne pouvait répondre. Le 19 août, les boulangers vinrent se plaindre à l'assemblée, soutenant qu'on ne leur donnait pas assez de farines à la halle; ils prétendaient que la consommation était de 2,000 sacs, tandis que le comité des subsistances soutenait qu'elle ne dépassait pas 15 à 16 cents. Les boulangers répondaient qu'il était vrai qu'ils ne recevaient que cette dernière quantité, mais qu'ils suppléaient à ce qui leur manquait par des achats particuliers qu'ils faisaient avec grande peine. Bailly avance que ce même soir, 19, on n'avait de farines que pour la consommation d'un seul jour, Le 28, on apprit qu'on avait détourné un assez grand nombre de voitures d'un convoi venant à Paris, pour en enrichir l'approvisionnement de Versailles. — Le 21, l'inquiétude commençait à se répandre dans la population. Le district SaintEtienne-du-Mont vint demander qu'on fît des recherches dans les maisons religieuses, colléges et communautés. Cela fuț ordonné, mais ne produisit presque rien. En outre, les représentans nommèrent des commissaires pour veiller à la mouture des grains; et ils autorisèrent les boulangers à acheter tous les blés qu'ils pourraient se procurer ailleurs que des magasins de la ville, ordonnant aux meuniers de recevoir ces grains et de les convertir en farine. En même temps, les représentans délibérèrent et firent afficher une proclamation pour défendre les attroupemens. En effet, dès ce jour, les attroupemens commencèrent aux portes des boulangers; et chacun se précautionnant, en une seule fois, d'un approvisionnement de pain pour plusieurs jours, il arriva que les fournées, destinées à la consommation de 24 heures seulement, furent insuffisantes; les derniers venus n'eurent pas de pain. Daus les districts, on fit distribuer du riz aux pauvres. →

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Le 22, des districts se plaignirent qu'il y eût dans le comité des subsistances des hommes qui ne faisaient point partie des représentans de la commune ; et ce comité fut obligé de donner des autorisations pour la recherche des grains à une douzaine de dé putés de districts, qui partaient accompagnés chacun d'une petite armée. L'inquiétude, alors, n'était pas seulement pour le peuple qui craignait de manquer de pain; mais aussi pour les boulangers qui se plaignaient de la mauvaise administration des approvisionnemens, et plus encore pour les hommes du pouvoir. Bailly s'étonnait qu'il n'y eût pas d'insurrection, et cet étonnement était partagé par toute la haute bourgeoisie de Paris, en sorte qu'on supposa que le mouvement était seulement ajourné ; on en déterminait la date, on l'annonçait pour le 25, jour fixé pour la présentation au roi des députés de l'Hôtel-de-Ville. En conséquence, le maire et M. la Fayette prirent des précautions comme si l'insurrection devait avoir lieu; on doubla les postes, on disposa des réserves; on fit conduire du canon aux barrièrès du côté de Montmartre, pour réprimer le mouvement dont on se disait certain, celui des 17,000 malheureux qui y travaillaient. On chargea ces canons à mitraille; on poussa au milieu d'eux de grosses patrouilles. Cependant il n'y eut rien qu'une fête de plus, celle du départ de la députation pour Versailles.

En effet, la population de Paris suffisait en même temps à tous les genres de manifestations. A l'imitation des dames dé la Halle et du marché Saint-Martin, les demoiselles de chaque district allaient successivement porter un bouquet à Ste-Geneviève. Chaque jour la ville était égayée d'une fête semblable; les jeune filles, vêtues de blanc, marchaient processionnellement, portant un bouquet dont les rubans tricolores étaient tenus par les principales d'entre elles; le bataillon du district et sa musique formaient leur cortége. En sortant de Ste-Geneviève, on se rendait ordinairement chez le maire, et on lui présentait une brioche qu'on avait fait bénir. « Obienheureuse sainte Geneviève! s'écriait Loustalot, Louis XI vous demandait le pardon de ses crimes, Charles IX la St-Barthélemi, Louis XIV des victoires,

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