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M. Barnave. La proclamation qu'on vous proposé n'est point une loi générale, mais un décret provisoire relatif aux circonstances. Le serment des troupes est indispensable dans un moment où tous les liens de la subordination paraissent rompus, où les troupes elles-mêmes pourraient devenir dangereuses. L'arrêté proposé confie la force aux personnes qui ont joui de plus de confiance, en la conférant aux tribunaux et aux municipalités.

Si cette distinction de loi générale et de décret instantané avait été bien saisie, personne sans doute ne se serait élevé contre le projet du comité.

M. le vicomte de Noailles. Le serment des troupes est prématuré; je demande que la formule soit séparée des autres objets délibérés.

Cette motion est appuyée; on demande d'aller aux voix.

M. le président sépare la formule du serment de la proclamation proposée, qui est mise aux voix et adoptée à une grande majorité. Il consulte ensuite l'assemblée pour savoir s'il y lieu à délibérer sur la formule du serment,

La majorité est pour l'affirmative.

M. Desmeuniers fait sentir le danger qu'il y aurait à confier la puissance militaire à des officiers municipaux nommés par le roi, dans les villes de guerre surtout, et il propose qu'elle ne soit accordée qu'aux municipalités électives.

M. Garat l'aîné s'élève contre cette restriction, et il soutient que le décret et la formule du serment n'étant que provisoires, on ne peut se dispenser d'accorder le même droit aux officiers municipaux nommés par le roi, parce qu'ils en ont besoin également pour maintenir la tranquillité publique, et qu'on ne peut les soupçonner de vouloir la troubler.

M. Mounier lit la formule du serment ainsi qu'il l'a rédigée. Elle est mise aux voix et adoptée. Voici le texte entier du décret.

L'assemblée nationale, considérant que les ennemis de la nation ayant perdu l'espoir d'empêcher, par la violence du despotisme, la régénération publique et l'établissement de la liberté,

paraissent avoir conçu le projet criminel de revenir au même but par la voie du désordre et de l'anarchie; qu'entre autres moyens ils ont à la même époque, et presque le même jour, fait semer de fausses alarmes dans les différentes provinces du royaume, et qu'en annonçant des incursions et des brigandages qui n'existaient pas, ils ont donné lieu à des excès et des crimes qui attaquent également les biens et les personnes, et qui, troublant l'ordre universel de la société, méritent les peines les plus sévères; que ces hommes ont porté l'audace jusqu'à répandre de faux ordres, et même de faux édits du roi, qui ont armé une portion de la nation contre l'autre, dans le moment même où l'assemblée nationale portait les décrets les plus favorables à l'intérêt du peuple.

»Considérant que, dans l'effervescence générale, les propriétés les plus sacrées, et les moissons même, seul espoir du peuple dans ces temps de disette, n'ont pas été respectées;

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› Considérant enfin que l'union de toutes les forces, l'influence de tous les pouvoirs, l'action de tous les moyens, et le zèle de tous les bons citoyens, doivent concourir à réprimer de pareils désordres,

»Arrête et décrète :

>>>Que toutes les municipalités du royaume, tant dans les villes que dans les campagnes, veilleront au maintien de la tranquillité publique, et que, sur leur simple réquisition, les milices nationales, ainsi que les maréchaussées, seront assistées des troupes, àl'effet de poursuivre et d'arrêter les perturbateurs du repos public, de quelque état qu'ils puissent être;

» Que les personnes arrêtées seront remises aux tribunaux de justice, et interrogées incontinent, et que le procès leur sera fait; mais qu'il sera sursis au jugement et à l'exécution à l'égard de ceux qui seront prévenus d'être les auteurs de fausses alarmes et les instigateurs des pillages et violences, soit sur les biens, soit sur les personnes; et que cependant copies des informations des interrogatoires et autres procédures seront successivement adressées à l'assemblée nationale, afin que, sur l'examen et la compa

raison des preuves rassemblées des différens lieux du royaume, elle puisse remonter à la source des désordres, et pourvoir à ce que les chefs de ces complots soient soumis à des peines exemplaires qui répriment efficacement de pareils attentats;

>Que tous attroupemens séditieux, soit dans les villes, soit dans les campagnes, même sous prétexte de chasse, seront incontinent dissipés par les milices nationales, les maréchaussées et les troupes, sur la simple réquisition des municipalités;

>Que dans les villes et municipalités des campagnes, ainsi que dans chaque district des grandes villes, il sera dressé un rôle des hommes sans aveu, sans métier ni profession, et sans domicile constant, lesquels seront désarmés; et que les milices nationales, les maréchaussées et les troupes veilleront particulièrement sur leur conduite;

» Que toutes ces milices nationales prêteront serment entre les mains de leur commandant, de bien et fidèlement servir le maintien de la paix, pour la défense des citoyens, et contre les perturbateurs du repos public; et que toutes les troupes, savoir, les officiers de tout grade et soldats, prêteront serment à la nation, au roi et à la loi, et de se conformer aux règles de la discipline militaire.

Qué les officiers jureront, à la tête de leurs troupes, en présence des officiers municipaux, de rester fidèles à la nation, au roi et à la loi, et de ne jamais employer ceux qui seront sous leurs ordres, contre les citoyens, si ce n'est sur la réquisition des officiers civils ou municipaux, laquelle réquisition sera toujours lue aux troupes assemblées;

Que les curés des villes et des campagnes feront lecture du présent arrêté à leurs paroissiens réunis dans l'église, et qu'ils emploieront, avec tout le zèle dont ils ont constamment donné des preuves, l'influence de leur ministère, pour rétablir la paix et la tranquillité publique, et pour ramener tous les citoyens à l'ordre et l'obéissance qu'ils doivent aux autorités légitimes.

»Sa majesté sera suppliée de donner les ordres nécessaires pour la pleine et entière exécution de ce décret, lequel sera adressé à

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toutes les villes, municipalités et paroisses du royaume, ainsi qu'aux tribunaux, pour y être lu, publié, affiché et inscrit dans les registres.>

On revient à la discussion sur la rédaction du procès-verbal de la séance du 4.

M. le comte de Mirabeau. Je voudrais rendre sensible combien l'article VII, de la rédaction duquel vous êtes occupés, exprime mal vos intentions.

Vous n'avez pas pu, je le soutiens, Messieurs, statuer ce que semble dire cet article; savoir, que la dîme serait représentée par une somme d'argent toute pareille; car elle est si excessivement oppressive, que nous ne pourrions, sans trahir nos plus saints devoirs, la laisser subsister, soit en nature, soit dans un équivalent proportionnel. Il me sera facile de le démontrer en deux mots.

Supposons le produit d'une terre quelconque à douze gerbes..

Les frais de culture, semences, récoltes, entretien, etc., en emportent au moins la moitié, ci.... 6.

Les droits du roi sont évalués à un huitième de

la récolte; ci', une gerbe et demie..

Droit du roi de nouvcau, pour l'année de jachère

Reste au cultivateur seulement trois gerbes..
Dont il donne au décimateur..

Il lui reste les deux tiers de son produit net.....

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1

9

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Le décimateur emporte donc le tiers de la portion nette du cultivateur.

Si, à cet aperçu, qui, loin d'être exagéré, porte sur une moyenne proportionnelle très-affaiblie, vous joignez les considérations d'économie politique, qui peuvent servir à apprécier cet impôt, telles que la perception d'un tel revenu sans participer aux avances, ni même à tous les hasards; l'enlèvement d'une grande portion des pailles dont chaque champ se trouve dé

pouillé, et qui prive par conséquent le cultivateur d'une partie considérable de ses engrais; enfin la multiplicité des objets sur lesquels se prélève la dime, les lins, les chanvres, les fruits, les olives, les agneaux, quelquefois les foins, etc., vous prendrez une idée juste de ce tribut oppressif, que l'on voudrait couvrir du beau nom de propriété.

Non, Messieurs, la dîme n'est point une propriété; la propriété ne s'entend que de celui qui peut aliéner le fonds; et jamais le clergé ne l'a pu. L'histoire nous offre mille faits de suspension de dîmes, d'application de dîmes en faveur des seigneurs, ou à d'autres usages, et de restitution ensuite à l'Église : ainsi les dimes n'ont jamais été pour le clergé que des jouissances annuelles, de simples possessions révocables à la volonté du souverain.

Il y a plus, la dime n'est pas même une possession, comme on l'a dit; elle est une contribution destinée à cette partie du service public qui concerne les ministres des autels; c'est le subside avec lequel la nation salarie les officiers de morale et d'instruction.

(De violens murmures s'élèvent parmi les membres du clergé.) J'entends, à ce mot salarier, beaucoup de murmures, et l'on dirait qu'il blesse la dignité du sacerdoce; mais, Messieurs, il serait temps, dans cette révolution qui fait éclore tant de sentimens justes et généreux, que l'on abjurât les préjugés d'ignorance orgueilleuse qui font dédaigner les mots salaires et salariés. Je ne connais que trois manières d'exister dans la société : il faut être mendiant, voleur, ou salarié. Le propriétaire n'est luimême que le premier des salariés. Ce que nous appelons vulgairement sa propriété, n'est autre chose que le prix que lui paie la société pour les distributions qu'il est chargé de faire aux autres individus par ses consommations et ses dépenses : les propriétaires sont les agens, les économes du corps social.

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Quoi qu'il en soit, les officiers de morale et d'instruction doivent tenir sans doute une place très-distinguée dans la hiérarchie sociale; il leur faut de la considération, afin qu'ils s'en montrent 17

T. H.

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