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» largement conservateur. Même pour l'atteindre, je ne > convoiterais pas de mon propre mouvement un pouvoir >> trop au-dessus de mes forces physiques et intellectuelles. » Qu'on me délivre de ce fardeau, je le regarderai plutôt » comme une faveur que comme un châtiment. Mais tant » que l'honneur et le devoir l'exigeront, je ne reculerai pas. » Je suis prêt à assumer la responsabilité, à supporter tous » les sacrifices, à braver tous les périls honorables d'une » position officielle, mais je ne garderai jamais un pouvoir affaibli, tronqué, mutilé.

Je ne tiendrai pas en main le gouvernail pendant une » nuit de tempête si ce gouvernail ne peut pas fonctionner » librement; je n'entreprendrai point de diriger la marche » du navire sans autre boussole que des observations faites » en 1842. (Applaudissements.) Je me réserve mon libre ar>> bitre et le droit de juger ce qui convient à l'intérêt pu» blic. Je ne désire pas être J ministre de l'Angleterre, >> mais, tant que je le serai, je prétends l'être librement et » sans relever servilement de qui que ce soit. (Applaudis» sements.) Je prétends être ministre sans être astreint à » d'autres obligations que celle de consulter les intérêts » publics et de pourvoir à la sûreté de l'État. » (Sir Robert Peel se rassied au milieu d'acclamations bruyantes et prolongées.)

Si le ministre qui s'exprime ainsi, et dont la conduite n'est pas moins ferme que le langage, est un « traître, » il faut avouer qu'il est bien fâcheux qu'il ne s'en soit pas trouvé dans nos rangs au moins un de cette sorte! Sir Robert Peel a marqué son passage aux affaires en Angleterre par de grandes mesures. Il a rendu à l'armée des Indes cet élan qu'avait abattu les malheurs de l'Afghanistan. Il a ouvert les portes de la Chine au commerce britannique, en ayant soin de faire payer au Céleste empire les frais de la guerre, ne trouvant pas que la Grande-Bretagne fût si riche qu'elle dût payer sa gloire! Il n'a eu que deux mots à dire : great outrage, pour nous obliger à compter au sieur Pritchard une indemnité que nous ne lui devions pas, et frapper de stéri

.

lité notre expédition contre le Maroc ! Pour rétablir l'équilibre entre les recettes et les dépenses de l'État, il n'a pas craint, en temps de paix, de recourir à l'impôt de guerre, à l'impôt sur les revenus, à l'income-tax. A peine, par suite de cette opération si hardie, le découvert a-t-il fait place à un excédant, qu'il s'empresse de prendre l'initiative de grandes mesures économiques, toutes couronnées de succès. Une mauvaise récolte donne naissance en Angleterre à des craintes pour la subsistance du peuple, que fait sir Robert Peel? Il voit aussitôt dans une calamité publique une occasion propice d'imposer à son parti une réforme utile, une réforme nécessaire, une réforme salutaire; il n'hésite pas. Gouverner, c'est prévoir; ne rien prévoir, c'est ne pas gouverner. Il le sait. Aussi bien, est-ce à peine s'il laisse tomber un regard sur les difficultés qu'il foule dédaigneusement sous ses pas. Pour M. Guizot, il n'y a de difficultés graves que celles qui sont près, que celles contre lesquelles il se heurte; pour sir Robert Peel, il n'y a de difficultés graves que celles qui sont loin, et dont il faut d'autres yeux que ceux du vulgaire pour mesurer l'étendue. Celles-ci seulement lui paraissent dignes de son attention. Imaginez donc M. Guizot à la place de sir Robert Peel, et sir Robert Peel à la place de M. Guizot! Qu'eût fait l'un, aux prises avec les résistances du parti tory? — Il eût cédé. Que n'eût pas fait l'autre, depuis cing ans, dans un pays qui possède d'aussi vastes ressources que le nôtre, et où il reste encore tant de choses grandes à entreprendre, tant de réformes utiles à accomplir, tant d'abus si faciles à supprimer! Fidèle à son habitude de tenir moins de compte du présent que de l'avenir, de la majorité dans le Parlement que de la majorité dans le pays, il se fût, sans nul doute, empressé de donner à la France ce qui lui manque : un système économique et politique qui utilisàt, qui développât toute les forces, toutes les facultés précieuses qu'elle gaspille; il n'eût certes pas voulu qu'elle continuât de marcher plus longtemps, comme elle le fait, au jour le jour, errant tour à tour dans les sens les plus contraires, exposée au danger

d'être prise au dépourvu par le premier événement de nature à modifier les rapports existants des nations entre elles!

Quelle est la situation nouvelle que trente années de paix ont faite à la France, en Europe, politiquement et économiquement?

Quelles sont les alliances qu'elle doit rechercher, quelles sont les rivalités qu'elle doit craindre?

Quelle proportion doit exister entre ses forces de terre et ses forces de mer?

Quelles sont les difficultés qu'elie a à vaincre; quels sont les dangers qu'elle a à écarter?

Quels sont, au dedans et au dehors, le langage et l'attitude qu'elle doit tenir?

Quelles sont les éventualités que la prudence lui commande de prévoir?

Quels sont les points par lesquels elle est forte; quels sont ceux par lesquels elle est faible?

Quels progrès lui restent à faire?

Quelles prétentions politiques, commerciales et autres, peut-elle légitimement avoir; quelles prétentions doit-elle sagement abandonner?

Quelles garanties a-t-elle à réclamer; quelles garanties à-t-elle à offrir?

Quels intérêts lui sont opposés; quels intérêts lui sont communs?

Quelle protection est nécessaire à son agriculture et à son industrie; quelle liberté est nécessaire à son commerce? Quels sont les marchés qu'elle possède; quels sont les débouchés qui lui manquent ?

Quelles sont les dépenses exagérées ou inutiles qu'elle doit réduire ou supprimer; quelles sont les économies nuisibles dont elle doit se garder?

Quels sont les impôts dont elle pourrait en même temps. alléger le poids et augmenter le produit?

Quels sont les traités de commerce qu'elle peut avanta

geusement conclure; quels sont ceux dont elle doit prudemment s'abstenir ?

Quelles sont les modifications à introduire dans son tarif de douanes pour qu'il ne soit pas un obstacle là où il doit être, au contraire, un moyen, et ne détende pas les liens qu'il doit resserrer ?

Quels sont les vices de ses institutions, et quels sont les moyens de les corriger successivement et sans perturbation?

Quelles sont les réformes mûres, prématurées, subversives, à accomplir, à ajourner, ou à combattre?

Etc., etc., etc.

Telles sont vraisemblablement quelques-unes des questions que sir Robert Peel, appelé à prendre la direction de nos affaires, n'eût pas manqué de se poser à lui-même, comme autant de jalons destinés à lui marquer le chemin, le plus droit et le plus court, afin de ne se proposer qu'un but qu'il fût sûr d'atteindre sans courir le risque de se four

voyer.

Il y a lieu de croire qu'avec cet esprit judicieux et résolu qui caractérise sir Robert Peel, la réduction de l'intérêt de la rente 5 0/0, si souvent ajournée, et la suppression de l'amortissement, ce moyen factice de crédit dont l'expérience fait justice, eussent été au nombre des premières mesures par lesquelles il eût voulu signaler son avénement et son passage au ministère.

Les ressources de l'amortissement se composeront, en 1847:

Du fonds annuel formant la Dotation. . .

48,886,565 Du montant des arrérages formant la Réserve. . 64,390,115

Total.

113,276,680 Représentant à l'intérêt de 4 0/0 un capital de près de trois milliards.

Bien employés, entre les mains d'un homme d'État tel que sir Robert Peel, quelle ressource, quelle puissance, quel moyen énergique de résoudre d'importants problèmes;

De réconcilier la science économique avec l'administration fiscale;

D'alléger le poids de certains impôts contre lesquels s'élèvent de justes réclamations, tel que l'impôt du sel;

D'abaisser les barrières et les obstacles qui s'opposent stupidement à ce que la consommation du vin, ce produit pour lequel la France a été si favorisée, reçoive tout le développement qu'il serait à désirer qu'elle acquît dans le triple intérêt du Trésor, du producteur et des classes laborieuses;

D'accomplir la réforme postale réclamée par tous les conseils généraux;

De dégrever la propriété afin de la féconder et de se ménager des ressources destinées à passer les temps difficiles, les grandes épreuves;

De faire disparaître les révoltantes inégalités qu'une onéreuse répartition de l'impôt foncier fait peser depuis trop longtemps sur certains départements, au mépris de l'article 2 de la Charte;

De parfaire le réseau, encore si imparfait, de nos voies de communication;

De racheter nos canaux et de terminer ceux qu'il peut encore être avantageux d'achever;

D'améliorer la navigation de nos fleuves et de nos rivières;

De mettre en bon état nos ports;

D'approvisionner nos arsenaux, nos magasins, nos chan

tiers ;

D'éteindre nos découverts;

De consolider notre dette flottante;

De fortifier et d'étendre notre crédit;

De faire régner dans nos finances la sincérité et la simplicité;

De mettre, enfin, la France rapidement en mesure de n'avoir à redouter aucune éventualité fâcheuse, de pouvoir agir en toute liberté dans la plénitude de ses droits, et de n'avoir en toute conjoncture à s'inquiéter que de la ques

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