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fiances et de haines, ce ne sont pas encore tant les journaux qui l'ont attaquée ouvertement, que ceux qui l'ont accusée hypocritement; ce ne sont pas encore tant ceux qui travaillent violemment à la destruction du gouvernement représentatif, que ceux qui en demandent perfidement « la sincérité. »

Si vous n'aviez jamais attaqué que les ministres qui se sont succédé depuis 1830, MM. Laffitte, Casimir Périer, Thiers, Molé; si vous n'aviez jamais fait remonter plus haut que leur tête la responsabilité de leurs actes, nous n'aurions rien à vous dire, car vous auriez à nous répondre que ce que vous avez fait contre M. Molé nous le faisons à notre tour contre M. Thiers; mais il n'en a point été ainsi : entre l'opposition subversive que vous avez faite et l'opposition constitutionnelle que nous faisons, il y a l'épaisseur d'une révolution. Nous conviendrons, si vous le voulez, que nous attaquons M. Thiers avec acharnement, même avec injustice; mais aussi vous conviendrez que nous ne rendons que lui seul responsable de ses actes et de ses fautes, et qu'il est un reproche que nous ne lui avons jamais adressé, c'est celui d'être l'instrument d'une politique qui ne fût pas la sienne ou la vôtre. Nous nous en prenons à ses idées et à sa personne, mais nous ne nous en prenons pas à nos institutions et à la couronne. Si vous n'aviez jamais outrepassé les limites de cette opposition, peut-être la balle d'un assassin eût-elle visé la poitrine d'un des ministres du 13 mars, du 11 octobre, du 6 septembre ou du 15 avril; mais il ne fût pas venu à la pensée de Fieschi, d'Alibaud, de Meunier, de Darmès, de tuer le roi. Vous l'avez si souvent appelé la « pensée immuable, » qu'un fanatique a bien pu le nommer sans éclater de rire : « Le plus grand tyran des » temps anciens et modernes. (1) »

Nos clameurs, dites-vous, n'ont d'autre objet qu'un changement de ministère, d'autre but que de préparer la restauration de M. Molé. Encore une fois, nous vous le répé

(1) Interrogatoire de Darmès.

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tons, quand vous dites cela, vous en imposez à vos lecteurs, et vous leur en imposez sciemment, car aujourd'hui vous n'en êtes plus à ignorer que pour le rédacteur d'un journal influent, qui n'aspire pas à être conseiller d'État, préfet, receveur-général, référendaire à la cour des comptes, membre du conseil de l'instruction publique, qui n'ambitionne aucune fonction rétribuée, qui a une plus noble ambition, celle de faire triompher des idées, il n'y a pas de tache plus délicate, plus ingrate que celle qui consiste à soutenir un ministère composé de ses amis politiques, à s'occuper sans relâche de pallier leurs fautes, d'apaiser leurs rivalités, de stimuler leur activité, de faire enfin qu'ils fassent quoi que ce soit qui ne se borne point à une circulaire, et qui laisse une trace de leur passage aux affaires! Aujourd'hui vous devez bien savoir qu'une telle mission. est toute d'abnégation, et qu'on la redoute plus qu'on ne la recherche quand on l'a remplie une fois, et qu'on a vu de quelle volonté puissante et opiniàtre il faut qu'un ministre soit doué, pour vaincre les obstacles de toute nature qui se liguent contre toute amélioration, contre toute réforme!

III.

15 mai 1841.

Les faits que met à jour le rapport de la commission de la Chambre des pairs chargée d'instruire dans l'affaire de l'attentat Darmès contre la personne du roi, portent avec eux de trop graves enseignements, pour que l'étendue de cet important document, et les frais d'un supplément, soient des motifs devant lesquels nous puissions nous arrêter. La publicité a ses devoirs.

Il faut que tout ce qui, en France, a un cœur droit avec un esprit faux, une conscience honnête avec une imagination ardente, facile à surprendre, facile à exalter, facile à égarer par les mots de progrès et de liberté, connaisse à fond et la moralité des hommes qui se déclarent les ennemis de la royauté, et la valeur des principes qu'ils préten

dent mettre à la place de ceux qui servent d'assises à nos institutions.

Il faut que tous ceux d'entre nous dont l'esprit de parti n'a pas encore entièrement corrompu le jugement, sachent ce que préparent dans l'ombre ces prétendus apôtres de la liberté qui déclarent sérieusement qu'ils ne sont pas des fanatiques exploités, et qui proclament non moins sérieusement le roi Louis-Philippe le plus grand des tyrans.

Il est bon qu'ils jugent l'œuvre sur ses moyens d'exécution et d'accomplissement.

Il est bon qu'ils sachent à quoi s'en tenir sur le profond savoir et le génie fécond des hommes les plus avancés du parti républicain.

Il est bon qu'ils mesurent, non pas ce que la liberté aurait à gagner, mais tout ce qu'elle aurait à perdre au triomphe des principes qui ont été solennellement adoptés et proclamés à Londres le 14 septembre 1840, APRÈS DISCUSSION, par la Société démocratique française.

Il est bon qu'ils voient comment ceux qui se plaignent que la liberté de la presse ne soit qu'un monopole, entendent qu'elle serait exercée le jour où le pouvoir serait tombé assez bas pour être accessible à leurs mains teintes de sang.

Il est bon qu'ils voient comment ces grands économistes entendent la liberté de l'industrie et résolvent le double problème de la concurrence et de l'organisation du travail. Il est bon qu'ils voient comment ces grands professeurs de l'humanité entendent la liberté de l'enseignement et ménagent l'autorité du père sur ses enfants.

Il est bon qu'ils voient comment ces grands financiers entendent le crédit public, fondé, non plus sur la confiance, mais sur la séquestration et la violence.

Il est bon enfin qu'ils voient comment ces grands défenseurs du genre humain conçoivent la fraternité universelle, en faisant répandre par la France le sang de tous les peuples sous le prétexte de les délivrer de la tyrannie de tous les rois.

Nous publions donc un supplément où nous passons ra

pidement sur la partie du rapport qui est relative à Darmès et à ses deux complices, mais où nous avons réuni tous les renseignements précieux que la commission de la Chambre des pairs a mis sept mois à recueillir, et qui font exactement connaître l'organisation, les principes et le but des sociétés secrètes au milieu desquelles il a été constaté que vivaient les accusés. Cette partie du rapport mérite toute l'attention de nos lecteurs. Ce qui importe, en effet, ce n'est pas que Darmès soit condamné à mort et que sa tête tombe sous la main du bourreau, c'est que les principes qui lui ont mis une carabine à la main pour tirer sur le roi soient bien connus: c'est que tout ce qui ne veut ni échafaud, ni confiscation, ni meurtre, ni vol, se fasse une juste idée de l'ardeur avec laquelle le parti révolutionnaire poursuit contre la société son travail souterrain, pendant que nous disputons sans fin sur des mots sans valeur; pendant que nous nous divisons, chaque jour un peu plus, sur des questions qui n'ont pas même une importance secondaire, et qui sont oubliées une heure après que le scrutin les a vidées; pendant que nous ne sommes occupés que de renverser ministère sur ministère; pendant que nous nous assourdissons au vain bruit que nous faisons; pendant enfin que nous nous attaquons les uns les autres au lieu de nous réunir tous dans la pensée d'un péril commun, auquel la tête et la fortune d'aucun de nous n'échapperaient, puisqu'il suffirait, pour être atteint, d'être accusé d'appartenir à a une famille ayant participé aux actes gouvernementaux » depuis 1793 (1). »

Ce qui importe, c'est que tout père qui a un enfant, tout individu qui possède un champ, tout homme laborieux qui dépense moins qu'il ne gagne, tout électeur qui sait lire, aient dans les mains la charte démocratique de 1839, promulguée à Londres, car elle est le commentaire le plus décisif et l'apologie la moins suspecte qui se puissent jamais faire de la Charte de 1830.

(1) Textucl. Voir le paragraphe 18 du Manifeste de Londres.

Ce qui importe enfin, c'est que tous ceux qui se plaignent avec un reste de bonne foi du régime oppressif et honteux sous lequel nous avons le malheur de vivre, soient éclairés sur le benin et glorieux régime que nous préparent ces vengeurs et régénérateurs de la société, qui préludent au régicide par le vol (1); régime vers lequel tout nous pousse et l'abus que nous faisons du système représentatif; et la faiblesse d'un pouvoir immobile; et la présomption d'un journalisme ignorant; et l'audacieuse activité de tout ce qui est intrigant; et la coupable apathie de tout ce qui est honnête; et l'orgueil fatal de quelques hommes qui ont mis leur point d'honneur, non dans l'application de leurs principes, mais dans le triomphe de leurs prétentions, qui tous voulant le même portefeuille, s'excluent ainsi par une puérile et funeste rivalité qui les abaisse au lieu de les élever.

Voyez donc sur quelle pente vous êtes, voyez donc quelle force vous entraîne, quel fil vous retient!

IV.

23 décembre 1841.

La cour des pairs a rendu son arrêt. Puisse-t-il compléter, pour les classes laborieuses, les enseignements qui sont sortis des débats !

Si la condamnation prononcée contre l'accusé Dupoty (prévenu de complicité morale) ne l'a été que par des motifs exclusivement puisés dans les faits de la cause et dans la conviction profonde de sa culpabilité, nous n'avons qu'à l'enregistrer avec respect; car si le respect est dû à la chose jugée, c'est assurément lorsqu'elle a eu pour juges des hommes d'autant de conscience et de

(1) Il résulte de l'instruction que Darmès est arrivé au crime à travers une existence plongée dans le vice, la débauche et une misère dégradante; qu'il a volé 6,000 francs à sa femme et les a perdus dans des jeux de bourse, qu'il a ensuite enlevé 5,000 francs à sa mère, recueillis de la succession d'un second mari, et qu'il les a honteusement dissipés.

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