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» sur ce point sa pensée. Elle s'exprime en ce moment » avec mesure, mais elle n'hésite pas à s'exprimer.

» Elle croit qu'il fallait que ce qu'elle vient de dire fût » dit, et elle le dit sans préoccupation de personnes ni de » parti, par le simple et pur amour du bien publie.

» Tant que les choses se passeront ainsi, les améliora» tions de détail, les réformes administratives, les change» ments d'hommes resteront, croyez-le, inefficaces. Les >> avis les plus salutaires seront perdus, les meilleures in» tentions deviendront stériles. Tout sera, au contraire, possible et presque facile le jour où le gouvernement et >> les Chambres, prenant enfin en mains la direction de » cette grande affaire, la conduiront avec la résolution, >> l'attention et la suite qu'elle réclame. »

C'est aussi notre avis; oui, nous croyons qu'il est possible, presque facile de vaincre les difficultés qui se sont opposées jusqu'à ce jour à la solution du problème de l'occupation de l'Algérie à peu de frais, par la colonisation sur une grande échelle; mais c'est à la condition qu'on ira résolument au fond des choses, qu'on s'attachera moins aux phrases qu'aux idées, qu'on coupera toute retraite au cabinet, afin de le forcer, ou d'expliquer sa pensée, toute sa pensée, ou bien d'avouer son éternelle impuissance. Il ne faut pas permettre qu'il s'évade. Si en cette affaire, comme en toute autre, son mot est Rien, il faut l'obliger à le dire. S'il essaie de prendre son vol pour s'élever dans la haute région des généralités, il faut le ramener au fait et au besoin l'y river.

Le fait, le voilà!

Il est écrit en toutes lettres, page 9 du rapport, ainsi qu'il suit:

En 1831, l'effectif des troupes françaises ne s'élevait » qu'à 18,000 hommes de toutes armes;

» En 1834, à 30,000;

» En 1838, à 48,000;

» En 1841, à 70,000; » En 1843, à 76,000:

» En 1845, à 83,000;

» En 1846, à 101,000. »

Or, n'est-ce pas le contraire qui paraîtrait simple?

On comprendrait que nous ayons commencé par avoir en Afrique 101,000 hommes, et que nous n'en ayons plus maintenant que 18,000; mais que nous ayons commencé par 18,000 hommes, pour arriver, après quinze années, à 101,000 hommes, n'est-ce pas la plus sévère condamnation qui puisse être prononcée contre l'absurde et faux système qui a été suivi?

IX.

9 juin 1847.

Les discussions générales ne s'animent plus que le jour où elles se ferment; c'est-à-dire le dernier jour. C'est ce qui est arrivé à la discussion générale sur l'Algérie, qui a été fermée à la fin de la séance, après un débat animé où le ministère, de l'aveu de ses meilleurs amis, est resté sur le champ de bataille. Nous cherchons un mot pour rendre notre pensée, et nous n'en trouvons pas; Vaincu!... Mais il y a des défaites glorieuses. Blessé!... Mais cela suppose qu'on s'est énergiquement défendu... Or, le ministère, il est vrai, a parlé, mais il n'a pas lutté; on peut dire qu'il a été trahi par ses propres forces.

Nous ne dirons pas que le début à la tribune de M. le général Lamoricière a répondu aux espérances qu'on avait fondées sur lui; nous dirons qu'il les a dépassées, et nous ne serons que justes. Sa parole est facile, abondante, et cependant précise. Il expose avec clarté et méthode ce qu'il veut exprimer. Il est entré dans d'intéressants détails prouvant qu'il avait fait de la question qu'il traitait une étude approfondie. Il ne l'a pas traitée seulement en militaire; il a montré qu'il s'en était préoccupé aussi au point de vue des institutions civiles. Peut-être aurait-il pu s'élever un peu plus haut; mais on n'eût pas manqué de dire que dès le début il affectait de grandes prétentions à l'homme d'État, au législateur. En somme, peut-être a-t-il mieux fait

de se tenir dans la région moyenne où il s'est placé par son discours.

Personne, après M. de Tracy, ne demandant plus la parole, M. Guizot est monté à la tribune; il a énuméré, avec cette pompe qui lui est familière, tout ce qui s'est fait en Algérie de 1840 à 1846. Or, qu'a-t-on fait? On a dépensé beaucoup d'argent, on en a immensément gaspillé; cet argent, il fallait bien l'employer! on a construit des casernes, des hôpitaux; on a exécuté des travaux; il eût été prodigieux qu'on eût dépensé tant de millions sans qu'il en restat de traces, sans qu'on eût rien fait, rien, absolument rien. Cependant, il s'en est fallu de peu que M. Guizot ne tirat vanité de ce qu'il n'en fût pas entièrement ainsi. Jamais politique de prospectus ne fut à la fois plus pompeuse et plus pauvre; jamais on ne se vanta de moins avec plus de complaisance et plus de solennité. C'était à un tel point. que nous avons vu la majorité elle-même en souffrir.

Tels sont cependant les vices de l'organisation administrative en Algérie, qu'il a bien fallu que M. Guizot les reconnút. Il les a avoués; il a dit qu'il y avait trop de rouages; qu'ils s'entravaient les uns les autres; qu'on avait amalgamé ensemble des choses qui eussent dû rester distinctes: que les reproches sévères adressés dans le rapport, à cette organisation défectueuse et compliquée, étaient fondés, qu'il le reconnaissait, mais qu'il fallait faire au temps sa part. Est-ce que cette part ne lui a pas été amplement faite? Comment! voilà dix-sept ans que nous possédons l'Algérie, et chaque année elle nous coûte plus que les années qui ont précédé ; c'est ce que l'honorable M. Desjobert a démontré, budget et lois des comptes en mains; il a démontré qu'en 1846 l'Algérie avait coûté à la France cent trente millions, et, déduction faite des recettes, cent vingt millions au moins,

'M. Guizot ne s'est pas borné à venir soutenir tardivement à la tribune que le gouvernement avait autorisé la dernière expédition en Kabylie; il a ajouté que le gouvernement l'avait approuvée; et c'est avec l'orgueil du triomphe qu'il l'a

déclaré. Il a dit qu'elle était opportune, utile, nécessaire, glorieuse, oubliant que l'année dernière il l'avait qualifiée « d'IMPOLITIQUE et d'INIQUE!» C'est ce que lui a rappelé M. Dufaure dans un discours dont tous les mots portaient. Il ne lui a pas été difficile de montrer qu'on n'avait rien fait, rien, absolument rien, qu'on n'avait tranché aucune question, vaincu aucune difficulté, réprimé aucun abus, et que la seule bonne mesure qu'on eût arrêtée en principe, on n'avait pas osé l'appliquer. L'effet de ce discours a été accablant pour le cabinet; vainement M. Guizot, dans l'espoir de l'atténuer, est-il monté à la tribune; loin de l'atténuer, il n'a fait que l'accroître par la faiblesse des justifications dans lesquelles il a essayé d'entrer. En cette circonstance, le talent de M. Guizot lui a fait complétement défaut; il y a donc un jour où la vérité, par sa seule force, l'emporte sur le talent, quels qu'en soient l'éclat et l'étendue. M. Guizot est redescendu de la tribune, laissant son discours inachevé, et n'ayant pas dit un mot, un seul mot de ce que se proposait de faire le gouvernement en Algérie. Laissera-t-il les choses telles qu'elles sont, avec leur imperfection reconnue, leur complication avouée, leur amalgame blâmé? Créera-t-il un ministère spécial? Répartira-t-il les divers services entre chacun des neuf départements ministériels? Croit-il que le régime sous lequel nous vivons puisse être appliqué aux Français et chrétiens qui s'établissent en Algérie? Croit-il le contraire? Instituera-t-il une vice-royauté ? De toutes ces questions fondamentales, décisives, M. Guizot n'a pas dit un mot, un seul mot. Ses deux discours sont deux tronçons de discours; mais les deux, rapprochés, ne font pas un discours complet. Jamais la stérilité et l'impuissance du cabinet n'étaient apparues à tous les yeux avec cette évidence allant jusqu'à la nudité. Encore si le débat n'avait révélé que la stérilité et l'impuissance du cabinet! Mais M. Gustave de Beaumont, lettres en mains, lettres remises à la commission par M. le ministre de la guerre, a montré que le cabinet, pour essayer de se justifier, n'avait pas craint

de descendre jusqu'au mensonge dans ses allégations, et au manque de loyauté dans ses communications. C'est le propre de l'impuissance poussée dans ses derniers retranchements, de chercher un abri derrière le mensonge, et de ne dédaigner aucun moyen de salut. Mais il faut que le ministère, pour s'y être résigné comme il l'a fait aujourd'hui, à la fois sans scrupule et sans succès, se sente cruellement menacé et bien près de sa fin! Si l'on eût dit qu'un ministère à la tête duquel étaient placés des hommes politiques du talent, de la valeur, du poids, de l'importance de MM. Guizot et Duchâtel, en arriverait là, après sept ans de durée, avec une majorité de cent voix, non, jamais nous ne l'eussions cru. Une si prompte décadence nous effraie, car ce n'est pas la décadence, c'est la chute.

X.

12 juin 1847.

I. Doit-on maintenir ce qui est : - un gouverneur-général à Alger et une division des affaires d'Afrique au ministère de la guerre ?

II. Ou faut-il créer un ministère spécial de l'Algérie ? III. Ou vaut-il mieux ériger l'Algérie en vice-royauté? IV. Ou, enfin, n'est-il pas plus simple et préférable d'assimiler l'Algérie à la Corse, et de répartir entre les divers départements ministériels ce qui est aujourd'hui exclusivement concentré, dans la division des affaires d'Afrique, au ministère de la guerre ?

La démission de M. le maréchal Bugeaud est une occasion favorable de prendre un parti, de choisir entre ces quatre voies, la plus droite, la plus courte, la plus sûre, de mettre une limite aux pesants sacrifices que nous impose l'occupation armée de l'Algérie.

Il importe qu'on sache bien ce que nous coûte cette occupation armée. L'Algérie nous coûte déjà plus d'un milliard, et ce qu'elle nous coûte n'est que notre moindre objection la plus grave, c'est ce qu'elle nous empêche de

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