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le moyen d'empêcher qu'on ne les dépassât brusquement, violemment; c'était le moyen de faire sortir le gouvernement de la voie des concessions tardives pour le faire entrer dans la voie de l'initiative, qui est aux réformes ce que le paratonnerre est à la foudre, les attirant pour les diriger. L'initiative, c'est la liberté de faire ou de s'abstenir. Pour les gouvernements comme pour les partis, pour les ministres qui dirigent comme pour les généraux qui commandent, dans les résolutions de la vie publique comme dans les déterminations de la vie privée, l'exercice de l'initiative n'a qu'un moment, moment propice et fugitif qu'on ne saurait trop se garder de laisser jamais échapper, car ce n'est pas même chose, il s'en faut, d'accepter la bataille ou de la livrer, d'éviter l'écueil ou de s'y heurter, de paraître généreux ou de se montrer faible, de régler les conditions ou de les recevoir. Ce dont hier on Vous aurait su gré, demain on ne vous en tiendra nul compte, parce qu'entre l'initiative et les concessions ne s'écoulât-il qu'une minute, cette minute est un siècle; n'y eût-il qu'un pas, ce pas est un abîme!

L'initiative a marqué tous les grands règnes; il n'y a pas d'exemple d'un souverain, d'un empire ou d'une cause sauvés par des concessions. Ce qui caractérise les gouvernements faibles et aveugles, c'est qu'ils hésitent alors que la prudence voudrait qu'ils prissent délibérément les devants; c'est qu'ils cèdent, alors que l'honneur voudrait qu'ils résistassent, alors que le courage seul pourrait les absoudre de leur aveuglement. Il importe de bien s'entendre sur le sens du mot concession. Faire une concession, c'est transiger avec une opinion qu'on regarde comme une erreur, c'est immoler dans sa conscience la raison à la force, c'est agir sans conviction sous le coup de la menace, c'est abjurer avec humilité devant le danger, c'est, enfin, accorder à regret ce qu'on ne se croit plus assez fort, ou ce qu'on ne se sent pas assez vaillant pour refuser.

Pourquoi l'amnistie du 9 mai 1837 fut-elle et restera-telle un grand acte ? C'est qu'elle n'a pas été un acte de con

cession, mais un acte d'initiative. Concession faite à une majorité exigeante, l'amnistie n'eût été qu'un acte vulgaire. sans importance et sans valeur; l'initiative prise par le ministère du 15 avril, contre le gré d'une majorité pusillanime, c'était l'avénement d'une politique nouvelle qui se fût élevée haut et fût allée loin sans la coalition. Tout le mal que la coalition a fait à la France, on ne le sait pas encore!

Après les élections générales dernières, où le mot «< progrès, » artistement brodé de la main de MM. Guizot et Duchàtel sur le drapeau des candidats ministériels, avait rallié à eux beaucoup de suffrages indécis, bercé les défiances, découragé les partis, divisé l'opposition, après ces élections et avant les banquets réformistes, il y eut un moment où le ministère du 29 octobre tint dans ses mains tout l'avenir du vrai parti conservateur, où il put, à peu de frais, se grandir et se populariser. Admirable occasion! Le pays n'était ni impatient, ni exigeant, ni défiant. Il demandait seulement que M. Guizot ne désavouât pas à la tribune les paroles qu'il avait prononcées à Lisieux, et lui tînt assez de compte de sa confiance pour ne la pas faire dégénérer en crédulité ridicule! Ce moment, MM. Guizot et Duchâtel ne surent pas le comprendre, ne surent pas le saisir. Le succès les éblouit au lieu de les éclairer, il les affaiblit au lieu de les fortifier, il les égara au lieu de les inspirer! Tout faux succès se reconnaît toujours à la rapidité de l'ivresse qu'il donne.

Vainement, à la session prochaine, MM. Duchâtel et Guizot tenteraient de rétracter et d'expliquer leurs discours des 24 et 26 mars 1847; vainement ils viendraient détacher de leurs propres mains deux pierres de la voûte électorale, à laquelle ils ont si souvent déclaré qu'on ne saurait toucher sans ébranler tout l'édifice politique; vainement ils présenteraient les mêmes réformes économiques qu'ils ont combattues comme mettant en péril le Trésor public, alors que la situation financière sous M. Lacave-Laplagne était infiniment meilleure que sous M. Dumon; vainement ils se

feraient les plagiaires des idées qu'ils ont superbement traitées de chimériques, alors qu'elles étaient exposées par nous; vainement ils accepteraient la qualité de contrefacteurs du cabinet progressiste dont ils ont tant raillé le futur président, efforts inutiles! il n'est plus au pouvoir de MM. Guizot et Duchâtel de tromper aucune crédulité et de ranimer des illusions éteintes, leur secret leur est échappé. Toute réforme émanée d'eux portera désormais le sceau de la concession arrachée à l'inertie par la peur.

Concession!... C'était précisément à cette extrémité humiliante et funeste que nous voulions que le pouvoir échappât par l'initiative. Mais on aurait eu bien tort de nous écouter. Nous n'étions que de faux conservateurs !

Les vrais conservateurs sont ceux qui ont si bien fait déjà, que ce n'est plus que par exception que l'on consent à porter la santé du roi !

Les vrais conservateurs sont ceux qui feront si bien, qu'aux futures élections générales l'opinion qui triomphera certainement sera cette même opinion que M. Reybaud défendait avec tant d'ardeur en 1831!

Ce ne sera pas le progrès, ce sera la réaction.

Voilà ce qu'on aura gagné à arrêter le mouvement, alors qu'on aurait pu le régler!

1847.

L'ELECTION DU SECOND ARRONDISSEMENT DE PARIS.

I.

9 décembre 1847.

Les journaux ministériels, dont la verve railleuse ne tarit pas lorsqu'il s'agit des banquets réformistes, et dont les colonnes sont encore aujourd'hui tout émaillées de sarcasmes contre le banquet d'Amiens, gardent le silence le plus profond, et par cela même le plus significatif, sur le résultat du scrutin qui a eu lieu dans le plus riche des arrondissements de Paris, dans le deuxième, celui qui fut longtemps représenté à la Chambre des députés par M. Jacques Lefebvre, ce type du conservateur réfractaire à toute idée de progrès.

Est-ce donc que les journaux ministériels trouveraient tout simple que pas un seul des douze noms portés sur la liste de M. Duchâtel ne soit sorti ni au premier ni même au second tour de scrutin ? Est-ce donc que les journaux ministériels trouveraient tout simple qu'au premier tour de scrutin onze des noms portés sur la liste de l'opposition soient victorieusement sortis, y compris le nom de M. Goudchaux, dont les rapports étroits avec le National n'étaient ignorés d'aucun électeur? Est-ce donc que les journaux ministériels trouveraient tout simple que M. Dailly, porté en tête de la liste de M. Duchâtel, et sommé, en vain,

par le National de s'expliquer sur ce fameux projet de loi des relais offert moyennant 1,200,000 fr., soit arrivé à n'avoir que 235 voix, alors que le candidat de l'opposition, M. Flon, réunissait 1,219 suffrages?

Si les journaux ministériels trouvent tout cela simple, il n'est pas inutile qu'ils le déclarent. Quant à nous, nous ne pouvons qu'approuver les électeurs conservateurs du second arrondissement, qui, dans le désir de donner au gouvernement un avertissement salutaire, ont voté en cette circonstance avec l'opposition. Il est des opérations qui, pour être douloureuses, n'en sont pas pour cela moins bienfaisantes; l'opération de la cataracte est de ce nombre. Avec un pouvoir affligé de cette infirmité, que faire ? C'est ainsi que nous approuverions que le choix de tous les députés conservateurs qui ont gardé quelque indépendance se portât, pour la présidence de la Chambre des députés, sur M. Dupin ou M. Dufaure. Si l'opposition avait quelque tact, afin d'assurer la nomination de l'un ou de l'autre de ces deux candidats, elle renoncerait cette année à se faire compter vainement une seule fois de plus sur le nom de M. Odilon Barrot. A quoi sert cette démonstration? A rendre plus facile et plus certaine la nomination du candidat ministériel. Cette année, comme les années précédentes, M. Sauzet sera indubitablement élu et élu au premier tour, si l'opposition ne va pas aux conservateurs indépendants et clairvoyants, comme ceux-ci sont allés à elle sans hésiter dans l'élection du deuxième arrondissement. Peut-être, au contraire, en suivant cet exemple, l'opposition assurerait-elle la nomination soit de M. Dupin soit de M. Dufaure? Ce serait, nous n'hésitons pas à le dire, un utile avertissement donné à la royauté.

Qui pourrait avec raison blâmer la royauté de rester fidèle à ses ministres ? Qui pourrait, avec justice, l'accuser d'aveuglement si rien ne vient l'éclairer? Le roi a un cabinet: ce cabinet a la majorité, que veut-on que fasse le roi ? Qu'il change son cabiuet? Mais alors c'est le roi que l'on constituerait ainsi juge de la majorité, et quelle garantie, en ce

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