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1844.

L'ALGÉRIE.

I.

18 septembre 1844.

Notre opinion sur l'occupation de l'Algérie n'a pas changé; nous croyons que le milliard, au moins, qu'elle coûte déjà à la France aurait été plus profitable à notre grandeur, à notre force, si au lieu de servir à étendre notre domination, il avait été employé à améliorer nos ports, à les fortifier, à perfectionner notre navigation intérieure, à compléter tout notre système de voies de communication et de transport. Nous sommes de ceux qui n'ont dans les idées de colonisation qu'une confiance infiniment restreinte, et qui pensent qu'avec le peu de suite dans les desseins qui est le caractère et le défaut de la France, elle doit moins s'attacher à conquérir des territoires pour les coloniser, qu'à découvrir des consommateurs pour les approvisionner. Avant de songer à porter au loin le progrès agricole, commençons donc par nous occuper un peu plus de notre sol et par lui faire produire les améliorations dont il est susceptible. Ne commencerons-nous donc jamais une seule fois par le commencement? La colonisation est la ressource que la providence réserve aux États pour l'époque où ils auront un excès de population. Or, la France n'en est pas là; sa population pourrait doubler, que ni le territoire, ni le travail ne lui man

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queraient encore. La colonisation à l'extérieur est ce qui marque le dernier âge des nations avant qu'elles tombent de la grandeur dans la décadence, extrémité fatale à laquelle aucune ne saurait se flatter d'échapper. La maxime : qui trop embrasse mal étreint, n'est pas moins vraie alors qu'elle s'applique aux peuples qu'alors qu'elle s'applique aux individus. Nous ne saurions trop nous garder de la prétention d'entreprendre trop de choses à la fois. Attendons que nous en ayons achevé une pour en commencer une autre; cette voie n'est pas seulement la plus sûre, c'est aussi la plus courte. Occupons-nous de donner à notre agriculture, à notre industrie, à notre commerce tout le développement qu'ils comportent, et de longtemps cette tâche suffira à l'emploi exclusif de toute notre activité. Pour cela, supprimons toutes dépenses inutiles ou inopportunes, et portons toutes nos ressources sur l'achèvement et le perfectionnement de nos voies de communication et de transport; c'est là ce que nous avons d'abord à faire de plus pressé, de plus utile; ensuite notre intention devra se fixer sur notre marine, et se porter sur les marchés lointains; plus tard viendra le moment de s'occuper de colonisation à l'extérieur. D'ici là, le temps ne nous manquera pas de donner à nos idées sur ce dernier sujet la maturité dont elles manquent. Quant aux expériences que nous tentons à Alger, nous craignons fort qu'elles ne soient infructueuses, et qu'elles ne servent qu'à justifier l'expression de « boulet aux pieds » dont nous nous sommes servis, et qui paraît avoir si vivement blessé ceux qui ne vont au fond d'aucune des questions qu'ils traitent. Puissions-nous nous être servis d'une expression fausse et mal fondée! Nous posons la question dans ces termes : Que ferons-nous de l'Algérie, si nous ne parvenons pas à la coloniser et à la mettre, en cas de guerre, en état de s'approvisionner et de se défendre par elle-même? Nous résignerons-nous à y entretenir à perpétuité 80,000 hommes ? Or, la guerre éclatant, de deux choses l'une : si nous les y laissons, nous nous privons de 80,000 soldats aguerris, c'est un incontestable affaiblissement; si nous les

rappelons, notre colonie reste sans défenseurs; nous risquons de perdre, sans combat, en un moment, le fruit de tant de sacrifices; c'est un danger certain.

Le Maroc nous a déclaré la guerre, et l'Algérie est demeurée en paix; c'est là une épreuve décisive dont on ne saurait-méconnaître l'importance; cette épreuve ne change pas nos convictions sur le fond de la question de colonisation, mais elle dissipe les doutes qui ne nous faisaient accueillir qu'avec une extrême réserve les bulletins si multipliés et les rapports si prolixes de l'armée d'Afrique. C'est donc avec empressement que nous venons aujourd'hui rendre aux efforts de M. le maréchal Bugeaud la justice qu'ils méritent. Plus ce témoignage public aura été tardif de notre part et plus, nous le croyons, il aura de prix à ses yeux, car moins on pourra le soupçonner de complaisance et de banalité. Le pouvoir de louer est le privilége de ceux qui n'ont pas l'art de flatter.

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II.

20 septembre 1844.

Rien de plus facile que de reprocher aux chambres législatives leur parcimonie; mais supposez qu'elles votassent un, cinq, dix, vingt millions par an pour la colonisation de l'Afrique, que feriez-vous de cet argent? Comment l'emploieriez-vous? Voilà ce qu'il faudrait préalablement savoir et ce que nous demanderions à connaître.

Nous avons lu à peu près tout ce qui a été publié sur les moyens de colonisation militaire ou civile de l'Algérie, et, nous devons le dire, c'est surtout cette lecture, entreprise par nous plutôt dans un esprit favorable que contraire aux idées et aux tentatives de colonisation, qui nous a donné la défiance dont nous avons fait l'aveu.

Voyez donc ce que produisent les encouragements et les subventions que votent les chambres, sur la proposition du gouvernement, en faveur de l'agriculture, des lettres et des arts! Quelle raison avez-vous de croire que dés encourage

ments qui sont stériles, lorsqu'ils sont dispensés sous nos yeux et sous le contrôle d'une presse vigilante, auraient en Algérie une efficacité qu'ils n'ont pas en France? Nous sommes impuissants à faire sortir de sa routine l'agriculture de nos départements, à devancer la marche du temps, et nous n'aurions qu'à semer de l'argent en Algérie pour y recueillir de l'or! Il faudrait que nous vissions ce miracle pour y croire. Tout ce qui a besoin de la serre-chaude pour porter des fruits coûte cher et vaut peu. La colonisation ne fait pas exception à cette règle. Plus qu'aucune autre entreprise humaine, au contraire, la colonisation a besoin de la maturité du temps, car elle a à lutter contre une grande difficulté, celle de trouver des hommes capables, moraux et patients. Les Français qui s'éloignent de la mère-patrie sont rarement de ce nombre. Ils ne vont, communément, chercher la fortune au loin que parce qu'ils n'ont su réussir chez eux dans aucune carrière, faute d'aptitude, de prudence et de persévérance, que pour chercher l'oubli d'une faute ou la réparation d'un désastre. Ce sont le plus souvent des caractères entreprenants, mais dont le fond est l'insoumission, la paresse et la mobilité; des gens enfin qui comptent plus sur le hasard que sur eux-mêmes. Or, il n'en est pas de plus antipathiques à la colonisation, alors surtout qu'il s'agit de terres à mettre en culture, et que l'esclavage est un instrument qui leur manque.

Il ne faut donc pas nous faire d'illusion sur les progrès de la colonisation en Algérie; ils seront infiniment lents, soit que les chambres législatives accordent, soit qu'elles n'accordent pas les fonds qu'on demande, et qu'elles ne sauraient d'ailleurs voter qu'au préjudice de nos grands travaux publics en cours d'exécution.

III.

4 octobre 1845.

On sait ce que l'Algérie coûte déjà à la France : huit cent millions et cent mille hommes, perte qui s'augmente cha

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que année de cent millions et de quinze mille soldats tués dans les expéditions ou morts dans les hôpitaux.

Il n'est donc pas de question dont il soit plus important et plus urgent de s'occuper.

Elle intéresse tous les contribuables, toutes les familles ; il y va de l'honneur de notre drapeau et de notre pavillon; il y va peut-être de l'avenir du pays!

Voilà quinze ans que la question est à l'étude; juste la durée du consulat et de l'empire! N'est-ce donc pas assez? Ou l'on doit savoir aujourd'hui à quoi s'en tenir, ou il faut renoncer à le savoir jamais. Si le gouvernement flotte encore dans l'incertitude et l'ignorance, à coup sûr, ce n'est pas le rapport d'un commissaire ou d'une commission qui l'en tirera. Ce ne sont pas les rapports, les documents de toute nature qui manquent au gouvernement; un rapport de plus ne fera point faire un seul pas en avant à la question; il ne sera qu'un prétexte pour retarder, pendant un an encore, l'examen et le débat; or, il faut, de toute nécessité, qu'elle se vide à la tribune dans la session prochaine.

La presse doit s'unir pour empêcher un nouvel ajournement, et mettre le gouvernement dans l'obligation de terminer une affaire qui ne saurait traîner plus longtemps sans compromettre gravement la dignité et la sécurité nationales.

M. le maréchal Bugeaud avait réussi à accréditer cette erreur qu'il faudrait faire pendant longtemps de grands sacrifices en hommes et en argent pour dominer les Arabes, attendu, disait-il, que la population indigène comptait 8 millions d'âmes et de 6 à 700 mille guerriers bien armés et héroïquement déterminés à s'opposer à notre domination et à la colonisation.

De cette erreur, il avait tiré les conséquences suivantes : Nécessité de maintenir en Algérie un gouvernement militaire y perpétuant la guerre.

Nécessité de circonscrire la colonisation dans des zônes extrêmement étroites.

Nécessité, enfin, de priver les Français non militaires des

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