Page images
PDF
EPUB

tent pas! La passion du bien public ne se révèle pas plus en eux que le génie des grandes choses! De là cette langueur du pays. Ce qui manque à la France, c'est la certitude que le langage qu'on lui fait tenir est toujours digne d'elle, noble et conciliant, ferme et généreux, que de graves intérêts ne sont jamais sacrifiés à de petites considérations; ce qui manque à la France, c'est une administration zélée, intelligente, active, qui contrôle tout et n'entrave rien, que stimulent les efforts et les prodiges de l'industrie, qui rivalise avec elle d'activité et d'imagination, et à chaque produit nouveau ouvre un nouveau débouché; ce qui manque enfin à la France, c'est une opposition qui ne soit pas au dessous de sa tâche et moins capable encore que les ministres qu'elle attaque. L'opposition fût-elle plus nombreuse et parfaitement unie, qu'elle ne serait pas plus forte, car, encore une fois, ce n'est pas parce qu'elle est divisée qu'elle est faible, c'est parce qu'elle est caduque. Si tous ses coups portent à faux, si toutes ses idées se dissipent en vain bruit, si aucun de ses chefs n'a plus d'écho dans le pays, n'en cherchez pas ailleurs la cause.

IV.

16 août 1844.

L'opposition, la nuance d'opposition du moins que le Siècle représente dans la presse périodique, abandonne décidément les errements de 1831. Elle accepte définitivement les faits accomplis; elle renonce à disputer la rive gauche du Rhin à l'Allemagne; elle y renonce « pour le présent et pour l'avenir, et, convaincue enfin que notre ennemi véritable et nos véritables intérêts sont d'un autre côté, elle demande que ce sujet de haine et de querelle « disparaisse à jamais » entre l'Allemagne et nous.

Nous prenons acte de cette déclaration, qui est d'une saine politique; puisse la gauche s'y montrer fidèle! Ses déclamations belliqueuses, en inquiétant l'Europe continentale,

ont trop longtemps servi les desseins de l'Angleterre. Il est sage d'y renoncer.

Puisse l'Allemagne, de son côté, ajouter foi à ces paroles et se convaincre enfin qu'il n'y a plus en France d'autre parti de la propagande et de la guerre que l'imperceptible minorité radicale! Puisse-t-elle comprendre aussi que tous les intérêts sont communs entre elle et la France! Le jour où les convictions pénétreront dans tous les esprits en Europe, deux grands résultats seront obtenus. L'Europe, libre des préoccupations qui la portent à consacrer la plus belle part de ses ressources à se garantir de dangers imaginaires, pourra développer toutes les sources de sa prospérité intérieure, et l'Angleterre, privée de l'appui que donnent à sa politique les préventions réciproques qu'elle sait entretenir parmi les peuples du continent, pourra commencer à trembler pour la durée de cette prépondérance sans base qu'elle a su conquérir au préjudice de tous.

C'est une situation étrange, en effet; mais voilà cinquante ans qu'elle dure, voilà cinquante ans que l'Angleterre fonde l'édifice de cette grandeur devant laquelle semblent s'incliner aujourd'hui tous les peuples, sur les mésintelligences qu'elle sait susciter entre eux. Elle a si bien mis en garde l'Europe contre la France et la France contre l'Europe, si bien persuadé à la France que l'Europe en voulait à ses libertés, à l'Europe que la France, avide de conquêtes et possédée d'un indomptable besoin de propager ses idées par les armes, menaçait ses nationalités et ses pouvoirs, que la France et l'Europe, toujours armées, toujours en défiance l'une contre l'autre, n'ont pas eu de préoccupation plus vive, et ont laissé l'Angleterre accomplir sans obstacle ce vaste système d'accaparement qui l'a rendue maîtresse de toutes les mers.

Et cependant, il y a quinze ans, la France et l'Europe n'étaient pas loin de s'entendre. Les événemens de 1830 eux-mêmes n'eussent pas suffi pour arrêter entre elles le rétablissement de la confiance. L'Europe le montra bien quand, renonçant à son système de propagande monarchi

que et soumettant à des considérations d'un ordre supérieur ses engagements de la sainte-alliance, elle accepta les faits accomplis et salua de son assentiment la nouvelle constitution et la nouvelle dynastie. Qui fit donc renaître une défiance qu'un tel ébranlement n'avait pas suffi pour susciter dans la politique européenne? Il ne faut pas se le dissimuler, ce fut la politique que le Siècle abandonne aujourd'hui, la politique de l'opposition de 1831. Cette politique fit entendre de nouveau le cri de propagande et de guerre, elle menaça l'Europe, elle réclama à grands cris la rive gauche. du Rhin et le rappel des faits accomplis; elle rétablit la défiance, en un mot, et cet état de choses, ces préventions réciproques, dont elle sollicite aujourd'hui l'abandon.

Il en résulta, ce que nous avons vu, que la politique de la France se trouva subordonnée à la politique de l'Angleterre. Il en résulta encore, ce que nous voyons aujourd'hui, que l'alliance intime entre la France et l'Angleterre, en dehors des circonstances et des intérêts passagers qui ont pu la faire naître, étant contraire à la nature des choses, elle se brise, malgré les efforts des gouvernements, par la résistance individuelle des peuples, et, d'un autre côté cependant, les préventions de l'Europe subsistant toujours, et la France ne voulant pas se résoudre à l'isolement, la France se trouve repoussée dans cette alliance aussi contraire à ses sympathies nationales qu'à ses intérêts et à sa grandeur.

Une seule circonstance peut l'affranchir entièrement de cette alliance, c'est le rétablissement de la confiance entre elle et l'Europe, c'est l'abaissement de cette barrière de préventions et de haines que la politique de l'Angleterre a su lui opposer. Aussi voyons-nous avec une satisfaction vive et sincère tout ce qui peut préparer ce résultat si désirable. C'est à ce titre que la déclaration faite par le Siècle, au nom de l'ancienne opposition de 1831, nous a paru mériter d'être signalée.

V.

23 juillet 1346.

Nier que M. de Lamartine eût aucune popularité avant qu'il rompît, en 1842, avec le parti conservateur, dont il fut un moment l'un des chefs, le chef presque unique dans la Chambre des députés (MM. le comte Molé et le comte de Montalivet appartenant l'un et l'autre à la Chambre des pairs), c'est audacieusement supprimer de sa carrière parlementaire plusieurs de ses plus beaux discours, des discours qui furent des actes, entre autres celui qu'il prononça le 10 janvier 1839 (1); c'est supprimer de sa vie politique les admirables articles datés de Mâcon, 1839, sur la reconstitution des 221; ceux non moins admirables, également datés de Mâcon, 1840, qui furent les premiers et les plus rudes coups portés au ministère du 1er mars, lequel aurait présenté ce spectacle sans exemple d'un cabinet soutenu par tous les journaux sans exception, sila Presse, résistant seule à cet entraînement, n'avait manqué à cette unanimité; c'est oublier l'effet immense que produisirent ces articles, c'est oublier le service plus immense encore qu'ils rendirent au pays inquiet, à la paix compromise, à la liberté menacée.

Nous en appelons à tous les souvenirs, à tous les partis, et nous leur demandons si cet instant ne fut pas celui où

(1) Ce discours se terminait ainsi :

« Je me résume et je dis : Si les adversaires du cabinet nous présentaient un programme conforme à ces grands principes de progrès social auxquels je faisais allusion tout à l'heure, si vous étiez des hommes nouveaux, je voterais avec vous; mais tant qu'il ne s'agira que de renverser des hommes sans toucher aux choses, et que de ratifier aveuglément je ne sais quels marchés simoniaques dont nous ne connaissons pas même les clauses pour le pays, je continuerai à voter, dans les questions de cabinet, pour les ministres de l'amnistie et de la paix, contre les ministres énigmatiques dont les uns ont un pied dans le compte rendu, les autres dans les lois de septembre, et dont l'alliance su-pecte et antipathique ne permet à mon pays que deux résultats funestes qu'il vous était donné seuls d'accomplir à la fois : la dégradation du pouvoir et la déception certaine de la liberté. »Ne vous y trompez pas, je ne me pose ici le défenseur et le panégyriste d'aucun cabinet; JE NE VOIS PAS LES HOMMES, MAIS JE VOIS UNE CRISE SANS DÉNOUMENT ET SANS ISSUE; c'est plus qu'un cabinet, c'est une situation du pays que je viens defendre. »

M. de Lamartine parut à la fois le plus puissant et le plus populaire ?

Le plus populaire, car il s'était montré le plus courageux; le plus puissant, car, au lieu de se borner à refuser avec désintéressement le portefeuille ou l'ambassade qui lui fut offert, à son choix, le 28 octobre 1840, il n'aurait eu qu'à s'opposer à ce que le cabinet du 29 octobre se formât pour qu'il ne vécût pas et qu'il s'en constituât un autre, dont ni M. Guizot ni M. Thiers n'eussent fait partic.

M. de Lamartine, au pouvoir avec M. le comte Molé, après les deux essais du ministère du 12 mai 1839 et du 1er mars 1840, c'était une politique nouvelle, c'était une politique sympathique à toutes les idées élevées, généreuses; c'était une politique de paix et de progrès en même temps que d'ordre et de liberté ; M. de Lamartine dans l'opposition, en opposition avec M. Thiers et M. Barrot, c'est l'opposition divisée, c'est l'opposition affaiblie, c'est l'opposition déconsidérée, c'est le progrès retardé ! Voilà la belle œuvre qu'ont faite ces bas racoleurs de la gauche, qui, profitant de ce qu'il y avait des dissidences entre la majorité et l'illustre député de Mâcon, n'ont pas eu de cesse qu'ils ne l'eussent fait glisser sur la pente de l'opposition, d'où il est si difficile de remonter.

Et quand il serait vrai, ce qui ne l'est pas, qu'il ne tînt qu'à M. de Lamartine & de rallier par sa parole et son » exemple tous les esprits désintéressés, tous les cœurs hon» nétes, à la bannière de l'opposition véritable, » que représenteraient réunis tous les esprits désintéressés, tous les cœurs honnêtes de l'opposition? La minorité parlementaire, c'est-à-dire l'impuissance légale.

Quand on a des convictions profondes, une haute ambition, un immense talent, quand on sent en soi une grande mission à remplir, quand le progrès n'est pas un nom donné à un ballon enflé d'air servant à porter l'orateur ou l'écrivain par-delà les nuages, quand c'est un mot qui résume des idées arrêtées, avides de réalisation, impatientes de

« PreviousContinue »