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beaucoup d'esprit, a peu d'imagination; il n'imagina rien de mieux que de refaire, en 1840, ce qu'avait fait en 1830 M. Mauguin, de surexciter l'amour-propre national, de réveiller les défiances de la France contre l'Europe, et celles de l'Europe contre la France. On n'oubliera pas de longtemps quelle fut la triste fin du ministère du 1er mars 1840; nous pouvons donc nous dispenser de le rappeler. L'opposition a fait des mots de liberté publique et de dignité nationale un tel abus, qu'elle les a presque déconsidérés, et que lorsqu'elle les prononce, on ne l'écoute plus qu'avec indifférence et incrédulité. Sa voix se perd dans le vide et n'a plus d'écho. Que lui reste-t-il donc à tenter? Il lui reste à tenter ce qu'elle n'aura pas très certainement le bon sens d'entreprendre.

Reconnaissant que le terrain lui manque, si elle était sensée, elle s'établirait franchement sur celui de ses adversaires; elle leur dirait vous voulez l'ordre et la paix, nous les voulons aussi, mais nous voulons que l'un et l'autre portent leurs fruits; nous voulons que vous en profitiez pour effacer dans l'esprit des gouvernements les dernières traces de leurs préventions contre nous, et pour allier étroitement la France avec tous les peuples qui ont les mêmes intérêts que les nôtres; nous voulons que vous en profitiez pour mettre un terme à cet état de paix armée si dispendieux, qui écrase les populations et détourne l'impôt de son lit; nous voulons que vous en profitiez pour exécuter avec unité et grandeur tous les grands travaux qui doivent avoir pour effet d'abaisser le prix des principaux objets de consommation, de faire descendre le bien-être, et avec le bienêtre l'instruction et la moralisation dans les classes laborieuses; nous voulons que vous en profitiez pour nous mettre le plus tôt possible en état de soutenir sans crainte la concurrence étrangère et l'épreuve de la liberté commerciale; nous voulons que vous en profitiez pour vous occuper sérieusement de mettre la science à la place de la routine qui administre et de l'empirisme qui gouverne; nous voulons que vous en profitiez pour résoudre avec en

semble toutes les importantes questions que vous ajournez ou que vous ne tranchez qu'isolément; nous voulons enfin que vous profitiez de la paix pour la rendre inébranlable, glorieuse et profitable à la liberté des peuples dont nous avons inquiété les gouvernements ombrageux par nos fréquentes révolutions et nos tentatives de propagande.

Cette voie serait la seule par laquelle l'opposition, conduite par M. de Lamartine, pourrait peut-être encore échapper au discrédit qui la poursuit et rallier à elle le pays qui est fatigué de payer annuellement, en pure perte, 350 millions pour l'entretien d'une armée dont l'effectif ne se justifie par aucun système politique, armée qui serait trop faible contre l'Europe coalisée, et qui est trop considérable relativement aux services qu'elle est appelée à rendre. Mais cette voie que nous venons de lui indiquer, nous sommes bien sûrs que l'opposition ne la suivra pas, car cette voie est large et toute droite.

II.

7 octobre 1843.

Le Siècle, que notre article sur les véritables causes du discrédit dans lequel est tombée l'opposition, paraît avoir blessé profondément au cœur, trouve plus facile de nous accuser d'inconséquence que de nous réfuter.

Le Siècle prétend que nous avons demandé (1) que le droit de suffrage soit accordé à tous les contribuables âgés de vingt-cinq ans. Nier que « la France, protégée par la divi»sion de la propriété foncière, soit si faible qu'elle ne puisse » supporter, sans tomber dans l'anarchie, une loi électorale » nouvelle, cette loi accordât-elle à tout citoyen âgé de >> vingt-cinq ans, inscrit sur le rôle de l'une des quatre con»tributions et en état d'écrire son bulletin, le droit de con>> courir à l'élection des représentants de son pays, » de bonne foi, est-ce là proposer une réforme électorale, sur

(1) Voir l'article intitulé: LES SIMPLIFICATEUrs.

tout quand ces lignes ont pour commentaire non équivoque celles qui précèdent? Affirmer que « de part et d'autre, gouvernement et opposition, s'exagèrent, celui-là le danger, celle-ci l'avantage de certaines réformes politiques; » affirmer que le suffrage universel ne rendrait pas la » France plus libre et ne donnerait pas à la représentation » nationale plus d'éclat et des membres plus éclairés, plus » indépendants, » est-ce là, en vérité, confesser la même foi politique que l'opposition? Entre cette négation et cette affirmation, où donc est l'inconséquence? L'opinion que nous avons émise sur le droit universel de suffrage est celle que nous avons toujours professée en toutes circonstances et en tout temps. Non, nous ne croyons pas que la France soit plus faible que la Belgique et que l'Espagne, où tout contribuable est à peu près électeur. Oui, nous croyons que ce que supportent ces deux pays, elle le pourrait à plus forte raison supporter sans tomber dans l'anarchie; mais entre cette conviction profonde que nous avons, et l'espérance illusoire qu'une réforme électorale résoudrait tous les problèmes de liberté, d'ordre, de progrès et de gouvernement, il y a toute la distance qui sépare les opinions de la Presse de celles du Siècle, du National ou de la Gazette de France. Nous croyons, par exemple, que si la loi municipale votée en 1831 était à faire, elle serait conçue aujourd'hui dans un esprit tout différent. Telle qu'elle est, cependant, le pays s'en accommode, et il en souffrirait peu, si l'administration des préfets et des sous-préfets était ce qu'elle devrait, ce qu'elle peut être. Il faut que des lois politiques soient bien mauvaises pour être dangereuses, dans un pays où l'administration publique est bonne.

Les lois électorales, quelque radicales ou restrictives qu'on les imagine, n'ont pas la vertu de suppléer les hommes supérieurs là où ils n'existent pas. Les gouvernements ou les partis qui croient qu'il n'y a qu'à changer certaines lois politiques, pour voir résoudre aussitôt les difficultés contre lesquelles ils luttent, tombent les uns et les autres dans une erreur qui a toute la profondeur d'un

abime: c'est cette erreur qui a perdu la Restauration; c'est la même erreur qui a discrédité l'opposition. Les institutions, si parfaites qu'on les imagine, ne peuvent pas plus se passer du concours de l'homme que les plus puissantes machines; celles-là mêmes qui sont douées de la force de mille chevaux ont encore besoin de lui pour être mises en mouvement. Un seul homme comme Napoléon (que le Siècle nous pardonne cette hérésie!) a plus de valeur à nos yeux que les cinq ou six cents lois que nos deux Chambres ont votées depuis qu'il a cessé de régner sur la France. Ce n'est pas à dire, cependant, que nous ne fassions aucun cas des formes constitutionnelles; loin de là: nous ne sommes nullement de l'avis de ceux qui les considèrent comme un affaiblissement du pouvoir royal et monarchique; nous les considérons, au contraire, comme des arcs-boutants qui ajoutent à sa force. La royauté est plus puissante en Angleterre et en France, où l'impôt, pour être perçu, a besoin d'être voté, qu'elle ne l'est en Autriche, en Russie ou en Turquie, dans quelque gouvernement absolu que ce soit, où l'impôt n'a pas besoin d'être voté pour être perçu. Qui pourrait mettre en balance le droit de disposer plus ou moins arbitrairement de la liberté, de la fortune, et même de la vie de quelques sujets, avec la faculté de lever annuellement, sans résistance, quinze cents millions d'impôts, et de pouvoir emprunter presque indéfiniment?

Or, le crédit public n'existe en réalité que là où le bon vouloir des rois a fait place au vote d'une représentation nationale. Personne n'est plus que nous sincèrement dévoué à la forme du gouvernement qui nous régit, mais nous ne le sommes point en ultrà; nous ne lui demandons que ce qu'elle comporte, et rien au-delà. A notre avis, c'est en abuser que de s'en servir pour remettre sans cesse en question ce qui a été décidé, pour faire tout dégénérer en discussions oiseuses, en interminables luttes de tribune, en vains tournois oratoires. Nous voudrions qu'on agit plus et mieux et qu'on dissertât moins; nous pensons qu'il y a des propositions dont l'adoption serait plus urgente et plus utile

que celle de la réforme électorale ou parlementaire; nous pensons que le lendemain du jour où ces deux propositions, ou même toutes autres plus radicales, auraient reçu la sanction législative, les chefs de l'opposition n'en deviendraient pas pour cela miraculeusement des hommes d'État consommés; la Chambre des députés n'en aurait ni plus de lumières ni plus d'indépendance, peut-être moins encore; le pays enfin n'en serait pas mieux gouverné. Et c'est sans doute parce que le pays partage avec nous cette conviction que toute proposition de réformes politiques le trouve si froid, si indifférent, et qu'il pèse d'un poids si léger sur le corps électoral. Quittez Paris, allez dans les départements, visitez les communes, consultez leurs habitants, rendez-vous compte de ce qui les intéresse, de ce qui les occupe, de ce qui les agite, et, si vous n'êtes pas aveugles, vous verrez que ce dont ils se soucient le moins, c'est d'une réforme électorale; que ce dont ils s'occupent le plus, c'est d'abord de l'impôt qu'ils payent, c'est ensuite de leurs chemins et de leurs routes, c'est de savoir à quelle distance passera d'eux le canal ou le chemin de fer projeté ; c'est enfin de la réparation de leurs églises presque partout en ruines, de l'agrandissement de leurs hospices tous les jours de plus en plus insuffisants, de la construction de leurs mairies et de leurs maisons d'école ; pénétrez au sein des familles, regardez bien, et vous verrez de quel poids douloureux pèse sur elles la loi qui fait du service militaire une obligation civile à laquelle n'échappe que l'infirme et celui que la fortune ou le sort a favorisé. Ah! quelles bénédictions recueilleraient le gouvernement et le ministre qui, revenant au système de la loi de 1818, et le perfectionnant, substitueraient au régime des appels celui des enrôlements volontaires, n'enlèveraient plus le fils à ses parents au moment où son travail va les payer de leurs soins, le paysan à sa charrue, laisseraient sans interruption poursuivre leur profession ceux qui en ont une, et en donneraient une à ceux qui n'en ont pas ou qui sont à charge à leurs familles! Mettez aux voix dans toutes les communes de France votre proposition

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