Page images
PDF
EPUB

1847.

LES HARANGUES ANNUELLES.

7 août 1847.

En politique, comme en administration, nous sommes pour la simplification. Simplifier est notre devise. Si nous avions voix décisive au conseil où se débattent plus souvent que ne s'y résolvent les questions de gouvernement, il y a longtemps qu'on en aurait fini avec les discours qu'il est d'usage de prononcer le premier jour de l'an et le jour de la fête du roi. Ou ces discours ont un sens ou ils n'en ont pas. S'ils n'en ont pas, ce sont de solennelles banalités qui ne servent qu'à amoindrir les institutions et à les exposer au persiflage des partis; si ces discours ont un sens, il est rare qu'ils ne donnent pas lieu à des difficultés, à des embarras, à des complications, Dans l'un comme dans l'autre cas, ils ne sont bons qu'à faire à la royauté constitutionnelle une situation fausse, délicate, que l'habileté du langage et une auguste expérience ne suffisent pas toujours pour vaincre ou pour éluder. Pourquoi ne pas se borner purement et simplement à défiler devant le roi et sa nombreuse famille en les saluant? Nous comprenons parfaitement les convenances, l'utilité, la nécessité de deux adresses votées chaque année par les deux chambres législatives à l'époque de l'ouverture de la session; il faut que le pays ait une occasion de s'expliquer avec solennité et autrement qu'en détail; mais, puisque nous sommes sur ce sujet, nous en fe

rons incidemment l'aveu, nous ne comprenons pas aussi bien l'utilité de ce qu'on est convenu d'appeler « le discours de la couronne. » Un discours où un président du conseil des ministres viendrait exposer avec précision l'état des affaires du pays, ce qui a été accompli dans l'intervalle des deux sessions et ce que le pouvoir exécutif se propose d'entreprendre avec le concours du pouvoir législatif, un tel discours nous paraîtrait de beaucoup préférable. Mais peutêtre avons-nous tort? Si nous avons tort, si cette opinion est fausse, qu'on l'impute à l'aversion que nous inspire ce qui n'est que lieux-communs. Encore si le lieu-commun n'était qu'accidentel, il serait supportable; mais quand il est périodique il s'aggrave en se répétant. Ce qui était exagéré la première fois risque la seconde de devenir ridicule. Le cercle dans lequel tournent tous nos compliments que l'usage a consacré est très étroit. Les formules ne sont pas variées, et dès qu'on essaie de les varier on tombe tout au moins dans l'effort, la recherche ou la singularité. En fait de compliments de ce genre, le mieux encore est de ne pas chercher à innover. Il vaut mieux être terne que boursouflé ou grotesque. Les hommes qui ont le plus d'esprit, le plus de tact, ont tous échoué à cette œuvre où la gloire n'est pas en raison du péril. A cet égard, la restauration n'a rien eu à envier à l'empire, et nous ne sommes ni au dessus ni au dessous de ces deux époques, infiniment moins différentes de tendances que d'origines.

Après ce que nous avons dit sur les inconvénients inhérents à cet échange de discours qui a lieu deux fois par an, nous ne devrons pas être suspect si nous louons les deux réponses faites aujourd'hui par le roi à M. le chancelier de France et à M. le président de la Chambre des députés. Ces deux réponses sont empreintes d'une fermeté qui emprunte aux circonstances actuelles une signification qui n'a échappé à personne. On a surtout remarqué et vivement applaudi le passage de sa réponse, dans lequel il dit que sa mission est de montrer aux rois que la monarchie peut s'allier à la liberté, et aux peuples que la liberté peut s'allier à

la monarchie; que, loin de s'exclure l'une l'autre, elles se prêtent un mutuel appui. Pour n'être pas absolument neuve, cette pensée n'en est pas moins juste, et dans cette rencontre des deux mots de monarchie et de liberté qui se trouvent également dans la réponse du roi à la Chambre des pairs et dans sa réponse à la Chambre des députés, nous croyons qu'il faut y voir plus qu'un heureux hasard d'improvisation. C'est l'impression qu'ont reçue et emportée tous ceux qui ont assisté à cette réception.

1847.

LA NOMINATION DE M. HÉBERT

28 avril 1847.

M. Hébert paraît devoir être appelé au ministère de la justice. L'inexplicable opposition que M. Hébert, cédant sans doute à d'occultes et de malfaisantes influences, a faite à la Presse, cette opposition ne nous rendra pas injuste pour lui. Nous reconnaîtrons volontiers qu'il ne manque ni d'une certaine fermeté de caractère, ni d'un certain talent de tribune; mais n'était-il pas possible, ne le serait-il pas encore de faire un choix plus politique, plus agréable à la majorité de la majorité, et moins périlleux peut-être pour l'existence du cabinet? On ne tombe jamais que du côté où l'on penche, a dit un jour M. Guizot. Nous n'avons pas oublié ces paroles, dont on regrettera peut-être trop tard que nous ayons été les seuls à nous souvenir. Ce n'est pas, suivant nous, de ce côté que la prudence et « la bonne politique » conseillaient au ministère d'aller se recruter. On n'est pas exclusif impunément. Si l'on ne voulait se jeter d'aucun côté, il y avait alors un choix qu'eussent certainement approuvé tous les hommes sensés dont le regard s'étend plus loin que le jour et le lendemain, et qui se préoccupent, avec raison, de la discussion prochaine de plusieurs questions délicates, et du passage inévitable de circonstances difficiles; c'eût été le choix de M. Sauzet, qui a déjà rempli les fonctions de garde-des-sceaux et de mi

nistre des cultes. La nomination de M. Sauzet, en laissant vacante la présidence de la Chambre des députés, permettait d'y rappeler M. Dupin. La nomination de M. Sauzet nous paraissait doublement indiquée par la situation. Le ministère n'a pas été de cette opinion; l'avenir montrera qui, de lui ou de nous, a fait preuye, en cette occasion, du tact politique le plus sûr. Il y a une justice qu'on s'accorde à nous rendre c'est que le journal que nous dirigeons s'est rarement trompé sur aucune des questions politiques, économiques, administratives ou autres qu'il a dû traiter. Cela s'explique par son indépendance. Rappelons-les sommairement la première question qui se présente à ce journal lorsqu'il paraît, en 1836, c'est l'intervention en Espagne ; il la combat sous toutes ses formes, et le ministère du 22 février se retire pour faire place au ministère du 6 septembre. Où nous eût menés l'intervention ?-A l'occupation plus ou moins prolongée, avec toutes ses conséquences, dont la moins dangereuse eût été de nous faire porter la responsabilité d'un ordre de choses qui n'eût pas tardé à devenir odieux, par cela seul qu'il eût paru imposé. Le ministère du 6 septembre, en succédant au ministère du 22 février, hérite de deux questions à résoudre toutes les deux graves, mais d'une nature différente, l'une politique, l'amnistie, l'autre économique, la question des sucres. Résistant à nos pressantes instances et cédant aux clameurs de quelques ultra-conservateurs, il recule devant l'amnistie, cette grande mesure que M. le duc d'Orléans a pris le soin de glorifier de sa propre main avant de descendre dans la tombe où l'ont suivi tant de regrets. A qui les faits ont-ils donné raison? Au lieu de trancher la question des sucres, comme nous le lui conseillions, par un abaissement radical du droit qui eût doublé la consommation, favorisé le développement de notre marine, sans qu'il fût nécessaire de prononcer l'interdiction légale de la fabrication du sucre de betteraves, il a transigé. En faveur de qui les faits, cette fois encore, se sont-ils prononcés? Le ministère du 6 septembre se modifie en s'éclairant; il devient le ministère du 15 avril. Au

« PreviousContinue »