Page images
PDF
EPUB

» tion? Pourquoi sommes-nous minorité ? Pourquoi gémis» sons-nous sans agir, et nous laissons-nous traîner sans » lutte à la suite d'une réaction illibérale d'autant plus

dangereuse qu'elle est plus insensible et plus douce, » et qu'au lieu de violenter le pays, elle l'achète et elle » le vend? Pourquoi marchons-nous évidemment en sens » inverse des grands buts que deux révolutions énergi»ques avaient posés dans nos espérances? A quoi bon le » dire? tout le monde le sait. Ce n'est pas que les amis du » développement du progrès, de l'accomplissement des » idées libérales, soient en petit nombre en France : c'est » qu'ils sont désunis; c'est qu'au lieu de s'associer par ce » qu'ils ont de commun, et de marcher en corps et en » masse, avec un seul mot d'ordre et une seule volonté, » vers des buts successifs et que tous veulent atteindre, ils » se divisent et ils marchent séparés sous cinq ou six petits » drapeaux, dont les uns disent trop, dont les autres disent » trop peu, dont plusieurs ne disent rien du tout; et que, » se présentant ainsi à des combats partiels et non combi» nés contre une majorité compacte, ils donnent la victoire

à la discipline et à l'unité. Oui, voilà le mal. Mais la gra» vité croissante du péril et la multitude des défaites doi» vent enfin apprendre à l'opposition où est sa force et son » salut : - Ralliement et unité! voilà les deux gages de » son triomphe futur. Le pays se ralliera à elle quand il » verra qu'elle se rallie elle-même à quelque chose. »

Nous croyons que M. de Lamartine se trompe, qu'il prend l'effet pour la cause, quand il attribue la faiblesse de l'opposition à la désunion et au fractionnement qu'il lui reproche. L'opposition n'est pas faible parce qu'elle est désunie; mais elle est désunie parce qu'elle est faible. Elle est faible parce qu'il n'y a pas un sentiment qu'elle n'exagère, pas un principe qu'elle ne fausse, pas un intérêt qu'elle n'alarme, pas une basse passion qu'elle ne flatte, pas un homme mɔdéré qu'elle ne blesse par d'injurieux soupçons. Elle est désunie parce qu'elle ne sait pas ce qu'elle veut; elle n'a pas de volonté parce qu'elle n'a pas d'idées. En a-t-elle jamais

[ocr errors]

montré une seule 'qui fût juste, large, féconde? Elle vit comme le pouvoir..... d'expédients.

Si elle n'avait pas exagéré à tout propos le sentiment de l'honneur national, si elle ne l'avait pas fait dégénérer trop souvent en susceptibilités mesquines, en défiances injustes contre l'Europe, pour en faire successivement contre tous les ministères un thème banal d'accusation; si elle avait pris la peine d'étudier les véritables intérêts de la France et du continent, l'histoire et l'avenir, elle n'eût pas commis, il y a deux ans, l'irréparable faute de voter les fortifications dont elle demande aujourd'hui la démolition; inconséquence que le pays juge sévèrement. Elle se fût convaincue que, dans cette grande ère de concurrence industrielle et commerciale que trente années de paix ont ouverte, la France n'avait plus dans le monde d'autre rivale et d'autre ennemie à craindre que l'Angleterre, d'autre empire à partager que l'empire des mers; elle n'eût pas accusé le ministère renversé par la coalition de ne s'être pas montré « gardien >> assez fidèle de l'alliance anglaise. »

Lord Palmerston conclut en 1840 un traité que l'opposition, toujours fidèle à ses habitudes d'exagération, qualifie d'outrage; que fait l'opposition pour se venger de lord Palmerston? Vote-t-elle trois cent millions pour accroître nos forces maritimes, et améliorer nos ports? Non, elle vote d'enthousiasme trois cent millions (1) pour augmenter le nombre de nos régiments de cavalerie et fortifier Paris!

Toujours inconséquente, l'opposition déclame contre l'énormité des budgets, chicane misérablement sur toutes les petites dépenses et vote sans difficulté toutes les grosses. Une armée qui, de 1830 à 1841, a coûté à l'État, en douze années, 3,975,253,913 francs, formant une moyenne annuelle de 331,271,159 francs, ce qui représente par jour le chiffre de 907,592 francs, lui paraît une chose toute simple, et elle inclinerait plutôt à trouver notre effectif trop faible que trop considérable. Pourquoi entretenir à si grands frais une

(1) Lois du 3 avril et du 25 juin 1841.

telle armée ? Dans quel but? De quel système politique cet état militaire est-il l'expression? Que veut la France? Quels sont ses alliés naturels, quels sont ses ennemis probables? N'a-t-elle donc pas de dépenses plus utiles et plus urgentes, un meilleur emploi à faire de la richesse publique? Voilà des questions sur lesquelles l'opposition n'a jamais sommé le gouvernement de s'expliquer, et auxquelles cependant il eût été assez embarrassé de répondre. Toutes les attaques de l'opposition sont toujours personnelles ; elle s'en prend aux choses à cause des hommes, au lieu de s'en prendre aux hommes à cause des choses; or, le pays, qui l'a vu renverser vingt ministères en douze ans sans qu'il en résultat aucune réforme, aucune amélioration, ne croit plus en elle. A-t-il tort? De là l'état de discrédit et d'impuissance dans lequel elle est tombée.

Est-il possible aussi d'être plus dénuée que l'opposition de sens politique, de tact et de connaissance du cœur humain? Que fait-elle? Que devrait-elle faire? Elle devrait, avant tout, s'imposer la loi de respecter dans le gouvernement les principes de son existence, et de n'attaquer que ses actes; encore pour les attaquer devrait-elle attendre patiemment le moment où la raison et la conscience publique seraient d'accord avec elle pour les improuver, où le pouvoir se serait mis dans l'impossibilité de les défendre, où elle aurait pleinement sur lui l'avantage de celui qui sait sur celui qui ignore, de celui qui critique sur celui qui exécute, de celui qui signale l'erreur sur celui qui s'est trompé. Que fait-elle? Au lieu de se contenir, de ne rien donner à la passion et au hasard, de différer de frapper plutôt que de frapper à faux, il n'y a pas un prétexte d'attaque qu'elle ne saisisse inconsidérément, pas une méchante intrigue dans laquelle elle ne laisse une plume de son aile, pas une sotte manœuvre que le premier venu ne la trouve prête à exécuter; aussi, sur dix batailles qu'elle livre étourdiment, en perd-elle neuf, couvrant ainsi par le nombre de ses défaites les fautes du pouvoir, et le consolidant d'autant plus fermement qu'elle fait plus d'efforts pour

l'ébranler. Au lieu de se borner à une critique habile et mesurée des actes du gouvernement, afin d'éclairer la majorité et de la modifier insensiblement, c'est l'existence même de la majorité qu'elle met violemment en question en demandant l'extension du nombre des incompatibilités et l'adjonction des capacités, la réforme parlementaire et la réforme électorale. Qu'ensuite l'opposition s'étonne d'être en minorité dans la Chambre et dans les collèges électoraux, il faut convenir que c'est de sa part un excès de naïveté, plus encore qu'un excès de présomption. Lorsqu'elle demande à la Chambre élective de se décimer ellemême, lorsqu'elle demande à cent cinquante fonctionnaires publics de voter leur expulsion de l'enceinte parlementaire, lorsqu'elle demande au corps électoral d'étendre le privilége dont le payement du cens le fait jouir, que fait-elle ? Elle fait juste le contraire de ce qu'il serait sensé de faire. Elle rend au ministère le service de l'obliger de monter à la tribune pour défendre l'indépendance de la Chambre mise en suspicion, la situation des fonctionnaires publics menacée, la sincérité de la représentation nationale attaquée. Elle lui fournit ainsi l'occasion de s'acquérir de nouveaux titres à la reconnaissance de la majorité, au dévoùûment des fonctionnaires-députés, à la confiance du corps électoral, enfin de resserrer plus étroitement les liens de la majorité.

Un tel contresens ne pouvait échapper à l'esprit clairvoyant de M. Thiers, lorsqu'il passa dans les rangs de l'opposition: aussi a-t-on vu le peu de cas qu'il affectait de faire de toutes les propositions de réforme électorale ou parlementaire, et le sort qu'il leur réservait dans les bureaux de la Chambre, où il chargeait ses amis de les enterrer. Non moins clairvoyant, M. Guizot ayant repris sa place à la tête du parti conservateur, dut adopter la tactique contraire; par cela même qu'il était de l'intérêt de M. Thiers de faire tous ses efforts pour empêcher qu'on portat à la tribune des propositions dont la discussion et le rejet ne pouvaient avoir pour effet que d'amoindrir l'opposition et de grossir la majorité, il était de l'intérêt de

M. Guizot d'en faire autoriser la lecture par les bureaux, et de les faire prendre en considération par la Chambre, afin de se ménager ainsi une facile et éclatante victoire personnelle en faisant repousser ces propositions par les centres unanimes, flanqués d'un certain nombre de fonctionnaires de la gauche, qui votent avec eux au scrutin secret. Tel est l'aveuglement de l'opposition, qu'il se pourrait qu'elle ne se fût jamais rendu compte de cette double manœuvre, exécutée en sens contraire par deux anciens alliés devenus rivaux, tacticiens consommés dignes l'un de l'autre ! Ainsi s'explique, par le défaut de sens politique, de tact et de connaissance du cœur humain, pourquoi l'opposition qui a renversé tant de ministères n'a jamais pu prendre la place d'aucun d'eux, pourquoi elle est toujours restée minorité dans la Chambre et dans le pays, bien que, selon l'expression de M. de Lamartine, les amis du développement, du progrès et de l'accomplissement des idées libérales y soient en majorité.

« Ralliement et unité, s'écrie-t-il en parlant de l'op» position, voilà les deux gages de son triomphe futur. » Le pays se ralliera à elle quand il verra qu'elle se rallie » à quelque chose.» Sera-ce la réforme parlementaire? Elle n'est possible que par le concours de la majorité, et ni la majorité ni M. de Lamartine n'en veulent. Sera-ce la réforme électorale? Elle n'est possible qu'avec l'assentiment de la Chambre, et ni la Chambre élective ni le corps électoral ne la désirent; le pays lui-même paraît ne s'en soucier aucunement. On voit donc que la gauche et le centre gauche n'ont plus de terrain sur lequel ils puissent édifier; à peine s'il leur en reste assez pour combattre; le sol ferme leur manque; il n'y a pas de terrain libéral. Aussi M. Thiers, jugeant comme nous cette position impossible à défendre, inutile à garder, n'eut-il rien de plus pressé, en 1840, que de la faire abandonner au parti dont il venait de partager le commandement avec M. Barrot, et que de transporter sur un terrain nouveau sa base d'opérations. L'observation était juste, mais le terrain fut mal choisi. M. Thiers, qui a

« PreviousContinue »