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1846.

M. THIERS ET LA RÉFORME POSTALE.

20 juin 1846.

Le nombre des députés qui ont voté en faveur de l'amendement de MM. Monnier de la Sizeranne, Muteau, SaintPriest, Émile Girardin et Sapey, est de 87. Mais il ne faut pas se faire d'illusion; même ce dernier chiffre est encore loin d'approcher de celui de 170 de la session dernière, lequel avait donné lieu d'espérer, à tous les départements, que la réforme postale ne serait pas encore une fois renvoyée aux calendes d'une autre législature! Toutefois, il ne faut pas se décourager; il faut, au contraire, que tous les conseils généraux persistent plus que jamais à reitérer le même væu, et à se prononcer en faveur de l'unité de taxe, le seul qui ne doive pas avoir pour effet d'imposer au trésor public un sacrifice prolongé! Tout autre système, la tribune le prouvera, ne comporte pas une discussion sérieuse. On a remarqué que M. Thiers, se séparant de ses amis, avait voté contre l'amendement ayant pour but l'établissement de l'unité de taxe. C'est toujours le même homme, rebelle à toutes les améliorations fécondes, à toutes les réformes qu'une intrigue de couloir n'a pas fait éclore!

1846.

L'ESPRIT DE FISCALITÉ.

5 juillet 1846.

La fiscalité est à la science financière ce que l'usure est à la haute banque. Combien y a-t-il d'usuriers qui meurent riches? L'usure n'est pas seulement le plus indigne des métiers, c'est aussi le moins lucratif. Ce qui est vrai pour l'usure est également vrai pour l'impôt, dont le développement n'a pas d'ennemi plus nuisible que l'excès de l'esprit fiscal.

M. le ministre des finances vient d'interdire aux directeurs des postes de se charger des abonnements aux journaux. Pourquoi? Parce qu'on lui a représenté que l'administration des postes y perdait l'affranchissement d'un certain nombre de lettres, plus le timbre d'une reconnaissance, plus enfin le droit de 5 0/0 qu'elle prélève pour les envois d'argent.

On lui a dit :

Savez-vous ce que font les directeurs de poste auxquels on s'adresse pour prendre ou pour renouveler un abonnement de journal? Ils attendent qu'ils aient plusieurs demandes d'abonnements, quatre, cinq, six, afin de n'avoir qu'une seule lettre à écrire à leur correspondant à Paris et de pouvoir faire ainsi l'économie de trois ou quatre ports de lettre, d'où résulte un grand préjudice pour l'administration; ce n'est pas tout, au lieu de se servir de reconnaissances de postes, soumises au timbre et donnant lieu au droit de 5 0/0, ils envoient généralement en payement un

mandat sur une maison de banque ou de commission de Paris; le Trésor perd donc à cela l'affranchissement de 20,000 lettres au moins par an, etc., etc. C'est un abus grave qui appelle de votre part une répression sévère.

Et M. le ministre des finances aussitôt de signer la circulaire soumise à son approbation.

Eh bien! admettons ce nombre de 20,000 lettres :

20,000 lettres, au prix moyen de 41 centimes, représentent...

Ajoutez-y le timbre de 20,000 reconnaissances à 35 centimes .

8,200 fr.

7,000

Ajoutez-y encore le droit de 5 0/0 sur 2,000 abonnemens à 15 fr., prix moyen par trimestre. . 15,000

Total. .

30,000 fr.

Oui, nous en convenons, voilà 30,000 fr. de recettes dont l'administration des postes est frustrée par ses propres agents; mais par suite de la mesure ultra-fiscale prise par l'administration des postes, le nombre des abonnements a notablement diminué. Cela est facile à expliquer, et cela s'explique ainsi :

48 francs, prix que coûtent la Presse et le Siècle, aux yeux de beaucoup de petits propriétaires ruraux, c'est le revenu d'un héritage de 2,000 fr. au moins; 48 francs, c'est done, pour beaucoup de gens de province, une grosse somme, une vraie dépense, à plus forte raison s'il s'agit de 60 fr., prix du Constitutionnel et du National, ou de 80 fr., prix du Journal des Débats; la somme est d'autant plus lourde à payer que, dans les communes rurales, on est généralement privé de la facilité dont on jouit dans les villes de se réunir deux, trois ou quatre pour s'abonner au même journal, et en rendre ainsi l'abonnement moins dispendieux pour chacun. Ajoutez à cela que, dans les communes rurales, il n'y a ni bureaux de messageries, ni libraires, et qu'il faut forcément s'adresser au directeur du bureau de poste.

Aussi, qu'arrive-t-il? Ceux qui trouvent que c'est déjà

trop que de payer 48 fr. par an pour recevoir un journal, voyant qu'on exige d'eux :

4 ports de lettres à 41 c. (1 par trim.)

4 reconnaissances à 35 c.

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1 fr. 64 c.

1

40

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Total. .

Ceux-là renoncent à s'abonner et se décident à se passer de journal; c'est une habitude que l'on contracte aussi facilement que l'habitude contraire.

Résultat de la mesure : Le fisc, làchant la proie pour l'ombre d'abord, ne gagne pas ces 5 fr. 40 c. après lesquels il a couru, et ensuite perd les 36 fr. que le journal eût versés dans la caisse à titre de droits de timbre et de poste.

Le moins auquel on puisse évaluer le nombre des abonnés que la mesure contre laquelle nous protestons a fait perdre aux journaux de toute couleur, c'est 5,000. Multipliez 5,000 par 36, et vous verrez que, pour gagner 30,200 fr. environ, le Trésor abandonne une recette certaine de 180,000 fr. Perte, 150,000 fr.

L'apreté du fisc en fait rarement d'autres!

Ce qu'il y avait à faire, c'était justement le contraire de ce qu'on a fait. Chaque abonnement d'un an rapportant au Trésor 36 fr. de droits de timbre et de poste, non seulement il ne fallait pas interdire aux directeurs de poste de recevoir les abonnements aux journaux, mais il fallait donner toute facilité à ces agents, peut-être même convenait-il de leur allouer une remise afin qu'ils fissent produire à cette branche de recettes tout ce qu'elle peut comporter.

Songez donc encore une fois que, sur 48 fr. (46 fr. net de remise), prix d'un abonnement à la Presse, le fisc prélève 36 fr. Restent 10 fr. au journal pour subvenir à la dépense de 365 feuilles de papier qu'il faut tirer, plier, expédier, sans parler des frais de composition, de rédaction et d'administration, s'élevant à 300,000 fr. Donc, le plus intéressé, sans contredit, à ce que les journaux se multiplient, c'est le Trésor, puisqu'il prélève un impôt si exorbitant. Eh

bien! cela ne lui suffit pas, il faut encore qu'il ajoute à ces 36 fr. un surcroît de frais de 5 fr. 40 c. En vérité, n'est-ce pas pousser l'abus jusqu'au contre-sens?

Nous n'en finirions pas si nous nous laissions entraîner à dire sur ce sujet tout ce qui se présente à notre pensée; mais nous voulons croire qu'il nous suffira de ces quelques réflexions pour engager M. le ministre des finances à rapporter la mesure qui interdit aux directeurs de poste de recevoir les abonnements aux journaux, et oblige les abonnés :

1o A écrire une lettre ;

2o A l'affranchir;

3o A payer 5 0/0 pour l'envoi du prix d'abonnement; plus 35 cent. pour le timbre de la reconnaissance de poste. En d'autres termes, qui les détourne de s'abonner.

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