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Il n'entendit pas :

le grand vieillard, en images hardies, Déployer le tissu des saintes mélodies.

Il ne vit qu'une sorte de mendiant, de vagabond vulgaire aux prises, sur quelque chemin de sa grise Picardie, avec d'horribles chiens de berger s'attaquant à ses haillons, et il ne réussit à produire qu'une œuvre sans style, aussi indigente de couleur que d'idées, et vraiment peu digne de lui.

Il échoua donc et en conçut un véritable désespoir.

Paris, le 8 Septembre 1864.

MONSIEUR GEORGE,

Les souffrances morales que j'ai éprouvées à la suite de l'exposition pour le prix de Rome, sont la cause de mon retard. J'étais tellement découragé, que je n'avais plus de goût, même pour le travail. J'étais le plus malheureux des hommes. Cependant, M. Signol, voyant ma position, ne cessait de me consoler par les paroles les plus affectueuses et les plus encourageantes; mais il fallait autre chose pour me décider à vous écrire. En effet, je viens de recevoir une petite consolation, à la suite d'un concours d'esquisse peinte, pour être admis à faire le concours de grande figure peinte. Sur soixante-dix, dix ont été reçus, et j'ai obtenu le no 4. Je n'ai pas besoin de vous dire combien je vais redoubler d'efforts; car celui qui obtiendra la médaille, qui est de première classe, ne recevra rien moins qu'une petite gratification de cinq cents francs; ce qui sera assez joli. Me sera-t-il permis de vous apprendre que j'ai été

l'élu? C'est ce que l'avenir me réserve. En attendant, je vais faire tout mon possible.

Vous m'avez exprimé le désir de me voir faire quelque chose pour la prochaine exposition. C'est aussi la grande idée de M. Signol. Aussi, suis-je en sérieuse réflexion sur ce sujet Adam et Eve à la recherche d'Abel. Si je réussis ma composition, j'en exécuterai un tableau que, selon le dire de M. Signol, je pourrai vendre, étant protégé par M. le comte de Nieuwerkerke.

Pour comble de malechance, survint un décret impérial qui limita à vingt-cinq ans l'âge des concurrents au prix de Rome, et enlevait à Vély toute possibilité de concourir de nouveau. Il ne pouvait s'en consoler, non plus que de la fermeture de l'atelier de M. Signol.

Il avait bien tort de se lamenter. Ni la fermeture de l'atelier de M. Signol, ni l'impossibilité de concourir pour le prix de Rome, n'étaient des catastrophes sur lesquelles il dût verser des larmes. S'il eut su s'examiner et s'interroger, en toute indépendance d'esprit et de cœur, sans subordonner son jugement à des considérations de gratitude et de reconnaissance, il eut bien dû reconnaître que la continuation de l'enseignement et des exemples de M. Signol, qui sont précisément ceux qui conduisent au prix de Rome, n'aboutiraient à rien que l'annihilation de sa personnalité. En lui enseignant la grammaire de son art, en le perfectionnant dans la correction, l'élégance et la sûreté du dessin, M. Signol avait fait tout ce qu'il pouvait faire pour lui; et à vouloir le façonner à son image, le ployer à de vagues religiosités, à de pâles représentations soi-disant historiques, il ne pouvait qu'empêcher en Vély l'éclosion des charmantes qualités de jeunesse amou

reuse et souriante, d'élégance instinctive, de force et de sève inemployées, qui n'attendaient en lui que l'occasion pour se faire jour et jaillir au grand soleil.

Ce fut le portrait qui le sauva.

En vain M. Signol l'employa à ses peintures murales de Saint-Eustache, et lui fit faire, pour le salon de 1866, une mort d'Abel, dont le moindre tort était de venir après celle de Prudhon.

Vély, grâce aux relations qu'il s'était faites, avait peint déjà de nombreux portraits de femmes: Mme et Melle Denière, Melle Jourdain, Mme Arthur Cattau, Mme Marie Cabel, Mme Duguerret, Melle Marguerite de Vercy, Mme Gérard, Melle Féra.

La beauté féminine, la femme, trouvait en lui un interprète enthousiaste, sensible à tout ce qui la fait aimer et désirer, tout pénétré et comme imprégné du charme magnétique qui s'en dégage, habile à dire l'élégance souveraine des lignes et des attitudes, la volupté des sourires, la toute puissance des regards où les longs cils s'abaissent comme à regret pour voiler la flamme amoureuse. Il aimait la femme et il adorait la beauté; et c'est à cette source intarissable que le jeune paysan d'hier, buvant à longs traits, dut la révélation du talent délicat, plein de trouvailles charmantes, qui allait faire de lui un des peintres attitrés des grandes élégantes et des toutes belles.

Son peu de succès au Salon de 1866 l'avait profondément découragé, et il écrivait le 22 août à M. George :

Ayant été si malheureux pour l'Exposition, où j'ai vu s'anéantir tout mon espoir dans ce premier début, je fus pris d'un tel découragement, que mes facultés en ont été

ébranlées. Aussi, m'était-il impossible de rien faire et de me décider à entreprendre un nouveau travail, qui pourra être encore aussi mal placé que le premier. Ce qui me contrarie, c'est que personne ne m'a fait aucune proposition pour la vente de mon tableau. Peut-il en être autrement? Ma peinture était si mal placée, qu'il était impossible de la voir. C'est ce qui a fait le désespoir de tous mes camarades et de toutes les personnes avec qui je suis en relations.....

Je viens de terminer un petit travail qui m'a redonné un peu de courage. C'est le portrait de Melle Denière, jeune fille de douze ans, jolie comme on en voit peu. C'est un de ces types dont l'image reste gravée dans la mémoire, quand on l'a vu une fois. Oser faire ce portrait était risquer gros jeu, car, si je l'avais manqué, j'étais perdu aux yeux de cette famille qui me porte un véritable intérêt. Malgré mes tracas et mes souffrances morales sans cesse ravivées par de nouveaux déboires, j'ai fini ce dessin avec un plein succès. A vous dire vrai, je ne croyais pas le réussir aussi bien. L'enthousiasme des parents est à son comble, et le jour où j'ai terminé ce portrait, la famille donna un dîner, auquel je fus invité. Les compliments que j'y reçus auraient pu me faire oublier les ennuis passés.

Je suis enfin arrêté sur le projet de mon nouveau tableau. C'est une tentation de saint Antoine, sujet déjà vieux, mais plein de ressources pour un peintre. Il y a là une belle étude de femmes, où il peut déployer tous les charmes de la femme. L'autre, au contraire, résume le beau et grand caractère de l'homme plein de fermeté. Je n'ai pas vu ce bon saint Antoine, vieux et décrépit, traînant péniblement son malheureux corps. Non, je veux un homme encore jeune, susceptible de passions auxquelles il résiste avec force et courage. Je crois que la lutte est plus noble et plus forte. Du reste, ce projet n'est encore qu'à l'état d'esquisse, et je compte vous le soumettre aussitôt que j'en serai satisfait. J'y travaille sérieusement, voulant encore goûter de la grande peinture.

Il était alors professeur de dessin de la ville de Paris et du collège de Vaugirard, et il se crut assez assuré de l'avenir pour unir son sort à celui d'une jeune femme douée elle-même de goûts artistiques, Melle Angèle Vincent, fille d'un entrepreneur de travaux publics. Il exposa son portrait au Salon de 1867.

En 1868, il envoya au Salon une Mater Dolorosa, qui fut achetée par l'Etat et donnée à l'église d'Anzin.

Il eut alors la bonne fortune de faire un voyage en Touraine et dans le midi de la France. Il vit la mer l'Océan, pour la première fois. Ses impressions, à part ce qui sent le guide Joanne et les explications des gardiens, sont intéressantes à noter, car elles eurent sur son œuvre une influence immédiate et décisive.

Paris, le 11 Octobre 1868.

MONSIEUR GEORGE,

Je viens un peu tard vous accuser réception de votre aimable lettre, qui est venue me trouver dans le Midi. Combien j'aurais voulu que vous fussiez près de moi, afin de pouvoir vous communiquer mes impressions, au milieu de cette riche et étrange nature. Combien un homme qui cherche, trouve dans les voyages le charme que lui procure l'inconnu. Aussi, je puis vous dire que je suis revenu lundi au soir d'Albi, plein de courage et de souvenirs que je n'oublierai jamais. Non, jamais je n'avais vécu autant à la fois par les yeux. Dans les villes que nous avons parcourues, j'ai trouvé des chefs-d'œuvre à chaque pas.

Orléans la cathédrale est superbe. Le portail, avec ses deux tours, est d'une légèreté remarquable, remplie de

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