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<< conditions de retour, mes adieux et souhaite qu'il vous « porte et aux vôtres le bonheur qu'accompagne le bien «< d'autrui. J'ai dit. »

Et Me Wimy s'assit en s'essuyant le front. Un murmure flatteur avait accueilli sa péroraison. Il se souleva légèrement et, se tournant à demi, il salua.

Silince! glapit l'huissier Ancelet.

Mc Hadengue avait déjà pris la parole. Froid, sec, coupant, il était l'antithèse de son honorable collègue. Il reprit l'explication vraisemblable des époux Groselle, la présenta comme certaine, fit allusion à la légèreté excessive de Me Wimy, à sa distraction qui était, pour ainsi dire, du domaine public. En termes mesurés, il regretta la campagne d'insinuations, de brocards, d'imprudences de langage menée contre ses clients « qui n'osent presque plus sortir de chez eux et qui seraient en droit d'exercer une action reconventionnelle pour abus de citation directe. >> Ex-procureur d'ancien régime, il ne résista pas au plaisir de faire une incursion dans le droit romain : « Où sont, s'écria-t-il, vos instrumenta privata, où vos instrumenta publica? Le juge doit peser les témoignages et non les compter. Or, à supposer, et cela n'est pas, puisque la somme dont s'agit est supérieure à 150 francs, que la preuve testimoniale fût admise, où sont vos témoins? Il n'y en a qu'un et c'est vous-même, témoin passionné, témoin prompt à l'illusion, témoin qu'aveuglent des ressentiments politiques et des regrets qu'il est permis, sous l'empire de la Charte constitutionnelle, de ne pas partager..... >>

Quelques murmures s'élevèrent dans l'auditoire. M. Desjardins se couvrit de sa haute toque évasée et doublement galonnée d'argent et jeta un regard sévère sur le public.

Silince! Messieurs et Dames, glapit Ancelet.

En terminant, Me Hadengue ne s'opposa pas à ce que le serment fût déféré à son client. Même il le réclama.

Sur une interrogation muette du président, M. FouquierCholet, saluant de la toque, indiqua que le ministère public n'avait pas à intervenir.

Après dix minutes de suspension d'audience, M. le président Desjardins lut le jugement que voici :

Entre Me Wimy, demandeur, contre les sieur et dame Groselle, défendeurs.

Considérant que le demandeur n'a aucun acte pour justifier le prêt dont il réclame le paiement;

Ce prêt est dénié par les défendeurs, et la somme réclamée étant de six cents francs, la preuve testimoniale ne serait point admissible;

Ce qui réduit la cause au serment décisoire déféré subsidiairement par le demandeur;

Ce serment ne peut être prêté que par le sieur Groselle, défendeur, chef de la communauté, la dame Groselle, qu'il était inutile d'appeler en cause, ne doit point être appelée à prêter ce serment, parce que pendant la communauté le mari en est seul administrateur et la femme ne peut ni s'obliger ni obliger son mari, ce qui ne permet point de requérir son affirmation;

Le tribunal renvoie les défendeurs de la demande prise contre eux, en affirmant le sieur Groselle, s'il en est requis dans la huitaine d'aujourd'hui, qu'il ne doit rien à Me Wimy, demandeur, et qu'il n'a point reçu de lui à titre de prêt la somme de six cents francs réclamée par la demande, et condamne Me Wimy à tous les dépens.

La lecture de ce jugement fut suivi d'un profond silence. Me Wimy se leva, il redressa sa haute taille autant que possible et la tête rejetée en arrière :

Je dispense, dit-il, M. Groselle de l'affirmation ordonnée.

J'en demande acte, ajouta aussitôt Me Hadengue. - Le tribunal donne acte, conclut le président. Me Wimy avait perdu son procès.

Élie FLEURY.

ANATOLE VÉLY

Les morts vont vite. Qui donc aujourd'hui, à part quelques amis et les gens du métier, se souvient d'Anatole Vély? Il mérite cependant d'être tiré à part de la foule qui encombre le passé de l'art, non pas seulement parce qu'il fût l'auteur applaudi de mainte œuvre charmante et même populaire, mais aussi parce que, frappé en pleine jeunesse, il était loin d'avoir donné toute sa mesure, et promettait des œuvres fortes et viriles, à peine soupçonnées de ceux qui le connaissaient le mieux.

Mais, il est intéressant surtout pour le biographe curieux des origines, mis en présence d'un talent tout à fait imprévu dans le milieu d'où il est sorti; si bien qu'on peut se demander ce que valent au juste et à quoi il faudrait exactement réduire ces théories imposantes des philosophes de l'art sur la race et le milieu, théories contredites par les faits si souvent et si hautement, qu'on se prend, malgré leurs apparences de logique indestructible, à douter de leur exactitude et de leur solidité.

Ces âmes d'artistes délicates et tendres, passionnées et vaillantes, d'où donc viennent-elles, et d'où ont-elles rapporté leur charme pénétrant, leurs raffinements subtils, leurs exquises délicatesses, le sens divin du Beau, elles qu'on voit jaillir comme des fleurs rares, d'un sol aride, ingrat, sous un ciel qui n'a presque pas de sourires? Quelles migrations séculaires nous les ont apportées ? Quels nomades venus du pays du soleil et de l'amour ont

jeté cette semence lente à éclore et d'autant plus précieuse? Et dans quelles profondeurs mystérieuses et inconnues plongent-elles leurs racines pour en tirer leurs sucs et leurs parfums?

Le voyageur, qui traverse le Ronssoy, gros village en pleine Picardie, à mi-chemin de Péronne et de SaintQuentin, est arrêté brusquement devant un modeste cabaret sur la petite place du village, à la vue d'une sorte de fresque bachique qui décore le pignon nord, et dépasse singulièrement le niveau des enseignes d'estaminet. Deux jeunes gens se tiennent par le bras, dans une étreinte que rend plus étroite le mutuel désir de consolider un équilibre compromis par les fumées du vin; l'un d'eux, son habit de travail ouvert sur sa chemise bleue, son tablier de maréchal-ferrant retroussé, coiffé d'un chapeau mou qui contient mal ses cheveux en désordre, tient à la main une bouteille où il n'a trouvé que l'ivresse morne et sans gaîté. L'autre au contraire, fils de famille du village, dans ses ébats joyeux, gambade follement, agitant un chapeau haut de forme, qui fait un contraste comique avec le débraillé de sa tenue.

Ne vous étonnez pas de la correction du dessin, de la justesse des attitudes, du mouvement et de la vie de cette petite scène. Un véritable artiste, un vrai peintre, Anatole Vély est le coupable, et ce cabaret est sa maison natale.

C'est là qu'il est né le 20 février 1838. Le père, simple charron, avait déjà deux fils, quand le même jour, il lui en arriva deux autres, dont Anatole. Un peu plus tard, un cinquième vint compléter la famille.

Le charronnage est un métier de gagne-petit, et malgré les maigres profits d'une épicerie infime tenue par la mère, c'était pour le père Vély un problème ardu que d'élever

cinq garçons. Mais il était de ces cœurs simples et droits qui acceptent courageusement les plus rudes tâches. Leur amour du travail et le sentiment du devoir à remplir leur rendent faciles à porter les plus lourds fardeaux. A voir le portrait si expressif que son fils a laissé de lui, à l'ovale d'une distinction, d'une finesse remarquables, au regard sérieux, calme et volontaire, on ne s'étonne plus que ce septuagénaire, simple ouvrier, ait dignement élevé sa nombreuse famille, ni qu'il fut le père du peintre élégant et fort qui se révéla dans Anatole Vély.

La mère était de cette race de ménagères, dont on rencontre encore des spécimens dans nos campagnes, alerte, vigoureuse, infatigable, d'une économie qui se refuse tout pour pourvoir au bien-être des siens et s'élève à la hauteur d'une vertu.

Anatole grandissait dans ce milieu honnête et sévère. De ses frères, l'aîné devait être charron comme son père, les autres, maréchaux-ferrants. Lui, que serait-il ?

En attendant, c'était, sous des apparences assez délicates, le garçon le plus agile, le plus hardi du village, aimant passionnément à étaler ses prouesses de jeune gars enivré de sa force, plein d'une sève exubérante, qui grondait et bouillonnait en lui, comme en un vase toujours prêt à éclater. Il vagabondait heureux et libre, quelque peu gâté par sa mère, dont il était le favori, dans ce coin de campagne où le pittoresque ne manquait pas, près de la forge rustique à l'auvent surbaissé, où, à la nuit tombante, les gamins se pressent en extase devant la cadence des lourds marteaux qui font jaillir des gerbes d'étincelles des barres. de fer rougies à blanc, non loin de la vieille église et des restes d'une demeure seigneuriale, qui n'a gardé d'autrefois qu'un élégant pavillon et une charmante grille Louis XIV.

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