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que, mieux encore que le célèbre pronostiqueur Jules Capré, l'auteur d'Avril a prévu le début gelé du printemps de 1903. Au lieu de chanter comme François Coppée : Mignonne, voici l'avril

il dit:

Voici venir l'avril, mignonne

Et vous sentez toute la différence: ce qui était un rythme devient presque de la cacographie. Mais notre lauréat reprend ensuite quelque avantage en nous expliquant «< ce qu'il ne faut pas croire »> :

Si, menteur, un poète (ils le sont tous un peu)

En vers à l'eau de rose, au printemps, vient vous dire
Qu'il a vu le soleil dans le ciel tiède et bleu,
Comme au temps de Belleau, rayonner et sourire
Et les prés s'étoiler de mille boutons d'or;
Si, plus hâbleur encor,

Il assure avoir vu les amants sous les branches
S'en aller effeuillant les marguerites blanches,
En répétant les chants de Dorat, de Segrais;
Ou que dans les forêts,

Il a des rossignols ouï les cantilènes

Et la voix des ramiers soupirant sous les chênes

A l'heure où la rosée irise les lilas;

Aux fêtes de l'idylle, enfin, s'il vous invite,

Gardez-vous de le suivre Avril n'est plus qu'un mythe,

Il vous trompe vous dis-je, oh! ne le croyez pas !

Ce fut, cette année, d'une exactitude cruelle et nous ne pouvons pas refuser une mention honorable à un rimeur qui a justifié le nom de devin que l'antiquité donnait aux poètes. Par contraste, je vous dirai quatre vers, rien que quatre vers, sur le même sujet :

Et voici que le soir n'arrive plus si tôt,
Qu'une molle blancheur s'étire au crépuscule
Qu'on entend au jardin le bruit doux du rateau
Et qu'un malaise clair dans les chambres circule.

N'est-ce pas tout le printemps entrant en nous par les yeux, l'oreille et... le cœur? Ces vers sont de la comtesse Matthieu de Noailles. Malheureusement pour nous, Mme de Noailles n'a rien envoyé à notre concours.

L'auteur du recueil divers intitulé Au gré du chemin parle de tout avec une correction un peu froide. Le moindre éloge que l'on puisse faire de son œuvre, c'est que la critique en est difficile: on ne sait où l'accrocher. Quoique ce soit d'un peu saillant n'est à citer, pas même un beau vers! Cependant à cette versification honorable, il nous paraît congruent d'accorder une mention honorable.

A Victor Hugo est un poème qui a eu des malheurs dont le second et dernier a été d'échouer dans un concours poétique provincial. Son premier malheur c'est sans doute de n'avoir pas été psalmodié par une actrice en chapeau fleuri, une botte de fleurs à la main, devant cet abominable groupe du Victor Hugo, de Barrias, qui ajoute une horreur fraternelle aux horreurs de bronze et de marbre qui déshonorent et obstruent la voie publique à Paris.

Après une invocation aux jeunes gens,

Fils du héros que vit naître mil huit cent deux

l'auteur moud une ode sur le drame, ce drame romantique où le manteau somptueux des mots couvrait d'assez pauvres idées; ce drame il le compare à un lion se ruant sur la tragédie «< biche aux abois ». On pourrait observer ici que le lion ne chasse ni à cor ni à cris, ni derrière une meute et que, par conséquent, les abois ne

s'expliquent

guère, mais le beau désordre invoqué pour le genre excuse les purs non-sens. Puis, en des septains, l'auteur célèbre le poète de la Légende des siècles et de l'Art d'être grand père et il termine ainsi :

Poète, ne crains pas que l'Avenir t'enlève

Ces lauriers glorieux dont nous te couronnons :
Mieux que les noms tracés à la pointe du glaive,
Ton nom paisible et pur brille entre tous les noms.
Le guerrier ne fait rien qui ne passe et ne meure,
Et le poète seul construit ce qui demeure :
Car il parle plus haut que la voix des canons !

Nous avons décidé d'attribuer à ce poème de circonstance fait suivant les meilleures règles et les formules usitées en pareil cas, un troisième prix.

A un Ruisseau, 21 douzains. Ici, messieurs, nous sommes en présence d'une œuvrette pleine de grâce et de sensibilité. C'est l'histoire d'un tout petit ruisseau dont un poète a fait son ami. Il va lui conter ses longs chagrins et ses courtes joies; il le comprend puisqu'il lui donne ses propres sentiments; il lui fait des reproches de sa gaieté quand les oiseaux sont en deuil du soleil; puis, il le magnifie et le proclame

Plus sage que Platon, plus poète qu'Homère

Echappé aux libres sommets, ce bohême amusant qu'est le ruisseau devient utilitaire: il fait tourner la roue d'un moulin. Passe encore! Mais voilà qu'une catastrophe arrive: la ville prochaine, géant altéré, boit le pauvre petit ruisseau d'une haleine. Elle se saisit de son eau saine pour en faire de la vulgaire eau potable. Finie, la poésie!

Je vais, si vous le voulez bien, et pour terminer, vous lire cinq ou six de ces douzains, mais veuillez retenir qu'ils

forment un tout complet, une chaîne de vingt et un anneaux et qu'à ce titre je vous demanderai qu'après avoir accordé à l'auteur un premier prix, vous décidiez d'insérer tout ce petit poème dans le prochain volume de nos Mémoires: il en sera le sourire ému.

Conformément aux conclusions de sa Commission, la Société Académique a décerné :

Un premier prix avec médaille d'or, à M. Edmond Henvaux, à Liège (Belgique), auteur de A un Ruisseau.

Un troisième prix avec médaille d'argent grand module, à M. Franz Folie, à Liège (Belgique), auteur de Victor Hugo.

Une mention honorable avec médaille d'argent, à M. Emile Langlade, publiciste, à Sannois (Seine-et-Oise), auteur de Au Gré du Chemin.

Une mention honorable avec médaille d'argent, à M. Louis Mercier, à Besançon, auteur de Avril.

POÉSIE

A UN RUISSEAU

DOUZAINS

Paulo minora canamus

I

O Ruisseau qui parfois contemples mon aimée,
Craintive, traverser à gué ton eau charmée,
O tout petit Ruisseau d'amour et de gaieté,
Quand tu te jetteras dans le fleuve argenté,

Dis aux flots fastueux qu'à grands bruits il charrie,
Qu'autrefois, en courant à travers la prairie,

Tes flots, plus heureux qu'eux, contemplaient ses pieds nus
Se poser en tremblant sur tes bords ingénus;

Et lorsque tu seras dans la mer vague et morne,
O mon Ruisseau, répète à l'océan sans borne
Qu'il a beau se répandre et ne jamais finir,
Que toi, ton seul orgueil est dans ce souvenir.

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