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Adoptée, choyée, enrichie par les rois de l'intelligence humaine, elle suit une marche triomphale; mais elle attire et élève incessamment à elle ses sœurs plus humbles, qui tiennent à honneur de la suivre de loin; incessamment, cette reine se penche vers ces paysannes, et, avec elles, se retrempe aux sources de la Nature. Nos dialectes sont les racines par où s'alimente sans cesse le grand et vieux chêne gaulois.

Passant à l'exemple, Maurice Thiéry nous dit et avec quelle belle voix sonore, pleine d'inflexions et de nuances!

la poésie classique de Crinon: Restons au village. Le poète patoisant avait été nommé commissaire de police à Nogentle-Rotrou, à la demande de M. Tattegrain, président du tribunal de Péronne, à qui la célèbre pièce est dédiée d'ailleurs, mais il s'effraya de s'éloigner « de plus de cinq lieues » du clocher de Vraignes, et il resta au village: Pour mesurer ch' degré d'amitchi

Qu'en' a pou ch'toit d'l'endroit qui l'a vu naître
Il feut qu'ein fuche à l'velle de l'quitchi.

Les oreilles vermandoises étaient charmées par la rencontre de ces mots de terroir entendus au cours des jeunes années et dits avec cet accent vrai qui, d'un seul coup, vous transportait par l'imagination au milieu de nos campagnes picardes, évoquant de frais tableaux et de délicieux souvenirs.

Et les étrangers à notre pays appréciaient aussi cette saveur de mets local si bien présenté par Maurice Thiéry.

D'ailleurs, notre patoisant et les artistes qui se firent entendre, avaient compris tout de suite qu'ils avaient affaire à un public exceptionnel, apte à tout comprendre, à tout sentir, et il lui donnèrent le meilleur de leur talent : ce fut la perfection même d'un bout à l'autre.

Bachmann semble nouveau à chaque fois qu'on l'entend. Après la Romance du concerto de Lalo exécutée avec une sûreté magistrale, il nous a donné la primeur d'une composition de M. Chandelier qui l'accompagnait de façon digne de lui, ce qui n'est pas peu dire une Berceuse d'un mouvement alerte dont le motif, extrêmement joli, s'enroule, se déroule pour s'épanouir dans un final superbe qui ne donne pas envie de fermer les yeux. Comme les enfants, on dirait volontiers: encore ! Puis, ce fut une danse espagnole de Sarasate, où la virtuosité surprenante de Bachmann se donna libre carrière. On l'acclama.

Nous avions applaudi déjà M. Milbert et Me Jane Erys au théâtre. Nous savions que l'un, compositeur, auteur et acteur, homme charmant et fin par surcroît, se prêtait, grâce à la souplesse de son bel organe et à sa rapide compréhension des situations, aux rôles les plus opposés et que l'autre était une divette infiniment gracieuse. Mais nous avions encore bien des choses agréables à apprendre sur leur compte, à savoir que M. Milbert dit la chanson ancienne avec une émotion à fleur de peau tout à fait exquise, et que Mile Erys a le même admirable talent de cantatrice dans les genres les plus divers.

Cette idylle, composée en pleine Terreur par un conventionnel: Il pleut, il pleut, bergère, et dont on ne sait généralement que ce premiers vers, M. Milbert l'a dite à vous faire venir à la fois une larme à l'oeil et un sourire sur les lèvres. Puis, ce fut La Femme du Marin, une chanson poignante en sa naïveté, datant du XVIIe siècle, mais un peu arrangée du nôtre, nous semble-t-il. Mile Jane Erys chanta elle aussi avec une émotion avertie le Malgré moi, de Pfeiffer; puis, changeant brusquement de manière, elle mit tout le soleil de Naples dans sa voix pour interpréter Ah signor un canzone qui commence allègrement pour !

se terminer dans un sanglot. Elle nous dit encore, et avec quel art simple en apparence, Pigeon vole, de Delmet, et termina de façon éclatante par le boléro du Cœur et la Main, bien dans son tempérament et qui lui valut un adieu triomphal.

M. Milbert nous était revenu avec la Légende du petit navire, très corrigée sur celle que nous connaissons et dont l'artiste a fait valoir avec une intelligence parfaite la mélancolie toute bretonne.

Enfin, pour nous montrer la puissance de sa voix, il entonna la Chanson des gas d'Irlande, d'Augusta Holmés. Les vitres en frémirent, mais les murs tinrent bon : l'architecte du monument est rassuré ! Mais quel artiste de ressource que M. Milbert!

M. Wickère, deuxième chef d'orchestre au théâtre, accompagnait ses camarades, M. Milbert et Mlle Erys, avec un talent très particulier. Dans les chansons dites principalement, où l'artiste prend des temps, souligne des effets, la tâche de l'accompagnateur est parfois ardue. A de certains moments même, tout est laissé à son inspiration. et il lui faut improviser. M. Wickère, musicien délicat et intelligent, a marché de pair avec M. Milbert et Mlle Erys, et c'est un éloge complet que nous faisons ainsi de lui.

Bachmann aussi était revenu avec la Havanaise, de SaintSaëns, et une Fantaisie hongroise, de lui-même, où il se plonge à cœur-joie dans les difficultés extrêmes du violon : le chant le plus varié sur la quatrième corde et des harmoniques invraisemblables sur la chanterelle.

Les Contes du Vermandois, de Maurice Thiéry, sont colligés par lui en son village natal de Ronssoy et aux alentours. L'anecdote villageoise, une répartie imprévue, une expression pittoresque, il les fait entrer dans de petits récits composés avec infiniment d'art. Et il est moraliste,

comme tous les conteurs. Plusieurs recueils de ses contes ont déjà paru en librairie et se sont enlevés rapidement. Les Allemands - qui le croirait? en sont friands et en demandent avec entrain. Mais qui n'a pu entendre Maurice Thiéry les dire, n'a rien entendu. C'est un délice. Il y met une bonhomie, une finesse, un naturel! Bref, à un moment donné, gagné par la gaieté générale, le conteur dut s'arrêter: il en était arrivé à cet état de l'artiste qui se tait pour mieux s'écouter... Ce fut une joie délirante. Quant à M. le Sous-Préfet, mis en cause dans l'Médaille, à propos d'un incident savoureux de comice agricole, il avait abandonné toute gravité administrative.

Les meilleures choses ont une fin et il est même bon qu'elles ne durent pas trop longtemps; on se sépara avant six heures, avec force compliments.

Le soir même, M. le Président de la Société Académique et Mme Damoisy recevaient à leur table les habitués des séances et quelques amis personnels. La soirée, occupée par des conversations au tour rétrospectif, égayée par quelques nouveaux Contes du Vermandois, s'écoula trop vite jusqu'à l'heure congruente à la retraite.

Dans les fastes de la Société Académique, le 14 décembre 1902 restera «<l'heureuse journée ».

ELIE FLEURY.

NOTE

SUR LA CONSTRUCTION DE L'HÔTEL DE LA SOCIÉTÉ ACADÉMIQUE

La Société Académique, reconnue comme établissement d'utilité publique par ordonnance royale du 15 août 1831, a été autorisée par décret du Président de la République en date du 8 août 1901 à acquérir un terrain à SaintQuentin, pour y construire un immeuble et y établir son siège social.

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LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE,

Sur le rapport du Ministre de l'Instruction publique et des Beaux-Arts,

Vu la délibération, en date du 3 juin 1901, de la Société Académique de Saint-Quentin (Aisne), relative à l'acquisition d'un terrain et à la construction d'un immeuble pour établir le siège de la Société ;

y

Vu les statuts de la Société, sa situation financière, l'ordonnance du 15 août 1831, qui a reconnu l'œuvre

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