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A MES CONFRÈRES ("

Devant les Immortels, près d'une foule amie,
Rostand, que célébrait la grande Académie,
Evoquait gravement sur un ton solennel,
L'histoire des pêcheurs, au pays de Lunel :
Moi, qui d'être un rêveur ai la bonne fortune,
J'ai voulu bien des fois pêcher aussi la lune
Sans prétendre pourtant la pêcher en entier
Car j'en reste toujours à son premier quartier ;
Et, lorsque mes filets l'avaient enfin saisie,
J'y prenais simplement ma seule fantaisie
Toujours indifférente au modeste renom
Que la pêche pouvait apporter à mon nom.

C'est qu'en effet, Messieurs, j'ai chanté pour moi-même,
Pour tout ce que je pleure et pour tout ce que j'aime :
De même qu'un avare, inquiet de son or,
S'en va seul, dans la nuit, le remuer encor,
J'aime à voir mon passé renaître quelquefois
Au chant mystérieux de ces lointaines voix.
Et je les sens encor, ces intimes pensées
Dans l'ombre du bureau lentement amassées,
Les rêves, qui jadis ont bercé mes vingt ans,
Puis les amours fougueux qu'ont brisés les autans,

(1) Ces vers ont été lus par l'auteur le jour de sa réception comme membre

titulaire de la Société Académique, le 1er juillet 1903.

Les espoirs envolés, le dévoûment sincère,
L'amitié qui grandit quand le malheur l'enserre,
L'affection qui naît aux portes des tombeaux.
Oui, ces heures d'angoisse, et ces jours les plus beaux
Ont jeté, dans le livre où s'effeuille ma vie,
Un long cri de douleur et d'ivresse ravie
Que l'écho du public n'a jamais répété,
Car son unique charme est son intimité.

Et certes, je devrais avoir l'âme troublée
Quand, franchissant le seuil d'une telle assemblée
Où vous m'accueillez tous, comme le bienvenu,
Je sens que pour beaucoup je suis un inconnu.
Je vous arrive ici, sans donner aucun gage,
Sans aucun manuscrit, et sans aucun bagage;
La chance m'a conduit : des indulgents parrains
M'ont, pour aller à vous, aplani les terrains;
Mais, s'ils vous ont conté plus d'une belle chose,
C'est que, pour mieux défendre une mauvaise cause,
Leur amitié pour moi les avait incités.

A prendre leurs désirs pour des réalités.

Vous connaissez, Messieurs, mon escorte sélecte:
Je vous dirai d'abord qu'un aimable architecte,
Mesurant mon savoir, tombait de sa hauteur
Devant l'angle que fit son compas rapporteur;
Un deuxième, rêvant d'antiques seigneuries,
Me couvrait d'ex-libris, de blasons, d'armoiries;
Un autre, dont l'esprit est subtil et moqueur,
Mettant mal à profit son art de chroniqueur,
Faisait un brin de cour à ma muse craintive.
Comprenez-vous alors que la jeune captive,

Aujourd'hui devant vous, ne se lamente pas,
Puisqu'Adrian Villart tranquillise ses pas ?
Au bras du galant homme elle s'est affermie,
Et c'est ainsi qu'elle entre en votre Académie.

Avez-vous vu, Messieurs, l'étrange activité
Qui transforme parfois notre vieille cité ?
Vous veniez de passer en ses désertes rues
Par de rares mortels à peine parcourues :
Soudain, des ateliers les sifflets purs et clairs
Comme un chant de fanfare, ont déchiré les airs ;
Ils annoncent la fin des pesantes journées,

Et, tandis que, là-haut, meurent les cheminées,
Tout un peuple, roulant comme un bruit de tambours
Inonde tout à coup la ville et ses faubourgs.
Il en sort de partout: cette innombrable foule
Causant, riant, chantant, rapidement s'écoule ;
L'écho de ces rumeurs, dont le ciel se remplit,
Monte, monte toujours, puis enfin s'affaiblit;
Et tous ces travailleurs, hommes, femmes et filles,
Sous leurs bleus bourgerons ou leurs longues mantilles,
S'en vont, vers les chemins qui peuvent les choyer,
Les uns, aux rendez-vous, les autres, au foyer.
Et la ville, bientôt, sous la brume qui tombe,

A recouvré le froid silence de la tombe
Que, seul, le carillon vient troubler quelquefois
En jetant dans la nuit sa métallique voix.

Nous aussi, dans le monde où germe la pensée,
Où l'esprit a ses fleurs, et l'âme sa rosée,

Nous sommes, nous, Messieurs, de pauvres travailleurs.
Historiens, lettrés, juristes, rimailleurs,

Nous sentons bien souvent les vigoureuses sèves
Que fait naître en nos cœurs l'idéal de nos rêves;
Alors, loin des mortels, seuls, nous nous retirons,
Et nous frappons, grand Dieu, comme des forgerons,
Pour marteau, le travail, et l'esprit pour enclume,
Et nous voyons l'idée, au bout de notre plume,
Sous l'effort soutenu de nos brûlants cerveaux,
S'étirer et jaillir en des reflets nouveaux.
Mais, lorsque nous sentons parfois la lassitude.
Envahir le silence où s'enferme l'étude,
Alors cesse pour nous l'heure de guerroyer,
Et, comme l'artisan regagnant son foyer,
Notre âme de penseur, souffrante d'anémie,
S'en vient se retremper dans cette Académie.

Et c'est pourquoi, Messieurs, j'éprouve en ce moment
Un orgueilleux plaisir, un vrai contentement,
Car ma muse a trouvé la fontaine d'eau vive
Dont la douce fraîcheur désaltère et ravive.
Certes, ne croyez pas que je veuille souvent
Troubler de mes propos votre temple savant :
Non! j'apporte avec moi la force salutaire
De savoir écouter et de pouvoir me taire.
Acceptez donc, Messieurs, cette loyale main
Que vous tend aujourd'hui le nouveau Benjamin.
Les plaisirs de l'esprit sont les plus belles fêtes ;
Et, tout en comprenant l'honneur que vous me faites,
Je pourrai m'en flatter, mais non m'en étourdir,
Car je ne viens chez vous que pour vous applaudir !

HENRY SOUFFLET.

30 Juin 1903.

UN ÉPISODE

DU

SIÈGE DE SAINT-QUENTIN

en 1557

On ne saurait négliger de mettre au jour tout document susceptible d'ajouter à ce que l'on sait sur le siège et la prise d'assaut de Saint-Quentin par Philippe II, roi d'Espagne, en août 1557. Cet événement domine, en effet, le passé de notre ville et c'est aussi un fait important de notre histoire nationale.

C'est pour cette raison qu'il paraît utile de publier dans ce volume l'extrait ci-après de l'un des registres de nos Archives municipales anciennes rapportant une légende qui avait cours à Saint-Quentin vers le milieu du XVIIIe siècle. Suivant ce qu'on racontait alors, lorsque la ville fut forcée par les assiégeants le 27 août 1557, le maire, les échevins et les jurés se réfugièrent dans la tour aux Archives, qui s'élevait derrière l'hôtel-de-ville, et des coups d'arquebuse, dont on montrait encore les traces, furent tirés dans la porté par les soldats ennemis, qui tuèrent ainsi l'un des échevins. Nos magistrats de la commune, ajoutait-on, ne sortirent de leur refuge qu'après que le roi d'Espagne leur eût promis la vie sauve.

Ce souvenir, probablement exact, de l'un des épisodes

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