Page images
PDF
EPUB

reporterons aux époques où les chemins ont été établis, nous examinerons les besoins et les ressources de ces époques, persuadé que c'est la meilleure manière de procéder. Quant à réussir, c'est autre chose; nous n'avons pas la prétention de fermer le champ des hypothèses.

On nous concèdera tout d'abord qu'il y a eu dans notre pays, et dès les temps les plus reculés, des migrations de peuples allant de l'est à l'ouest et du nord au sud. Ces peuples migrateurs s'implantaient parfois, mais, le plus souvent, ils ne faisaient que traverser.

On dit que les Celtes primitifs furent dans notre contrée déplacés et remplacés par les Belges, puis que ceux-ci durent entrer en composition avec les Cimbres (ceux de Marius) et leur céder Adouat (Namur ou Falais); mais, de tous les peuples qui ont pu battre le pays, les principaux furent sans contredit les Gaulois eux-mêmes, turbulents et querelleurs, toujours en mouvement et en guerre les uns avec les autres, quand leur humeur voyageuse ne les entraînait pas au-delà des montagnes et des mers; tantôt pillards, tantôt pillés. Il semble, sous ce dernier rapport, que les Viromandues, avec leur territoire exigu et leur population relativement faible par rapport à celle de leurs voisins les Rèmes, les Bellovaques et les Nerviens, devaient être, au temps de César, plutôt parmi les pillés que parmi les pillards. Aussi leurs frontières sont-elles tout particulièrement garnies de buttes qui, selon toute apparence, auraient été autant de postes d'observation d'où partaient des signaux d'alarme; mais n'anticipons pas.

Dans ces temps primitifs, les ponts n'existaient pas. Il fallait passer les rivières à gué ou sur des radeaux, ce qui, en bien des cas, était ou très difficile ou impossible. On peut, d'après les Commentaires de César, s'en faire une idée par le temps que mirent les Helvètes à franchir le

Doubs et la Saône. Le mieux, pour l'époque, était d'éviter tous les cours d'eau en suivant la séparation des bassins, toutes les fois que les lignes de partage des eaux ne se présentaient pas sous forme de montagnes impraticables.

Quand on jette les yeux sur une carte hydrographique de notre région, on y voit immédiatement deux de ces passages naturels : le premier va dans la direction du N.-E. au S.-O. de Maëstricht, Liége et Namur à Noyon et même au-delà, après la traversée de l'Oise près de PontSainte-Maxence; le second va de l'E. à l'O. depuis Rocroy jusqu'au cap Gris-Nez.

Le premier de ces passages suit la ligne qui sépare les bassins de la Sambre et de l'Oise de ceux de l'Escaut et de la Somme. Ce fut dans notre pays la voie principale des hordes envahissantes; son tracé, presque en ligne droite, ne présente aucune difficulté à la circulation. Il y a là un passage si naturel, que l'une des principales voies du chemin de fer du Nord le suit avec fort peu d'écart.

Nous aurons à reparler de cette voie; pour abréger, nous la désignerons sous le nom de « voie de Namur à Noyon ». Le second de ces passages croise le premier dans le canton de Bohain; nous le diviserons en deux parties :

L'une va de Rocroy à Bohain par la ligne séparative des bassins de la Sambre et de l'Oise. Elle devait être suivie par quelques hordes allant de l'est à l'ouest et former comme un affluent de la voie de Namur à Noyon.

César nous la donne comme très difficile d'accès, coupée de haies entremêlées de ronces et de broussailles. (Si César revenait, il ne trouverait plus les ronces et les broussailles, mais il trouverait encore des haies).

Cette voie devait s'infléchir vers le sud, une fois passé Mennevret ou Wassigny. Nous la désignerons sous le nom de voie de Rocroy à Bohain.

La deuxième partie de ce second passage allait de Bohain à la mer, près de Boulogne, en suivant la séparation des bassins de la Somme et de l'Escaut. Elle devait être fréquentée dans les deux scns et, comme la précédente, s'infléchir vers le sud aux environs de Bohain. Nous la désignerons sous le nom de «< voie de Boulogne à Bohain ».

On pourrait discuter l'ancienneté de ces voies, comme d'ailleurs de toutes celles de nos environs, car la chaussée de Soissons à Cambrai et celle de Saint-Quentin à Amiens mises à part, les documents pour toutes les autres ne remontent pas au-delà du xe siècle.

Mais, il y a quelque chose de plus ancien que les documents du moyen-âge : ce sont nos villages d'origine galloromaine; les noms de ces villages, les vestiges qu'on y trouve en font foi. Et quand on en voit toute une série se présenter les uns à la suite des autres dans une direction bien déterminée, peut-on refuser d'admettre qu'il y avait là un chemin primitif, servant à un commerce actif, qui a déterminé la construction de ces villages à une époque de calme ?

C'est à un phénomène de ce genre que nous assistons aujourd'hui avec nos voies ferrées.

Cependant, s'il est nécessaire de donner des arguments écrits, rappelons que César, dans ses Commentaires, dit qu'avant la bataille de la Sambre, son armée marchait depuis trois jours per fines Nerviorum, c'est-à-dire suivant les frontières des Nerviens ou encore suivant le passage que nous sommes convenus d'appeler la « voie de Bohain à Rocroi ».

Quand le même César part précipitamment d'Amiens pour se porter au secours de Cicéron assiégé dans son camp au pays des Nerviens, il donne à son lieutenant

Fabius, qui campait chez les Morins, l'ordre de se rendre sur les frontières des Atrébates où lui, César, va passer. César n'a-t-il pas suivi, dans cette circonstance, la « voie de Boulogne à Bohain » d'abord, puis celle de Namur à Noyon, en allant vers Namur ?

Rappelons encore qu'après la bataille de l'Aisne, César dit avoir conduit son armée in fines Suessionum; et puisque nous en sommes sur ce point, remarquons qu'une grande voie de passage se dessine aussi entre les bassins de l'Oise et de l'Ailette et celui de l'Aisne, depuis Mézières jusqu'à Noyon. Ce passage, qui ne présente ni détours ni difficultés, va se terminer dans l'angle de deux rivières importautes qu'il faut franchir si l'on veut aller plus loin. Deux points étaient tout indiqués: Soissons et Noyon; mais le premier avait beaucoup plus d'importance que l'autre, car une fois l'Aisne franchie à Soissons, on peut, sans rencontrer d'obstacle, aller jusqu'à Paris en suivant la limite des bassins de l'Oise et de la Marne. C'est le tracé de la Route nationale. Il y avait donc aux environs de Soissons un batailles y furent nom

point marqué pour la défense. Les breuses et se continuèrent sous la première race de nos rois. Le pendant n'existe pas dans nos environs sur la voie de Namur à Noyon; les batailles se sont données plus au Nord, vers Namur.

Il pourra sembler étrange et en dehors de notre sujet de citer Paris comme point de direction, à une époque où Paris n'avait pas, toutes proportions gardées, l'importance qu'il a aujourd'hui. Cependant, quand on remarque que Paris se trouve en un point où la Seine grossie de l'Yonne reçoit la Marne, puis l'Oise quelques lieues en aval ; quand on remarque également que les grands passages naturels (compris dans le sens que nous venons de leur donner) y convergent également en partant du Nord et même de

l'Est, on est bien forcé de convenir qu'il y avait à Paris un centre vers lequel devaient converger les hordes envahissantes d'abord, le commerce ensuite. Nous verrons des raisons du même genre déterminer un centre commercial dans le Vermandois.

Evidemment les grandes voies que nous venons de citer n'avaient rien de la forme de nos chaussées, ni même des chaussées romaines; c'étaient des passages, sinon nivelés, au moins très larges, où passaient de nombreuses troupes, où l'on pouvait conduire chars et chevaux. César y circule rapidement avec une armée de 80 à 100.000 hommes.

On comprend le peu de sécurité que devait offrir aux populations sédentaires le voisinage de ces passages, car les Gaulois eux-mêmes en parcourant la Gaule en tous sens, devaient être aussi redoutables aux populations que les Cimbres et les Germains. On ne s'expliquerait pas d'ailleurs les oppidum que César a trouvés partout, si l'état antérieur avait été un état de paix.

Les populations sédentaires durent se réfugier au sein des vallées, y former des peuplades ou clans, et les grandes voies devinrent tout naturellement les limites de ces divers clans; limites qu'on surveillait toujours.

>>

Notre mot << marche » avait jadis la signification de «< frontière »; il doit être d'origine germanique; le mot allemand « mark » signifie limite, frontière, si bien qu'il n'y aurait rien d'extraordinaire à ce que le mot «< marcher» ait primitivement signifié « aller suivant les frontières ».

Revenons aux Viromandues. C'est à notre avis dans la vallée de la Somme (dans la haute vallée) et là exclusivement qu'il faut chercher leur territoire. Trouver leur

« PreviousContinue »