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Nous avons reçu un mémoire plus original et plus développé: Pierre-Louis Gosseu, étude littéraire.

Pierre-Louis Gosseu, de son vrai nom plus pittoresque encore que son pseudonyme, Pinguet-Mouton, fut un pamphlétaire patoisant non encore oublié. Étant de Vermandois, il est bon que sa mémoire soit honorée dans les Annales d'une Société qui ne veut rien laisser ignorer, même des «< gloriettes » locales. Pour que l'hommage fût complet, il eût convenu peut-être de développer la biographie de M. Pinguet-Mouton, dont la brièveté fait la joie de votre rapporteur, car il n'a qu'à la citer et non à la

résumer. La voici :

<< Pinguet-Mouton naquit à Saint-Quentin vers 1792. Il fut longtemps employé en qualité de comptable ou de voyageur dans une maison de commerce de cette ville. Il quitta son patron, M. Pluchart, lorsqu'il se rendit acquéreur d'une propriété à Villecholle, hameau voisin de Vermand, où il installa un moulin mû par la vapeur. Ses affaires ayant été peu brillantes, il retourna à Saint-Quentin, puis revint une seconde fois à Villecholle qu'il quitta définitivement en 1868 ou 1869. Il mourut à Paris en 1871, pendant la Commune. Il eut plusieurs enfants.

» En 1848, sous le ministère Ledru-Rollin, PinguetMouton fut pendant quelques jours sous-préfet à Doullens; c'était la récompense de l'opposition que, par ses écrits, il avait faite à Louis-Philippe. Il professait des opinions révolutionnaires et était ce qu'on appelait alors un rouge. Il faisait partie de diverses sociétés secrètes et fut affilié notamment à celle où les membres tirèrent au sort pour désigner celui qui attenterait à la vie de Louis-Philippe ; ce fut un nommé Bergeron, de Chauny, que le sort désigna et qui, condamné à mort après une tentative sans résultat, fut grâcié en 1848. »

C'est suffisant pour un rapport, ce ne l'est pas pour une étude littéraire. Nous voudrions savoir si M. le sous-préfet de Doullens, l'avant-dernière des sous-préfectures, fut, à un moment, d'accord avec le gouvernement de son pays et quelles raisons particulières il eut de se montrer un mécontent, tout le temps au moins qu'il ne fut pas souspréfet, et ce qu'il fit et pensa, et pourquoi il se tut sous l'Empire qui ne devait pas être le gouvernement de ses rêves. Nous nous déclarons d'avance intéressé par ce que l'on nous racontera sur ce chapitre.

Quoiqu'il en soit, Pierre-Louis Gosseu a laissé deux recueils de Lettres picardes publiées dans le Guetteur d'abord et dans le Courrier quand l'auteur se fût fâché avec le Guetteur. J'ai essayé de m'en pénétrer pour vous en parler congrûment. J'y ai vite renoncé : c'est lointain comme un article de journal de l'an dernier et rance comme un vieux numéro de l'Officiel. Les protestations de Gosseu contre le mauvais état de la rue de la Pomme-Rouge, à SaintQuentin, ses lamentations sur la mort de son baudet, ses appréciations de quelques faits de la politique du temps dont l'intérêt nous échappe, sont fastidieuses, il faut avoir le courage de le dire... et son biographe, tout porté à l'admiration qu'il soit par destination, le laisse entendre. Il se rattrape sur l'ironie assez fine de certains passages, sur la saveur de quelques locutions, sur la verdeur de nombreux dictons que Pierre-Louis Gosseu n'a eu que le mérite, réel d'ailleurs, de recueillir.

Notre biographe n'insiste pas assez, à notre avis, sur le patois de son auteur. Il a étudié la langue picarde pourtant et il la doit écrire d'agréable façon; cela se sent à de trop courtes remarques où l'on dirait qu'il se retient de voir en Gosseu un concurrent. Autant qu'il m'a semblé, de mon côté, Pierre-Louis possède bien le dialecte du cœur

du Vermandois; il manque cependant de naturel et patoise en académicien: il lui faut le mot rare et l'expression distinguée; c'est un puriste en jargon; tandis que le charme du franc-picard écrit ou parlé, c'est le laisser-aller apparent, la bonhomie avertie, la naïveté avec des limites.

Un mot sur la langue picarde en général et cette altération qu'en est le dialecte véromandue n'aurait pas été de trop non plus. Sur ce sujet, que je ne puis qu'effleurer, mon érudition n'est pas beaucoup plus profonde que celle du bon Colliette, historien du Vermandois, qui a écrit:

Les Picards ont une langue à part... Les François vainqueurs des Gaulois, leur laissèrent leur langue latine qui se perpétua dans le royaume, jusqu'à la chûte de la maison de Charlemagne. Le débordement de Normands, leur langue à laquelle il falloit se prêter, les accens de certains pays, le climat, la température et mille autres causes l'altérèrent enfin et formèrent la corruption du langage françois, partout le même auparavant. Alors s'élevèrent trois langues celle de nos provinces méridionales; celle qui commençoit à la Loire et s'étendoit jusqu'à l'Oise et la Meuse, et qu'on appela la françoise dominante dans les lieux où nos Rois résidoient; et enfin la langue picarde propre aux habitans du nord de la France. C'étoit bien la même que la seconde langue; mais l'accent particulier des peuples qui la parloient la fit nommer de leur nom.

Voilà! C'est un raccourci clairement et audacieusement dessiné comme les aimaient les historiens d'ancien régime dont le siége était fait d'avance et qui ne s'embarassaient pas des si et des mais de l'érudition contemporaine dont la critique exige vingt pages de notes dubitatives sur la plus prudente des assertions.

Il paraît que nos ancêtres, les plus éloignés historiquement, parlaient bas-breton. Jules César, préludant aux décrets de 1903, interdit ce breton-là et imposa aux fonctionnaires, sous peine de privation de traitement, la langue latine; mais un « sabir» s'établit où le tudesque

s'insinua par rapprochement et il en résultat une langue rustique, idiome populaire et variable qui, se fixant enfin par l'écriture, aboutit au roman, source la plus certaine de la langue française actuelle. Le picard en serait une forme attardée.

Je ne réclame, pour cette explication, aucune mention dans Romania, la savante revue de feu Gaston Paris.

Mais l'intelligent critique et biographe de Pierre-Louis Gosseu peut nous en dire plus long et nous en parler mieux, et nous comptons sur lui pour le faire, offrant à son travail complété et rectifié une hospitalité dont il sera digne, dans nos Mémoires.

En attendant, la commission du concours Quénescourt a été d'avis de lui attribuer un 3e prix.

Conformément aux conclusions de sa Commission, la Société Académique a décerné:

Un troisième prix avec médaille d'argent, grand module, à M. Maurice Thiéry, auteur de la Biographie de PierreLouis Gosseu.

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La Commission de jugement était composée de MM. DAMOISY, Abel PATOUX, Charles MAGNIER, Léon DÉJARDIN, Léon JOLLY, D' Paul Lecomte, A. BURluraux, membres titulaires; Edmond POULAIN, membre associé ; Élie FLEURY, membre titulaire, rapporteur.

MESSIEURS,

Il était convenu que ce seuil serait enguirlandé de roses quand un poète, un vrai, le franchirait. Nous avons, d'un commun accord, laissé les roses aux rosiers et je vais vous présenter quelques versificateurs.

Huit nous ont fait l'honneur de nous envoyer leurs rimes. Nous en avons retenu quatre pour les récompenser: c'est une généreuse proportion. Les autres, nous les ferons rentrer dans

La paix impassible des morts.

Les derniers étant ici les premiers, nous reconnaîtrons

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