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Cependant, la citoyenne Fouquier ne va pas, comme beaucoup d'autres, jusqu'à se laisser duper par certains escrocs qui exploitent les angoisses et la crédulité des familles des reclus. Elle garde toute sa clairvoyance et en triomphe, il faut le reconnaître, avec une satisfaction de soi un peu excessive. La citoyenne Monfourny, moins avisée, a donné dans le panneau d'un quidam qui lui a fait croire qu'il avait en poche l'ordre d'élargissement de son mari.

<< La chère comère Louise, qui toujours officieuse, lui avait procuré un habit bourgeois pour paraître, à ce qu'il disait, plus décemment, est assignée à comparaître jeudi devant le juge de paix, au tribunal de police correctionnelle. Elle n'en est pas plus contente, quoyque cependant elle n'ait rien à craindre. Si je l'avais crue, je me serais livrée, comme bien d'autres, aux supercheries de ce charlatan. La connaissance particulière qu'elle en avait à cause de la citoyenne Monfourny, me donnait la première place dans les bons offices qu'il voulait rendre; mais, je ne me suis pas laissée surprendre. Le récit qu'elle me faisait de la conduite de cet homme relativement à la prétendue liberté de Monfourny et le refus de montrer l'ordre qu'il disait être porteur, enfin les détours que j'ai cru apercevoir, m'ont donné de la méfiance. J'ai dit à Louison que je ne réclamerais ses bons offices, que quand le citoyen Monfourny serait de retour; que je ne voulais pas risquer de me défaire de certaines pièces qu'il aurait fallu lui donner et qui pourront me servir dans une occasion plus favorable et plus certaine. La suite a prouvé que j'ai bien fait et que j'ay mieux réfléchi que tout le monde. Je m'en applaudis aujourd'hui, et je ris de la crédulité des autres. »

Mais elle ne reste pas pour cela inactive et ne saurait s'accommoder de la passivité fataliste de son mari. Elle le morigène doucement, avec tendresse, le relance, le presse

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d'agir, lui envoie pétition sur pétition; et parfois sa diplomatie et son machiavélisme offusquent l'ex-procureur du roy. Sans doute pour flatter l'ogre révolutionnaire, on lui a prêté des sentiments qu'il rougirait de feindre, car il écrit, en réponse à un projet qu'on lui adresse :

<«< Tu ne me connais pas encore, ni ton fils, si tu penses, ainsi que lui, que j'écrirais, copierais et signerais l'écrit que tu m'as envoyé par un exprès. Je n'y vois aucun des moyens que j'avais cru pouvoir employer. On en a substitué d'autres, qui ne me conviennent nullement, et une fois pour toutes, je les rejette. »

A la bonne heure! Et il sied à l'homme, au magistrat, au citoyen vraiment digne de ce nom, de recouvrer toute sa virilité, pour défendre et ne laisser point, dans de petites combinaisons et de subtiles habiletés, avilir et sombrer sa dignité.

Déjà, malgré les conseils de son frère, le notaire Quentin, il avait refusé de s'adresser à son cousin Fouquier-Tinville qui, sans aucun doute, lui faisait horreur.

Enfin, le 9 thermidor (27 juillet 1794) éclate. Les bourreaux s'entr'égorgent; mais, est-ce là seulement un nouvel épisode de la sanglante tragédie, ou y a-t-il vraiment quelque chose de changé ? Robespierre et Saint-Just ne sont plus; mais les autres valent-ils mieux? Le citoyen Fouquier ne le croit pas, puisque plus que jamais il se refuse à espérer. Notez qu'on est encore tellement dans le doute, dans l'incertitude, que non seulement on n'ose point parler des derniers événements, ni les commenter, mais même qu'on se garde dans toute cette correspondance d'y faire la moindre allusion. Il faut que Barrère parle à la Convention de clémence et de justice, pour que Mme Fouquier, sans toucher aux hommes et aux choses d'hier,

affirme qu'une ère nouvelle paraît s'ouvrir. Lui, muet, comme s'il redoutait quelque revirement, quelque coup de théâtre, ne veut toujours, ni croire, ni espérer, et Mme Fouquier s'épuise à le persuader:

« Je désire que mes réflexions opèrent quelque changement dans ta façon de penser, et que tu n'attendes pas, pour en changer, l'instant où tu seras libre. Tu t'en trouverais mieux. Il est des âmes qui se complaisent dans la mélancolie et qui aiment à nourrir leur douleur. Je crois que si elles s'ouvraient une fois à la jouissance du plaisir, elles regretteraient peu leur première situation. L'ennui, le dégoût, l'abattement affaissent l'âme qui s'y livre. Le courage, l'espoir, la satisfaction la relèvent au contraire, l'affermissent contre les revers et la rendent supérieure à tous les coups du sort. >>

Mme Fouquier écrivait cela le 18 août 1794, et deux jours après, son mari était libéré.

M. Eloy Fouquier ne survécut pas bien longtemps à ces jours douloureux : il mourut le 18 décembre 1797

Mme Fouquier-Cres peaux mourut elle-même le 15 fé

vrier 1802.

ABEL PATOUX

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