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En terminant, les pauvres femmes se mettent sous la sauvegarde de la loi.

La loi ne les sauvegarda pas longtemps. Le 2 avril 1792, la dame Gobinet acheva de mourir et la municipalité alla officiellement constater son décès. En effet, l'article 4 du titre II de la loi du 14 octobre 1790 accordait aux ci-devant religieuses, dont le revenu était inférieur à sept cents livres, un accroissement de traitement au décès de chacune de leurs compagnes.

C'étaient les administrateurs composant le district qui avaient fixé le montant des pensions initiales suivant le revenu des biens restant de la communauté que gérait un comité établi dans la ci-devant abbaye d'Isle. Mais cette paix relative était précaire et elle cessa définitivement quand le 28 avril 1792 toutes les congrégations pieuses et charitables furent abolies et le costume religieux proscrit sous ce prétexte que « désormais il ne devait plus y avoir d'autres distinctions entre les citoyens que celles des vertus publiques ».

Comment se fit la dispersion de la tremblante communauté? Aucun papier d'archives ne nous l'a jusqu'ici révélé.

En tout cas, il est certain que le 25 octobre 1792 Fervaques était évacué, car le Conseil général de la commune, mis en demeure d'installer un hôpital militaire, avait pensé à cette maison vide; mais, disent les économes administrateurs, « sa disposition est telle qu'elle exigerait beaucoup de dépenses et elle est dans un état de solidité et d'ornements qui ferait beaucoup regretter la perte de ces avantages qu'entraînerait nécessairement l'établissement d'un hôpital; elle pourra d'ailleurs être vendue avantageusement par la Nation ou être employée plus utilement à d'autres établissements publics et principalement pour l'éducation nationale ».

On voudrait vraiment savoir ce que sont devenues les religieuses, dans quelle retraite et quels sentiments elles ont vécu et sont mortes, quelles servitudes corporelles a entraînées pour elles l'usage de cette liberté qui était le présent le plus funeste que les hommes pussent leur faire.

Nous ne retrouvons que cette mauvaise tête de sœur Agathe Farez, qui remplit les registres officiels de son nom elle demande des certificats de résidence et de civisme, elle se présente au district et jure « d'être fidèle à la Nation, de maintenir la liberté et l'égalité, et de mourir en les défendant », et elle signe.

Mais Mme Dumouriez? Elle fut jetée en prison, nous en avons l'assurance par ce passage des Mémoires de son frère le général: « Quant à son épouse, Mme Dumouriez, (la femme de l'auteur des Mémoires, qui parle de lui-même à la troisième personne), elle est sans contredit pleine de grandes vertus..., il l'aime, l'estime et la respecte, mais leurs caractères sont incompatibles. Hélas !! à l'époque où il est écrit cette partie de ses mémoires (en janvier 1794), elle est dans les prisons des anarchistes avec sa sœur, Mme de Perry ; sa belle-sœur, l'abbesse de Fervaques; sa nièce, Melle de Perry; Mme de Châteauneuf, cousine germaine de Dumouriez; la jeune et intéressante baronne de Schomberg, femme de son neveu, mère de deux enfants en bas âge.

<< Français, soyez justes! Si vous trouvez Dumouriez criminel, ne vous vengez pas sur ces femmes qui n'ont ni partagé, ni su ses projets ! »

Il ne serait peut-être pas très difficile de savoir ce que furent les destinées de ces personnes de qualité, mais à quoi bon ici? C'est à Fervaques que nous nous intéressons jusqu'au bout, et Fervaques avait vécu. Le monastère allait

servir à tout prison, caserne, arsenal, pension, palais de justice et ne se prêtant à rien, jusqu'à ce qu'un inopportun coup de pioche, en 1897, disséminât ces pierres imprégnées encore de la poésie subtile du passé!

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UN RECLUS A NOINTEL

PENDANT LA TERREUR

LETTRES DU CITOYEN ÉLOY FOUQUIER,
EX-PROCUREUR DU ROI A SAINT-QUENTIN,

ET DE SA FEMME

Bien mieux que les mémoires, qui souvent, pour beaucoup de raisons, sont inexacts, incomplets et peu fidèles, les lettres de ceux, petits ou grands, qui ont vécu les époques intéressantes de l'histoire, nous apportent des faits qui ont chance d'être vrais, et des impressions sincères.

Aussi, croyons-nous qu'on peut tirer quelque profit des lettres (1) échangées pendant la Terreur, entre le citoyen Éloy Fouquier, ci-devant procureur du roy au bailliage de Saint-Quentin, alors détenu comme aristocrate et suspect Nointel (Oise), et son excellente et digne épouse, MarieAnne-Jeanne-Charlotte Crespeaux.

Non pas que ces lettres révèlent des faits inconnus ou

(1) Cette correspondance nous a été très gracieusement communiquée par M. Arrachart, arrière-petit-fils, par sa mère, de M. et Mme Fouquier-Crespeaux, avec autorisation de la publier. Nous prions M. Arrachart d'agréer toute notre bien sincère gratitude.

M. et Mme Fouquier-Crespeaux ont encore comme arrière-petits-enfants, notre compatriote M. Henri Fouquier, ses deux frères, MM. Charles et Louis Fouquier, qui habitent Paris, et Mme Robert Dusanter, de Saint-Quentin.

à

d'une importance capitale. Il ne faut pas oublier d'ailleurs, que presque toutes passaient par les mains des autorités révolutionnaires, et que quelques-unes, glissées furtivement dans des paquets ou remises à des visiteurs, couraient le danger d'être saisies. Mais, cette contrainte même, ce silence gardé sur les événements qui intéressent le plus, sur les hommes que la roue de la Fortune révolutionnaire entraîne au sommet en pleine lumière et précipite, cette constante préoccupation de refouler en soi toute émotion qui trahirait, de se garder d'un mot, d'un geste d'où dépend la vie, cela même est de l'histoire et peint une époque et un système.

Et ce qu'il y a peut-être de plus frappant, c'est la résignation morne des malheureux pris au piége révolutionnaire, sentant déjà le souffle glacé de la mort passer sur leurs fronts, incapables de se débattre, de se défendre, victimes d'un destin implacable comme le Destin antique, et comme lui inévitable. C'est bien là le frisson mortel de la Terreur. Tout tremble, mais il ne faut point laisser voir qu'on tremble, car sous le règne des lois, de la sensibilité et de la vertu, il n'y a que les mauvais citoyens qui tremblent; et ceux-là on les supprime. La crainte et le désespoir sont dans toutes les âmes; mais, si les visages sont impuissants à se composer et trahissent les cœurs, on est perdu.

Il ne faut donc pas s'étonner de trouver ces lettres muettes sur tous les grands événements. Mais elles ne sont pas intéressantes seulement par ce qu'elles ne disent pas. Elles racontent l'odyssée des aristocrates et des suspects arrachés brusquement à leurs foyers, à leurs familles, simplement parce que quelques gredins, presque toujours poussés par des haines personnelles, les ont dénoncés aux représentants du peuple, comme aristocrates et suspects.

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