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trie nouvelle et fut le fondateur d'une maison nombreuse et puissante. Dame Anne Gobinet, âgée de soixante-seize ans, appartenait à une famille souvent alliée à la précédente et qu'avait illustrée Charles, docteur en Sorbonne et principal du collège du Plessis, à Paris.

A la question posée par Messieurs les commissaires, Mme Dumouriez répondit aussitôt qu'elle voulait vivre et mourir pour cette maison qui était sa maison de profession, selon les engagements qu'elle avait pris devant Dieu. La plupart des religieuses firent la même déclaration. Quelques nonnes cependant manifestèrent l'intention. de profiter de la liberté que la Nation leur donnait de sortir de leur cloître, mais elles ne le voulaient faire que certaines de jouir de la pension promise par la loi. D'autres paraissaient incertaines et répondirent dans des termes vagues, demandant à attendre les événements pour se décider.

Mais le 11 novembre la même cérémonie recommença. Le maire de Saint-Quentin, assisté d'un greffier, délégué en vertu d'une délibération prise le 11 octobre par le directoire du district, rassembla encore les sœurs et recueillit de nouveau leur déclaration.

Sept, dont une infirme, déclarèrent adhérer avec soumission aux décrets des augustes représentants de la Nation et promirent «d'y être fidèles jusqu'à la mort ainsi qu'à la Loi et au Roy », tout en demandant à sortir de la maison. quand leur pension serait fixée. Mais il est probable qu'on leur avait posé la question de manière à les intimider, car le lendemain trois sœurs rétractèrent leur première déclaration <«< comme s'étant trompées ou ayant été trompées ».

Mais les rapports se tendaient de plus en plus et la soidisant légalité, d'indiscrète se faisait traçassière avant de

devenir violente. Le directoire du département de l'Aisne fit dresser un nouvel inventaire des biens de l'abbaye, (c'était la troisième fois depuis le commencement de l'année) dont furent chargés l'ancien président du comité municipal et un notaire royal. Le copiste qui a écrit la minute de cet acte est le même que celui de l'inventaire Dartois, mais il avait modifié son écriture dans le sens égalitaire, raccourci les majuscules, supprimé les accents et diminué les paraphes.

Les commissaires du directoire se transportèrent le 28 décembre, à dix heures du matin, dans la maison de « la cy-devant abbaye » et requirent « la cy-devant abbesse >> de faire assembler toutes les religieuses. Ils firent alors connaître leur mission et donnèrent lecture de l'arrêté du département de l'Aisne, en date du 19 octobre dernier, tendant à la conservation des biens mobiliers et autres faisant partie du domaine de la Nation.

On n'argue pas de fausse la déclaration faite jadis par Mme Dumouriez, mais on remarque qu'elle n'a pas été approuvée par toute la communauté; aussi les commissaires se retirent-ils dans une grande salle et font-ils successivement comparaître devant eux chaque religieuse afin de lui demander des renseignements sur « l'argenterie qui doit être un objet conséquent. »

Il y avait dans la maison: « des cuillères à café, trentesix couverts d'argent, outre ceux qui sont à l'usage personnel des dames et sœurs, six cuillères à ragoût, deux louches, deux écuelles, deux casseroles, deux cafetières, une grande et une petite, un huillier, deux cuillères à passer le sucre, une teillière et son bassin »>.

Les sœurs, interrogées séparément, firent des déclarations qui concordaient à peu près toutes; et comme il était implicitement fait appel à la délation, une déposante

porta une petite plainte contre l'aboesse qui paraît avoir été une femme de tête, et cette plainte fut tartinée dans le goût du temps:

«< Elle nous a déclaré que, malgré l'égalité qui doit régner dans la dite maison, aux termes des décrets de l'Assemblée Nationale, toutes les sœurs converses n'avaient pas encore joui de l'avantage de l'égalité et des douceurs qu'elle doit procurer, puisqu'au contraire, plusieurs d'entre elles qui s'étaient montrées assez fermes pour en jouir, n'avaient éprouvé que des désagréments, ce qui les rendait maintenant fort circonspectes vis-à-vis de Mme Dumouriez et de plusieurs religieuses qui lui sont fort attachées et qui se croient encore fondées comme cy-devant, à les traiter despotiquement; que ne pouvant avoir aucune connaissance des décrets de l'Assemblée Nationale rendus en leur faveur, elles ne savent à qui s'adresser pour avoir sûreté, aide et protection; que dans une telle alternative, elles vivent continuellement dans la crainte sans oser se plaindre. »

L'inventaire de l'argenterie dure deux jours, celui du mobilier quinze! Depuis le 28 décembre 1790 jusqu'au 12 janvier 1791, les commissaires vinrent deux fois par jour, de neuf heures à midi et de deux heures à sept heures, faisant chaque fois assembler tout le couvent pour procéder à l'enquête.

l'étonnement

les scellés

On devine facilement l'hostilité qui devait grandir entre eux et l'abbesse. En marge, d'ailleurs, le greffier note: <«<les inquiétudes de Mme Dumouriez, marqué, la crainte de la supérieure, apposés pour découvrir la vérité, etc. ». On visite en détail la sacristie, l'église, le parloir, le réfectoire et le pensionnat. Il y avait alors quinze pensionnaires et l'on en attendait

encore quelques autres. L'appartement de l'abbesse est composé de trois pièces communiquant avec le chartrier et la tribune de la chapelle d'où elle entendait les offices à travers un petit vitrail, devant lequel elle pouvait faire glisser un rideau de taffetas vert.

Il y avait aussi des dames pensionnaires. Mme Dumouriez avait fait du couvent sa chose, il faut le reconnaître et elle y recevait et y logeait une partie de sa famille. C'est ainsi qu'en 1774, Dumouriez, alors gouverneur de Cherbourg, était venu s'installer à Saint-Quentin, près de sa sœur, avec la femme qu'il venait d'épouser; mais les deux belles-sœurs ne sympathisèrent pas. La jeune femme de l'officier était d'une dévotion outrée et minutieuse, tandis que l'abbesse paraît en tout être une femme de tête, voyant les choses de haut et de loin.

Bref, en 1791, Mme Dumouriez logeait à Fervaques ses sœurs Mme de Chateauneuf et Mme de Schomberg, une de ses cousines, Mile Tussereau et une demoiselle Guérin. Ces deux dernières tout au moins étaient dames pensionnaires, et dans leur chambre on ne trouva rien qui fût digne d'être inventorié. Dans le grenier conduisant au clocher on remarque: « deux poulies en fer, des cordes, le tout servant à monter des ouvriers dans de grands paniers d'osier placés à l'orgue, lorsque l'on fait balayer la voûte de l'église ». Le mobilier de l'infirmerie est sommaire « trois bois de lit, des lits de plumes, des courtespointes et un traversin, quatre vieux fauteuils de tapisserie, quatre chaises, une table de nuit, une chaise percée avec sa seringue, une baignoire de fonte, une vieille portière de tapisserie de Hongrie ».

A la cuisine: «< quatre-vingt-six assiettes d'étain », (on mangeait cependant dans la faïence aux grands jours), des plats, des soupières d'étain, des poissonnières de

cuivre, des casseroles. des lèche-frites en fer battu, des louches de cuivre « à dresser la soupe », six broches à rôtir, deux tourne-broches, trois paires de pincettes, de nombreuses mouchettes, etc.

Le 5 janvier, dans la remise, près du cimetière des religieuses, MM. les commissaires remarquent une très ancienne berline à quatre places qui était à l'usage des anciennes abbesses du couvent, et une autre voiture «< couleur citron », avec les ressorts qui appartenaient à M. de Schomberg, neveu de Mme Dumouriez, plus des tréteaux et planches dont M. François Dubois, « menuisier de la maison, faisait ordinairement usage, lorsque les pensionnaires lui font construire un théâtre pour représenter des tragédies et donner des exercices publics ».

Ces vieux inventaires du dix-huitième siècle sont évocateurs au possible et ont quelque grâce en leur sécheresse.

<< De là, avons été introduits, continuent les commissaires, aux appartements occupés, à l'entrée de l'abbaye, par M. Pierre-Joseph Violette, prêtre religieux de Cîteaux, profès de la maison de Longpont, et professeur et directeur des religieuses et pensionnaires de ladite maison. Entrés par l'antichambre et grand parloir, le dit sieur Violette, présent, nous a fait remarquer un bois de lit fermé en forme de secrétaire, peint en noir, une armoire d'ébène, à deux battants à jour, avec grillage doublé de camelot vert, une table de marbre avec son pied en console, un grand buffet à deux battants avec le dessus pareil, peint en noir avec des grands bouquets, une petite table de toilette cirée verte, un fauteuil de vieille tapisserie, un autre en cuir noir, et deux autres de cannes, six chaises ordinaires, une vieille petite commode en marqueterie à trois tiroirs. Dans une cheminée à chambranle de marbre, chenets, pelles et pincettes de fer, une tenture en tou

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