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contribué à pacifier. Mais on avait sujet de regretter que le ministère eût gardé le silence sur la conversion du 5 p. 100, et qu'en cette occasion il laissât prendre à l'opinion l'initiative. M. Monnier de la Sizeranne trouvait au surplus les dispositions de la Chambre suffisamment exprimées dans le projet; il offrait aux opinions indépendantes un terrain sur lequel on pouvait asseoir une majorité réelle qu'il serait facile au ministère de rallier. « Qu'il l'ose, lui disait l'orateur; qu'il n'ait pas l'air de contracter son alliance de raison (on sait que c'est l'expression employée par M. Jaubert à une autre époque ) précisément avec la portion dont il est sorti. »

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M. Desmousseaux de Givré rendra, lui aussi, justice au dévouement des ministres; mais du 12 mai au 9 janvier, ils ont sans doute fait quelque chose. Il n'en est rien dit cependant dans le projet d'Adresse; c'est pourquoi M. Desmousseaux s'inscrit contre les choses qui ne se trouvent pas dans l'Adresse. Un arrêt a été rendu par suite des événements du 12 mai (affaire Barbès); une commutation a eu lieu, bien qu'aux termes de la note officielle du Moniteur les ministres eussent proposé de laisser à la justice son libre cours. La commutation a eu lieu « le roi usant (ce sont les termes de la note) de son droit constitutionnel.» Que résulte-t-il de ce fait ? Qu'un pareil attentat venant à se renouveler, et l'exécution de l'arrêt devant suivre, le ministère ne couvrira plus la Couronne. Le ministère doit aussi protéger la pairie. A-t-il obéi à cette loi de son institution par les dernières nominations qu'il a faites? Il n'a pas voulu, c'est le motif qu'il allègue, laisser s'éteindre la pairie. Vingt-neuf pairs sont morts, onze avaient été précédemment nommés. Le ministère a comblé le nombre, et c'est là tout ce qu'il a voulu faire! Le ministère qui a fait soigneusement son histoire dans le Moniteur, demande « à ceux qui ont hasardé quelques critiques de noms propres, de désigner à leur tour ces supériorités que l'on aurait pu choisir et que

l'on aurait méconnues. « Mais, parler ainsi n'était-ce pas insulter plusieurs hommes illustres dans les arts, dans les lettres, qui pouvaient à juste titre aspirer à cet honneur? « La France est une personne de bon sens; mais elle est aussi une personne de bon goût : quiconque la blesse dans ce sens intime et délicat, encourt un châtiment que je ne veux pas dire. » Une ordonnance a été rendue sur une autre grande institution (le Conseil-d'État, 18 septembre 1839) quatre députés ont été nommés, PROMIS à des fonctions salariées, car on ne pouvait que promettre en créant des fonctions de cette nature. On a donc, sur une promesse, épuisé le droit électoral! Enfin, le ministère est, lui aussi, une grande institution : L'auteur de la proposition relative à la rente (M. H. Passy), siége dans le Conseil, et ce sujet n'est pas touché dans le discours de la Couronne! Le projet d'Adresse est le corrigé de ce discours : un mot à la place d'un autre, et le ministère l'a accepté!

Le caustique et spirituel orateur n'avait garde d'oublier de faire allusion à la commission des offices récemment nommée par M. Teste. On se rappelle la sensation que cette résolution avait produite, surtout dans le monde dont elle menaçait les intérêts. Huit ministres sur neuf avaient, selon M. de Givré, ignoré ce fait important. Toutefois l'orateur n'y insistait pas davantage; seulement il en concluait que le Cabinet n'était pas suffisamment conservateur? Etait-il du moins parlementaire? En Angleterre, c'est l'opposition qui est parlementaire et le gouvernement conservateur. Celui-ci a pour lui le nombre par cela seul qu'il gouverne. De là cette grande division en whigs et tories, et c'est de leurs luttes que surgit le gouvernement parlementaire. En est-on venu là en France? Non, sans doute. Les opinions sont fractionnées en minorités plus ou moins nombreuses. Une majorité eût été possible, peut-être, si, à l'avènement du ministère, l'une de ces fractions, le centre gauche, avait Ann. hist. pour 1840.

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contracté alliance avec l'autre (les 221). Mais le centre gauche s'est lui-même fractionné: une partie est allée à droite, l'autre au côté opposé. Et voilà que les vingt membres qui sont allés à droite soutiennent néanmoins qu'ils n'ont point changé d'opinion! Quoi qu'il en fût, M. Desmousseaux ne trouvait pas encore dans la Chambre ce qu'il souhaitait cette grande division des partis, ce parlement anglais qu'il voudrait voir s'établir au sein de notre enceinte législative; car que voit-on au moment présent? On voit, (singulier renversement de principes!) le gouvernement des minorités. Il faut donc chercher une majorité: en attendant, l'orateur vote pour l'Adresse et pour messieurs les ministres !

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Nous ne sommes pas parlementaires? répondit le ministre des finances; la majorité, si nous l'avons, résoudra seule la question. On a attaqué l'origine du Cabinet. Mais un ministère n'était possible, qu'autant qu'il aurait appartenu aux deux fractions qui séparaient la Chambre. Exclusif, il n'eût certainement pas obtenu la majorité. On veut deux partis dans la Chambre? Mais cela ne s'est jamais vu. Y avait-il dans la Chambre, à l'avènement du 12 mai, une section dominante? Non, évidemment. Le devoir du Cabinet nouveau était donc de chercher à rallier une majorité composée d'hommes fortement attachés au gouvernement représentatif? On insiste, continuait M. Passy, on interpelle le ministère, on l'interroge sur sa politique. - La politique du ministère est dans les antécédents. On réalise rarement les programmes; l'œuvre d'un ministre ne se définit point étudier les faits, les diriger vers le bien général, voilà sa mission. Des lois seront présentées, et l'on s'expliquera sur les questions pendantes. Et quant à la réforme électorale en particulier, le Cabinet n'élude pas la question. Elle est, M. Passy le déclare, incompatible avec la situation du pays. Mais qu'avez-vous fait, nous dit-on, dans l'intervalle des deux sessions? Quand les

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deux grandes questions de l'extérieur, l'Espagne et l'Orient seront discutées, on verra que le gouvernement a tenu une conduite sage et en tout conforme aux intérêts de la France. A l'intérieur, il a été fidèle à ce qui avait été promis; la presse a cessé d'être subventionnée, et c'est seulement ainsi qu'elle deviendra morale. Mais on a été plus loin on a dit, à propos de la condamnation de Barbès, que le ministère ne couvrait point la royauté. Or, c'est là un débat qui ne devait pas être porté à la tribune, Partout ailleurs, les ministres ont accepté la responsabilité de leurs actes et par exemple, ils ne la déclinent pas, en ce qui touche l'internement en France de don Carlos. Au surplus, le ministère, lui aussi, desire voir se décider la question de majorité, C'est à ce prix seulement que le gouvernement disposera de l'énergie, de l'autorité nécessaires pour diriger les affaires du pays.

M. Desmousseaux remonta à la tribune; car il s'agissait pour lui d'un fait personnel. Il n'avait point cru devoir prendre la parole à l'époque où parut dans le Moniteur la note relative à la commutation de Barbès; mais aujourd'hui il était de son devoir de parler, et il l'a fait en interpellant le garde-des-sceaux.

M. Teste vint en effet répondre Un crime a été commis; il rendait possible l'exercice du droit de grâce, Une commutation a eu lieu, et l'on a laissé la reconnaissance monter jusqu'à la Couronne. A-t-on pour cela déserté la responsabilité de l'acte? Non, sans doute, puisque la commutation a été contresignée. La discussion sur ce sujet n'était donc plus possible. Ce point examiné, le ministre réfuta, un à un, les reproches jetés à son administration par M. Desmousseaux de Givré. On a créé, disait cet orateur, un certain nombre de pairs, et cette création il la critiquait, bien que ce ne fut pas pour lui une question de personnes; qu'était-ce donc alors, demandait M. Teste? La

Couronne a le droit, apparemment, de garnir les rangs de la pairie ? Est-on sorti des limites constitutionnelles? Vingt pairs étaient morts, M. Demousseaux le reconnaît; eh bien! il a été nommé vingt pairs. Après avoir essayé de la lutte sur ce premier terrain, on s'est rejeté sur l'ordonnance relative au Conseil-d'État. On n'a pas critiqué, il est vrai, la réduction du service extraordinaire, et l'augmentation du service ordinaire, mais on s'en est pris aux conséquences. Sans doute, le traitement des membres dépendait d'une loi, mais le titre était acquis: le traitement existait légalement, attaché à la fonction; donc, la réélection des députés appelés à faire partie du Conseil-d'État était également légale; elle était nécessaire. Enfin, M. Teste avait à s'expliquer sur un dernier sujet : la formation d'une commission des offices. Un mot, dit-il, répond à tout ce qui a été avancé à cet égard : on n'attaque pas le droit, mais les abus. Mais sur neuf ministres, huit n'ont pas été consultés ? C'est qu'il s'agissait d'une matière à préparer par l'un d'eux seulement.

M. Dupin revint à la commutation de la peine prononcée contre Barbès. La responsabilité ministérielle ne commence, à son avis, en matière de grâce, qu'à la forme ; et en cela surtout elle est morale, en ce sens que les ministres ne font qu'accommoder sa réalisation à un fait qui est de droit royal et pour ainsi dire absolu. Si donc le ministère signe, la grâce prend corps, devient efficace et doit recevoir son effet. Car s'il ne lui paraissait pas qu'il y eût lieu de faire grâce, le ministère ne signerait pas et se retirerait. Quand la grâce n'est qu'une modification de la condamnation; quand il y a commutation, c'est un second arrêt qui est mis à la place du premier; alors il doit être entériné et être exécuté comme celui-ci l'aurait été lui-même. Ici commence la responsabilité des agents du pouvoir; car si ce second arrêt n'a pas été exécuté, c'est à eux qu'il s'en faut prendre. Dans la circonstance actuelle le second arrêt de la Cour des pairs, celui auquel on avait réduit la condamnation, n'a pas reçu son

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