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Cointre, Mounier, la femme Andelle sont fort longues. Il est évident que tout cela ne pouvoit pas avoir été l'ouvrage d'un mois. Il falloit donc que Chabroud eût commencé son travail dès le moment où le Châtelet s'étoit mis en devoir d'entendre des témoins, et si lui, ainsi que les autres conjurés, n'avoient été intimement convaincus que d'Orléans et Mirabeau avoient eu la principale part aux massacres des 5 et 6 octobre, ce travail n'auroit pas eu pour unique objet de laver ces deux hommes. Si Chabroud eût cru de bonne foi à l'innocence de ces deux monstres, cominent auroit-il pu présumer six mois d'avance, que le Châtelet les décréteroit de prise-de-corps? Ainsi sous ce point de vue, le rapport même de Chabroud étoit une nouvelle preuve contre d'Orléans et Mirabeau..

Ce rapport au reste, quoique parfaitement bien écrit ainsi que je l'ai dit, avoit moins pour objet de justifier les deux accusés, que de prouver que les délits qui leur étoient imputés, avoient servi la révolution. Tout l'esprit de ce rapport se trouve dans ce peu de mots du rapport même: Où étoit, je vous prie, le motif de blâmer? C'est en dernière analyse la conséquence de tous les raisonnemens de Chabroud. Ces autres paroles de Mirabeau indiquent également le sens dans lequel son apologie avoit été composée : Quand toutes les inculpations dont je suis frappé, dit cet homme impudent à l'assem

blée elle-même, seroient prouvées, elles n'établiroient encore rien contre moi; ainsi je ne me regarde point comme accusé.

L'apologie des deux coupables plus insolente que captieuse fut une véritable diatribe contre le Châtelet, contre les témoins, et plus particulièrement contre les gardesdu-corps. Tant d'audace frappa de consternation les royalistes; ils ne firent dans cette occasion qu'une foible défense; l'abbé Maury lui-même ménagea Mirabeau au point de demander qu'il n'y eût point contre lui lieu à accusation. Le marquis de Bonnay fut le seul qui s'éleva sans ménagement contre le rapport de Chabroud; il le fit en peu de

mots:

« La calomnie, dit ce gentilhomme, qui s'attache à la vertu, n'obtient jamais que des succès bornés et des triomphes passagers. En vain des scélérats qui avoient tant d'intérêt de tromper le peuple, et de l'égarer, qui avoient sur-tout tant d'intérêt de se frayer un chemin facile jusques dans l'asyle de nos rois, ont-ils entrepris de diffamer les gardes-du-corps; la voix publique les a bientôt vengés.

<< Dans cette orgie prétendue qui est devenue le prétexte malheureux de tant de malheurs et de tant de crimes, tout homme sage n'a vu qu'un repas fraternel consacré par l'usage entre les corps militaires, et dont l'intention étoit innocente et pure.

« Pour la première fois dans cette tribune, et dans un rapport qui, je l'avoue, m'a paru le modèle des plaidoyers pour les grands criminels, dans ce rapport, dis-je, on a osé prouver que dans les journées des 5 et 6 octobre, les gardes-du-corps avoient été les aggresseurs. On a eu l'étrange audace de s'écrier, le dirai-je, que l'on devoit s'applaudir que deux têtes seulement avoient été coupées.

On a voulu rejetter sur la violence des gardes-du-corps, de ces guerriers que j'appellerai stoïques, et qui se sont laissés massacrer; on a osé rejetter sur leur compte les atrocités qui dans la journée du 6 octobre ont souillé le palais de nos rois, et entaché à jamais notre histoire.

» Eh bien! Messieurs, vous avez été témoins des faits, vous avez lu les pièces de la procédure, les seules pièces légales, les seules véridiques.

» L'Europe, la France entière savent que les gardes-du-corps qui ont toujours combattu pour la patrie, et qui l'ont quelquefois sauvée; que les gardes-du-corps qui lui ont toujours été fidèles, la France et l'Europe entière disent qu'ils n'ont jamais été plus grands que lorsque dans un excès d'amour et d'obéissance pour leur roi ils ont laissé enchainer leur courage à la chose publique. Action sublime, et qui n'eut jamais d'égale ni de modèle.

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« Je dis qu'ils n'ont jamais été si dignes

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d'hommage et d'éloge que le jour où frémis-, sant de rage et de désespoir, ils se sont laissés immoler sur les marches du trône où le roi leur avoit interdit de se défendre.

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» Telle est la conduite qu'ils ont tenue Messieurs; ils sont tombés victimes innocentes sous le fer des assassins, et l'on ose encore outrager leurs cendres! Mais, Messieurs, les gardes-du-corps en s'immolant, ont sauvé la reine; ils ont sauvé le roi peutêtre, et ils sont morts contens.

» Pour moi, Messieurs, membre de ce corps respectable à qui je me fais toujours gloire d'appartenir, et qui ne m'a jamais été si cher que depuis qu'il est malheureux; membre de ce corps toujours fidèle à la nation, à la loi et au roi, je craindrois d'être désavoué par lui, si je m'abaissois à le justifier, à repousser des calomnies trop grossières, et qui partent de trop bas pour l'atteindre.

› Mais, Messieurs, en réponse aux allégations de M. le rapporteur, j'opposerai seulement quatre cens ans de courage, de victoires et de vertus.

» La Victoire a déja répondu pour moi, et elle répondra encore que malgré leurs détracteurs, les gardes-du-corps du roi, mes braves frères d'armes seront toujours ce qu'ils ont été, semblables à Bayard, sans peur et sans reproches. »

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Cet élan du marquis de Bonnay ranima le courage des royalistes ; ils demandèrent

que la discussion fût ajournée; mais le côté gauche refusa opiniâtrément ce délai, pour ne pas leur donner le tems de se préparer au combat. Il fallut donc le commencer sur-lechamp. Tous les membres du côté gauche, tous les orléanistes dont on avoit rempli les trines, prirent la défense de d'Orléans non pas avec zèle, non pas avec enthousiasme, mais avec rage, mais avec fureur. Ses plus ardens apologistes parmi les députés, furent Barnave, Pétion, Robespierre, Roederer, Alexandre Lameth, Prieur, Lapoule, le baron de Menou, Goupil. Dès qu'un royaliste se présentoit à la tribune pour combattre le rapport, tout le côté gauche le huoit, le menaçoit, et les tribunes paroissoient prêtes à fondre sur lui. Celles-ci proclamoient l'innocence de d'Orléans avec un tel acharnement que le chevalier de Folleville ne put s'empêcher de s'écrier: Puisque les tribunes veulent voter dans cette affaire, elles n'ont qu'à descendre à nos places.

La prévention en un mot et le bruit furent portés au point qu'il n'y eut pas un seul royaliste qui pût prononcer un discours suivi. Des vociférations, des hurlemens épouvantables lui fermoient la bouche à chaque phrase qu'il prononçoit.

Le plus grand silence régna lorsque Mirabeau parut à la tribune, et annonça qu'il alloit prononcer son apologie. Il lut en effet un fort long discours: on ne pouvoit sur une matière aussi grave raisonner plus imperti

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