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mettant les pièces sur le bureau, prononça un discours qu'il n'avoit point communiqué à sa compagnie. Il y loua bassement l'assemblée nationale, la commune et tous les novateurs du jour. Mais tous les coupables pâlirent lorsqu'ils entendirent ces mots : «ils vont être connus ces secrets pleins d'horreur; ils vont être révélés ces forfaits qui ont souillé le palais de nos rois dans la matinée du 6 octobre... »

D'Orléans et Mirabeau crurent voir déja levée sur leur tête la hache du bourreau, lorsqu'ils eutendirent Boucher-d'Argis proférer ces autres paroles: Quelle a été notre douleur, Messieurs, lorsque nous avons reconnu parmi ceux que de nombreux témoignages accusent, deux membres de cette auguste assemblée ! » Quoique le conseiller ne nommât pas les deux assassins, tous les yeux se tournèrent sur d'Orléans et sur Mirabeau, toutes les consciences les accusèrent.

Le voile étoit déchiré. Il s'agissoit de savoir si on permettroit au Châtelet de continuer cette procédure. Jamais une telle question n'auroit dû être agitée, et elle ne pouvoit l'être que parmi des gens qui en se disant les fondateurs de la liberté, étoient ivres de despotisme. L'assemblée nationale n'étoit ni un tribunal d'appel, ni un tribunal de cassation. L'eût-elle été, elle devoit attendre que le Châtelet eût mis à exécution les deux décrets de prise-de-corps, sauf aux décrétés

décrétés à se pourvoir devant elle. Quelle idée se former de la morale et du bon sens d'une assemblée qui posoit en principe que le pouvoir judiciaire étoit absolument indépendant du pouvoir législatif, et qui arrachoit des assassins au tribunal qu'elle-même avoit commis pour les poursuivre ? L'histoire des despotes d'Asie n'offre pas l'exemple d'une semblable monstruosité.

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Tout dans cette affaire est si révoltant que la plume en en racontant les détails tombe presque des mains. Mirabeau l'un des deux assassins fut juge dans sa propre cause. Il ne demanda pas, comme on pense bien, à être traduit au Châtelet. Il vota pour que l'assemblée nationale décrétât que son comité des recherches lui feroit le rapport des charges qui concernoient les représentans de la nation; c'est-à-dire, que le malheureux eut l'impudence de demander que d'Orléans et lui fussent jugés par leurs propres complices.

Les royalistes à qui le ciel offroit une si belle occasion de démasquer les plus détestables de leurs ennemis, soit par une indulgence mal placée, soit par crainte des. menaces qu'on faisoit retentir à leurs oreilles, montrèrent beaucoup de pusillanimité. L'abbé Maury cependant après un discours où il ne dit pas un seul mot des coupables, finit ainsi : «Ma conclusion, Messieurs, est que l'assemblée nationale approuve la délicatessse de messieurs du Châtelet qui avant Tome III. F

de prononcer des décrets, sont venus lui Faire hommage de la procédure; que l'assemblée nationale leur rende ce dépôt qu'ils viennent de mettre sous ses yeux; qu'elle ordoune aux officiers du Châtelet de poursuivre le cours de cette procédure, en déclarant qu'aux yeux de la loi, et en matière criminelle, elle ne connoît aucune distincticn entre les citoyens, et enfin que subsidiairement elle ordonne au comité des recherches de la municipalité de Paris de fournir au procureur du roi du Châtelet toutes les preuves qui seront en son pouvoir relativement aux événemens des 5 et 6 octobre dernier. »

De Cazalès s'échauffa beaucoup contre les forfaits dont il étoit question, et contre leurs auteurs; mais il ménagea les personnes, et s'abstint de les désigner. Il s'écria; « Le palais des rois a été violé... Les marches du trône out été souillées du sang de ses défenseurs.... d'infâmes assassins ont mis en péril les jours de la reine des François.... les jours de la fille de Marie Thérèse!.. de la reine des François ! de cette reine qui a conquis notre amour par notre estime, et dont le nom justement célèbre surnagera sur l'oubli auquel sont dévoués. les noms obscurs des agens de cette révolution..... Cet exécrable attentat, Messieurs, pèse sur la nation foute entière, si les auteurs de ces forfaits dont il n'est pas au pouvoir des hommes d'accorder le

...

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pardon, nesont découverts (1) et punis Représentans du peuple françois, vous avez reçu en dépôt l'honneur de la nation! ... l'honneur de la nation sera taché, si cet exécrable crime n'est pas puni. »

De Cazalès au reste conclut, comme l'abbé Maury. Leur avis fut adopté par tous les royalistes et tous les impartiaux. Je n'ai pas besoin de dire que tous les membres du côté gauche dont plusieurs aujourd'hui disent n'avoir jamais été orléanistes, prirent avec une extrême vivacité les intérêts de d'Orléans. Pétion se montra un des plus acharnés à obtenir son absolution. Le décret qui défendoit de mettre un député en jugement sans l'autorisation de l'assemblée, fut la grande, la seule raison que fit valoir le côté gauche. Le côté droit qui avoit eu tort de laisser passer ce décret, n'eut rien de solide

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opposer à un tel argument. L'avis de Mirabeau réunit la pluralité des suffrages. Il fut décrété que le comité des rapports rendroit compte des charges qui concernoient les représentans dè la nation, à l'effet de décréter sur ce rapport s'il y avoit lieu à

accusation.

Tout cela avoit été prévu. Chabroud membre de ce comité, se trouva chargé de ce rapport. Depuis plus de six mois, comme

(1) Découverts! Hélas! ils l'étoient. C'étoit contr'eux qu'il falloit lutter corps à corps.

on l'a vu par la lettre que j'ai rapportée plus haut, ils étoit adonné à tout événement à ce travail pour lequel il reçut d'avance de la part du prince, une somme de soixante anille livres.

Depuis que je me suis dévoué à transmettre à nesneveuxle tableau de nos funestes divisions, j'ai eu mille fois dans le cours de mon travail, l'occasion de m'étonner des flots de lumière que les dates elles seulès jettoient bien souvent sur les faits historiques les plus importans. Je fais cette remarque parce qu'il me paroît qu'en général les écrivains contemporains négligent trop de fixer les époques des divers événemens. Cette observation n'est point étrangère à mon sujet; elle répand au contraire le plus grand jour sur les menées de la faction orléaniste, relatives à la procédure du Châtelet.

Cette procédure fut déposée sur le bureau de l'assemblée nationale le 31 août, et dès le 30 septembre suivant, Chabroud en présenta le rapport. Ce rapport est si volumineux qu'il faudroit même à une plume exercée, plus d'une semaine pour le transcrire. Il est écrit avec un art qui suppose une longue méditation; le style en est correct, pur; châtié et même fleuri. Toutes les figures, toutes les graces, toute la séduction de l'éloquence s'y trouvent déployées. Il a fallu pour rédiger ee volume, lire préalablement environ quatre cens dépositions dont quelques-unes telles que celles de Maillard, Le

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