Page images
PDF
EPUB

jugée bien plutôt, sans la mauvaise volonté de la municipalité, sans la partialité du comité des recherches de l'assemblée nationale, sans les intrigues de tous les orléanistes. On fixa pour le rapport, le jeudi 5 août 1790, et on s'ajourna à sept heures du matin. On tint la chose fort secrette parce qu'on comprit que la moindre indiscrétion pouvoit tout arrêter. Les billets de convocation furent envoyés sous enveloppe à chaque membre du tribunal, de manière qu'à peine quatre juges savoient-ils en arrivant pour quelle affaire ils étoient convoqués.

Mais quelque précaution que l'on prît, Voidel qui avoit des espions par-tout, fut instruit de ce qui se passoit. Les magistrats s'étant placés sur leurs sièges dès sept heures du matin, comme il avoit été convenu, de Flandres de Brunville procureur du roi dit qu'avant de commencer le rapport de l'affaire pour laquelle on étoit assemblé, il requéroit qu'il lui fût octroyé de faire lecture d'une lettre qu'il venoit de recevoir. On lui accorda sa demande. Cette lettre lui étoit adressée par Voidel alors vice-président du comité des recherches; elle invitoit le procureur du roi et les différens rapporteurs des affaires de lèze-nation, de se rendre à midi au comité pour affaires très pressantes.

Il fut alors évident au tribunal qu'on vouloit absolument l'empêcher de prononcer un jugement sur les attentats des 5 et 6 octobre. On parut d'abord incertain du parti que l'on

prendroit; mais quelques magistrats firent observer à leur compagnie, que rien no pouvant ni ne devant arrêter le cours de la justice, il étoit de toute nécessité de commencer le rapport pour lequel on avoit été convoqué, sauf à le suspendre à midi afin de donner aux membres invités le tems de se rendre au comité des recherches. Cet avis réunit presque tous les suffrages. Pour en comprendre toute la sagesse, il faut se rappeller qu'une loi de nos anciens tribunaux défendoit d'interrompre le rapport d'une affaire criminelle sans rendre un jugement. Ainsi le Châtelet dans cette circonstance, quoiqu'il arrivât au comité des recherches ne pouvoit se séparer sans prendre une déci

sion.

L'intervalle depuis sept heures jusqu'à midi fut rempli par la lecture des pièces de la procédure, et celle des dépositions d'environ trente témoins. A midi on suspendit, et la compagnie resta assemblée jusqu'au retour de ceux de ses membres mandés au comité des recherches. Lorsque ceux-ci y eurent comparu, Voidel leur dit qu'il prioit messieurs du Châtelet de permettre que quatre membres du comité se transportassent à leur greffe pour prendre connoissance sur les pièces originales des diverses affaires de lèze nation qui s'instruisoient; c'étoit, disoit-il, afin d'en faire un tableau général, ainsi qu'un rapport à l'assemblée

nationale, et trouver les moyens d'appliquer à ces différentes affaires une foule de renseignemens qui étoient au comité.

Les membres du Châtelet ne virent aucun inconvénient à accéder à cette demande qui n'étoit qu'un pitoyable mensonge, car jamais ces commissaires ne parurent au Châtelet et jamais on ne fit un semblable rapport à l'assemblée. Tout paroissoit fini, et les membres du Châtelet se retiroient lorsqu'un homme du comité dit à un de ses collègues : « On les laisse donc partir? on oublie done de leur parler de l'affaire des 5 et 6 octobre ? » Un des conseillers du Châtelet qui entendit ces paroles, rappella ses confrères et apprit au comité que le rapport étoit commencé depuis sept heures du matin; qu'on avoit déja lu trente dépositions, et que la compagnie restoit assemblée pour le continuer. « Vous n'y pensez pas, s'écrièrent alors les membres du comité, le tems est on re peut pas plus mal choisi.... Il y a dans Paris la plus grande, la plus extraordinaire fermentation.... Nous savons de science certaine qu'il a été distribué dans la nuit beaucoup, mais beaucoup d'argent..... Les sections sont assemblées pour l'élection des officiers municipaux, et par conséquent très-échauf fées.... Il est de toute impossibilité, dit l'un d'eux, que vous jugiez; voilà qu'on amène M. de Bonne-Savardin et M. Fabbé de Barmont, et nous avons tout lieu de

croire que leur affaire se lie avec celle des. 5 et 6 octobre.... Messieurs, dit l'un d'eux, le comité et l'assemblée nationale n'ont rien tant à cœur que de voir juger cette affaire et punir les coupables; mais nous engageons le Châtelet à choisir un tems plus tranquille. >>

Lorsque tous ces messieurs eurent épuisé les considérations qu'ils jugeoient devoir inspirer quelque terreur aux membres du Châtelet, l'un de ceux-ci fit avec beaucoup de fermeté cette sage réponse:

<< Messieurs, le tribunal se fera un devoir de chercher à faire quelque chose qui soit agréable à l'assemblée nationale; mais toute législative qu'elle est, est, elle n'est pas au-dessus des loix, du moins de celles qu'elle n'a pas abrogées; une de ces loix défend aux juges d'interrompre une affaire criminelle sans avoir rendu un jugement quelconque, Au surplus nous en référerons à la compagnie, et nous ne doutons pas que conformément aux principes, elle n'ordonne de continuer. »

Le conseiller finissoit à peine de parler que de Pardieu qui présidoit le comité, se lève écumant de colère, faisant un geste menacant, il s'écrie aux membres du Châtelet: » Eh! bien, Messieurs, si vous persistez à Vous occuper de cette affaire, ni l'assemblée nationale, ni le comité, ni la municipalité, ni M. le commandant général ne répondront de la sûreté individuelle des

membres du Châtelet. Monsieur, lui répondit froidement le conseiller qui venoit de parler, nous ne sommes point effrayés de ces menaces; les magistrats ne connoissent que leur devoir; ils savent, quand il le faut, mourir sur les fleurs de lys. »

Les membres du Châtelet revenus dans leur compagnie, lui rendirent compte de ce qui s'étoit passé au comité; elle décida que le rapport seroit continué; elle ne se sépara qu'à dix heures du soir, après s'être ajonrnée au lendemain matin sept heures. Enfin on alla aux opinions; le tribunal étoit composé de quarante juges. Après cinq heures de délibération, tous sans exception, furent d'avis qu'il y avoit lieu de décréter de prise-de-corps le duc d'Orléans et le comte de Mirabeau. Que de honte, que de troubles, que de maux on eût épargné à la France si on eût laissé exécuter ce décret ! De combien de forfaits on eût tari la source, si d'Orléans eût dès-lors expié sur un échafaud ceux qu'il avoit déja commis!

Jamais au reste Paris ne fut plus tranquille que dans les deux jours que dura le rapport.. On ne vit pendant tout ce tems-là aucun étranger ni dans l'enceinte, ni autour du Châtelet. Cette tranquillité fut principalement due à l'intérêt que croyoit avoir la Fayette à la maintenir.

Le lendemain, des députés du Châtelet portèrent toutes les pièces à l'assemblée natienale. Boucher-d'Argis l'un d'eux, en re

« PreviousContinue »