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des recherches de lui indiquer les témoins qu'on devoit faire entendre. Le comité en indiqua une vingtaine qu'il prit parmi les gens à sa dévotion. Ils furent entendus, et ne donnèrent aucune lumière. Les juges dissimulèrent l'opinion qu'ils se faisoient de ce procédé. Ils représentèrent ensuite au comité qu'il ne leur suffisoit pas d'avoir des témoins, qu'il leur falloit encore des pièces de conviction. Le comité en promit un grand nombre. Trudon Désormes, officier-municipal, dit au magistrat de qui je tiens tous ces faits relatifs à la procédure du Châtelet, qu'on porteroit au tribunal quatre ou cinq cartons pleins de pièces qui donneroient la clef de tout, et montreroient au doigt le chef des assassins. De la Cretelle autre officiermunicipal et membre du comité des recherches de la commune, dit au même magistrat devant cinq témoins, que les plaques aux armes d'Orléans, et les lambels saisis étoient au comité des recherches.

Ce sont là les pièces que le comité promettoit, et ne donna jamais. Il en apporta dans la suite pour raison qu'elles n'avoient aucun rapport à la nuit du 5 au 6.

Le Châtelet ayant long-tems attendu ces pièces, et ne les voyant point arriver, demanda au comité qu'il indiquât de nouveaux témoins autres que les vingt déjà entendus. Le comité promit de déférer à cette demande, et finit par déclarer qu'il lui étoit impossible

de fournir d'autres témoins que ceux qu'il avoit déjà présentés.

Le Châtelet n'eut garde de faire du bruit; ni de témoigner de l'humeur de la conduite du comité; mais après avoir vainement et long-tems attendu, le procureur du roi se -détermina à faire entendre les témoins que la voix publique lui désigneroit, et à chercher dans les premières dépositions, l'indication de ceux qui pourroient donner de nouvelles lumières. Des commissaires se présentèrent chez la reine pour avoir sa déposition; ils en recurent cette réponse laconique et sublime: J'ai tout vu, j'ai tout entendu, j ai tout oublié. Aucun de ces héros dont l'histoire vante la générosité et la clémence, n'a jamais prononcé un mot plus digne d'être recueilli.

Il n'étoit pas possible que le Châtelet procédât à cette audition sans que les orléanis: es en fussent instruits. A la première nouvelle que le comte de la Touche en eut, il en informa le duc d'Orléans qui étoit encore alors à Londres. Voici la réponse que Laclos qui avoit suivi le prince en Angleterre, fit au comte de la Touche. Le hasard a voulu que cette réponse passât des mains de celui-ci dans celles d'une personne qui en conserve fidèlement l'original. J'en donne ici la copie littérale.

<< Monseigneur savoit avant votre lettre, que le Châtelet instruisoit l'affaire du 6 oc-. tobre; il vous charge de prévenir immédia

tement MM. Dupont et Quatremere, (1) que vous gagnerez facilement, en vous concer tant aves M. de Mirabeau qui peut tout éluder. Rappellez-vous sur-tout que ce n'est que par le discrédit et l'avilissement de M. de la Fayette, que Monseigneur triomphera. Il faut tout employer dans de pareilles circonstances. Monseigneur vous charge de faire un emprunt de quinze cent mille livres dont la garantie est chez M. Brichard, (2) notaire que vous connoissez. Le moyen que M. le duc d'Aiguillon propose, est infaillible; n'épargnez rien pour rappeller l'amour du peuple; priez madame la duchesse de se montrer de tems à autre. Pendant ce tems, MM. de Mirabeau et Chabroud (3) justifieront publiquement Monseigneur, et donneront du nerf à ses projets pour annibiler totalement la cour. Dites à M. de Ferrier (4) de continuer le mémoire d'instruction contre M. de la Fayette et le Châtelet; il est très-captieux et prendra dans le public. Enfin triomphez des juges du Châtelet par présens, par douceur, ou en amentant contr'eux; la crainte les décidera.

Signé le chevalier LACLOS.

(1) Le premier lieutenant-particulier au Châtelet; le second est ce même conseiller qui rapporta l'affaire de Favras.

(2) Rue Saint-André des Arts.

(3) Député à l'assemblée nationale.

(4) Maréchal-de-camp, et l'un des secrétaires des commandemens du prince.

Cette lettre en tout point digne de la plume de l'auteur des Liaisons dangereuses, fait connoître que les moyens de corruption étoient les seuls que sussent employer les conjurés. Mais les juges du Châtelet furent inaccessibles à la séduction et à la crainte. Ils étoient parvenus pendant l'espace de six ou sept mois, et en surmontant des obstacles sans cesse renaissans, à avoir un commencement de preuve qui mettoit en état de rapporter l'affaire, et de décréter les principaux prévenus. Dès qu'on sut dans le public que le rapport alloit être fait, tous les orléanistes se mirent plus que jamais en mouvement. L'assemblée nationale portant ses vues au loin, et voulant prévenir toutes les suites que pourroit avoir la procédure, décréta que chacun de ses membres étoit inviolable pour quelqu'espèce de délit que ce fût, c'est-à-dire qu'aucun tribunal ne pourroit décréter un député, à moins qu'il n'eût été préalablement décidé par l'assemblée, s'il y avoit lieu ou non à accusation contre lui.

La municipalité de son côté, croyant que c'étoit beaucoup faire de gagner du tems, imagina ne ruse pour retarder le rapport. Quoiqu'elle eût précédemment déclaré qu'elle n'avoit point de témoins à faire entendre, elle informa le Châtelet, qu'elle en avoit recueilli soixante-quinze, tous, dit - elle, très-importans, ajoutant qu'il étoit d'une indispensable nécessité de les entendre ; elle en donna la liste. Quand on voit tout ce mou

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vement pour venir au secours de d'Orléans, on ne conçoit pas que les mêmes intrigans qui faisoient ce mouvement, osent nier aujourd'hui qu'ils aient appartenu à la faction du prince.

Entendre soixante-quinze témoins n'étoit pas l'affaire d'un jour. Le Châtelet, pour qu'on n'eût pas à lui reprocher d'avoir rejetté aucune lumière, les entendit avec patience, quoiqu'il fût bien convaincu que leurs dépositions seroient insignifiantes. Il ne se trompa pas; aucun d'eux ne dit. rien de remarquable. Mais pendant le tems que les juges mirent à procéder à cette nouvelle audition, les orléanistes firent remuer mille ressorts pour détruire les preuves qui existoient déjà; ils remplirent Paris de troubles. Le Châtelet ne pouvant douter que le but des insurrections qu'on excitoit journellement ne fût d'enlever du greffe les minutes de la procédure, prit des mesures pour les mettre à couvert de toute invasion. Il fut merveilleusement secondé à cet égard par la Fayette qui exécrant d'Orléans, avoit un puissant intérêt que toutes ses trames fussent mises au grand jour. Il ne cessa pendant le cours de cette affaire, de protéger le Cliâtelet, en tenant nuit et jour à portée du tribunal, les hommes les plus sûrs de sa garde nationale.

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Enfin après neuf mois d'instruction, le Châtelet se détermina à entendre le rapport d'une affaire qui auroit pu être instruite et

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