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fidélité, et colloient ensuite ce papier à des arbres du jardin des Tuileries. J'ai vu de ces placards qui étoient entièrement à la louange de la reine. Cette princesse par sa patience et son courage au sein des plus bautes adversités, le dauphin par sa candeur, son innocence et la beauté de sa physionomie, paroissoient leur inspirer le plus vif

intérêt.

Comme j'ai suivi avec beaucoup d'attention les événemens de cette époque, je puis assurer que telles étoient les dispositions de ces fédérés, qu'il n'eût fallu qu'un mot, qu'un signal pour les rallier autour du trône, et les engager à rendre à Louis XVI toute son autorité. Comme ce mot ne fut pas dit, comme ce signal ne fut pas donné, quoique les fédérés le désirassent, et que plusieurs même le demandassent, c'est une preuve que ces royalistes qu'on a tant accusés de conspiration, n'ont jamais conspiré.

Les fédérés de chaque province envoyèrent des députés complimenter le roi. Je ne peux me refuser au plaisir de rapporter la scène attendrissante qui eut lieu lorsque le monarque reçut ceux de la Bretagne. Leur chef, à la vue de cette famille si constamment malheureuse, ne put retenir les mouvemens de sa sensibilité. Oubliant la harangue qu'il devoit prononcer, il met un genou en terre, et présentant au roi son épée, il lui dit : « Sire, je remets en vos mains pures et sacrées l'épée fidèle des braves Bretons, laquelle ne

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se teindra jamais que du sang de vos ennemis. Que faites-vous là, s'écrie Louis? » En même tems il relève le fédéré, le serre affectueusement dans ses bras, et lui rendant son épée, il lui dit à son tour: « Elle ne peut être en de meilleures mains que dans celles de mes chers Bretons. Je n'ai jamais douté de leur tendresse et de leur fidélité. Dites-leur que je suis le père, le frère et l'ami de tous les François.» Cette scène si nouvelle à la cour fit régner quelque tems ce silence que cause une extrême sensibilité; tous les visages se mouillèrent de larmes ; le monarque essuyant les siennes, ajouta en s'adressant au Breton: « Je suis satisfait; mon cœur est si ému que je ne puis trouver des expressions pour vous rendre tout ce que je sens. » On ne prévoyoit guère alors qu'un prince aussi sensible seroit bientôt accusé d'être un tyran.

Le jour de la cérémonie arrivé, la Fayette et les orléanistes firent inutilement de nouveaux efforts pour séduire ces fidèles fédérés. Tous leurs vœux furent pour la famille royale. Pendant un dîner que le général donna aux plus considérables d'entr'eux, il leur fit insinuer de le proclamer chef de toute la garde nationale du royaume; mais cette proposition fut rejettée avec dédain. Ainsi cette fête de laquelle on s'étoit promis des désordres et de grands changemens, se passa avec calme. Mais dans les jours qui la précédèrent la Fayette tint une conduite atroce, et par l'abus qu'il fit de son autorité, on vit des

scandales qui ne s'étoient pas renouvellés de puis les tems de la ligue. Par son ordre, des hommes féroces, gorgés de vin, le sahre nud à la main, pénétroient tous les soirs dans les asyles les plus saints de la religion; ils arrachoient de leurs cellules les moines, les religieuses, et les traînoient brutalement au Champ-de-Mars, pour les y contraindre à travailler aux préparatifs de la fête. Les Chartreux, les Carmelites que leur institut condamnoit à la retraite la plus austère, ne furent pas exempts de cette vexation. Toutes ces religieuses, tous ces religieux étoient le jouet de la canaille et d'un public hébété. Ceux-ci étoient contraints, les uns à se ceindre les reins d'un sabre, les autres à se coëffer d'un bonnet de grenadier.

La Fayette survênoit assiduement au milieu de ces saturnales, et levant son chapeau il entonnoit ces couplets fameux qui commençoient par les mots çà ira, et dont le refrein étoit une invitation au peuple, de boire le sang de ceux qu'on appelloit aristocrates. C'est la Fayette qui a mis en vogue parmi nous cette chanson d'antropophages, qui a tant de fois enivré la multitude, de la soif du carnage, et qui a fait couler tant de

sang inaocent. Il criera donc aussi ce sang contre l'homme qui pouvant et devant défendre ces couplets homicides, excitoit la populace à les chanter.

Ma mémoire me rappelle qu'un soir tous les garçons bouchers, les manches de leurs

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chemises retroussées, les bras teints de sang, se présentèrent au Champ - de - Mars, l'un d'eux portant au bout d'une perche, un écriteau sur lequel on lisoit en longues lettres: Voici les garçons bouchers, tremblez aristocrates. A la vue de cet écriteau, la Fayette au lieu de faire retirer tous ces buveurs de sang, sourit, applaudit, et entonna la chanson çà ira. Si la France a vu jusqu'à ce moment, ses enfans s'entr'égorger, à qui faut-il s'en prendre, qu'à ceux qui ont voulu qu'elle se couvrît d'assassins? Ce ne sera pas sur ceux qui ont reçu l'impulsion, ce sera sur ceux qui l'ont donnée, que la postérité déployera toute la sévérité de ses jugemens.

Il est difficile de se refuser à croire que ces provocations de la Fayette au meurtre, n'annonçassent pas qu'il avoit intérêt de profiter de la fête du Champ-de-Mars, pour commander un carnage. Ce fut l'opinion du moment, si bien que tous ceux qui se croyoient proscrits soit par la Fayette, soit par d'Orléans, ou se cachèrent, ou s'éloignèrent de Paris. La famille royale elle-même ne fut pas sans de grandes et de vives inquiétudes; le monarque reçut plus d'un avis de mettre sa vie en sûreté, ou au moins celle de la reine et de son fils. Je ne fais nul doute que si tout se passa avec tranquillité; que si les manoeuvres de la Fayeite et de d'Orléans furent déjouées, on le dut uniquement au bon esprit des fédérés dont la réunion composoit une

force qu'on ne pouvoit pas raisonnablement tenter de heurter.

Tandis cependant que d'Orléans se flattoit de faire bientôt éclore quelqu'événement qui lui rendroit tous les avantages qu'il sembloit avoir perdus par sa longue absence, il se formoit contre lui-même une conjuration dans laquelle entroient tous les gens de bien que comptoit encore notre malheureuse patrie. Le tribunal du Châtelet instruisoit dans le silence le procès, qui devoit montrer dans toute leur difformité les assassins des 5 et 6 octobre. Il procéda d'abord avec une telle sagesse et une telle circonspection, que les orléanistes ne conçurent absolument aucune inquiétude sur la tournure que prendroit cette affaire. L'assemblée nationale et la municipalité avoient mis de telles entraves à l'instruction de la procédure, qu'on ne croyoit pas que les juges pusseni arriver à aucune découverte contre d'Orléans et ses principaux complices. la précaution qu'avoit eue le procureur de la commune de ne dénoncer que ce qui s'étoit passé dans la nuit du 5 au 6(i), feroit croire que le tribunal seroit dans l'impuissance d'instruire sur les faits qui s'étoient passés dans la journée du 5.

Le Châtelet demanda d'abord au comité

(1) Ce fait au reste est prouvé par une proclamation de la municipalité, où elle l'articule formellement.

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