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Ce sentiment est sur-tout fondé sur les dispositions patriotiques de tous les citoyens sur le zèle de la garde nationale parisienne, et de nos frères d'armes qui arrivent de toutes les parties du royaume; et comme les amis de la constitution et de l'ordre public, n'ont jamais été réunis en si grand nombre, jamais nous ne serons plus forts. »

Cette foible harangue, cette manière lâche et tortueuse de combattre le moderne Catilina, donne la mesure du génie et du caractère de la Fayette, sur-tout quand on se rappelle tout l'avantage que lui procuroient les preuves qu'il avoit recueillies contre son adversaire. Il suffiroit du peu de paroles qu'il prononça dans cette occasion, pour prouver qu'il étoit infiniment au-dessous du poste où il avoit eu la présomption de monter.

Les orléanistes n'eurent pas beaucoup de peine à vaincre un tel ennemi. « Dans le tems de l'ancien régime et sous le despotisme, s'écria le duc de Biron, le soupçon seul pouvoit empêcher un homme de demeurer en sûreté dans sa patrie; mais la liberté ne permet plus ces excès. M, d'Orléans a été soupçonné, il a été calomnié dans vingt libelles. Chargé en Angleterre d'une mission par le roi, je demande qu'il puisse revenir pour se justifier, et prendre part à la joie publique dans le grand jour qui se prépare. ».

« Si tous ceux, dit de son côté Duques

noy, contre lesquels on a répandu des libelles, s'étoient absentés, l'assemblée nationale seroit 'maintenant dissoute. M. d'Orléans s'est absenté parce qu'il avoit une mission du gouvernement; il vous en fit pert à Versailles, et l'assemblée lui permit d'aller la remplir. Lorsque dans la salle de l'archevêché M. de Menou vous a parlé de la justification de M. d'Orléans, vous avez déclaré n'y avoir lieu à délibérer; et quand il s'est agi d'absences, de congés de plusieurs députés, on a toujours demandé de passer à l'ordre du jour, et vous l'avez plusieurs fois décrété. Je demande que l'on passe aussi aujourd'hui à l'ordre du jour. >>

Duquesnoy fut exaucé sans qu'aucun royaliste réclamât. On envoya sur-le-champ le décret à d'Orléans qui, comme il l'avoit annoncé, le prit pour une autorisation de quitter l'Angleterre. Il ne tarda pas à revenir; c'étoit le 6 juillet que sa lettre avoit été lue, et dès le 11 au soir il parut dans l'assemblée nationale. Tout son parti l'accueillit avec de grands applaudissemens. Il demanda à prêter le serment civique, monta à la tribune, et fit cette question : « L'assemblée permet-elle que je fasse quelques réflexions avant de prêter men serment civique? Oui, oui! s'écrièrent avec empressement tous les membres du côté gauche. I lut alors le petit discours que je

transcris ici :

« Tandis que d'après la permission que

l'assemblée m'avoit donnée, et conforménient au vœu du roi, je m'étois absenté pour aller remplir en Angleterre une mission dont sa majesté m'avoit chargé auprès de cette cour, vous avez décrété que chacun des représentans de la nation prêteroit individuellement le serment civique dont vous avez réglé la formule, je me suis empressé alors, Messieurs, de vous envoyer mon adhésion à ce serment, et je m'empresse aujourd'hui de le renouveller au milieu de vous. Le jour approche où la France entière va se réunir solemnellement pour le même objet, et où toutes les voix ne feront entendre que des sentimens d'amour pour la patrie et pour le roi; pour la patrie si chère à des citoyens qui ont recouvré leur liberté; pour le roi si digne par ses vertus, de régner sur un peuple libre, et d'attacher son nom à la plus grande comme à la plus heureuse époque de la monarchie françoise. Ce jour, au moins je l'espère ainsi, verra disparoître pour jamais toutes les différences d'opinions et d'intérêts désormais réunis et confondus dans l'opinion et l'intérêt public. Pour moi, Messieurs, qui n'ai jamais fait de vœu que pour la liberté, je ne peux que désirer et solliciter de vous le plus scrupuleux examen de mes principes et de ma conduite dans tous les tems. Je ne puis avoir le mérite d'aucun sacrifice, puisque mes vœux particuliers ont toujours prévenu ou suivi vos décrets; et depuis long-tems, je peux le

diré, je portois dans mon cœur ce serment que ma bouche va prononcer dans le mo

ment.

« Je jure d'être fidèle à la nation, à la loi et au roi, et de maintenir de tout mon pouvoir, la constitution décrétée par l'assemblée nationale, et acceptée par le roi. »

Le prince fut vivement applaudi par les jacobins; son retour les enivra de joie, et les intrigues recommencèrent. C'étoit un beau moment pour les vues du prince, que celui où il reparoissoit à la tête de ses complices. Il eût infailliblement conquis la couronne qu'il ambitionnoit, s'il eût pu parvenir à mettre dans ses intérêts cette armée innombrable de députés qu'on avoit envoyés des diverses parties du royaume à Paris pour prêter dans le Champ-de-Mars le serment civique. Si au lieu de se confédérer pour cette constitution qui devoit mourir en naissant ils se fussent confédérés pour d'Orléans, les destinées de l'empire étoient peut-être fixées pour toujours.

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Mais le prince étoit arrivé trop tard; une telle œuvre de séduction ne pouvoit se consommer en deux ou trois jours. D'ailleurs, le choix de ces fédérés fut fort bon. Ils se montrèrent constamment sourds aux propositions qui leur furent faites par les orléanistes, et par le parti de la Fayette. Celui-ci qui, comme je l'ai dit, avoit son genre d'ambition, vouloit profiter de cette circonstance pour se faire revêtir d'une sorte de dictature

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soit encore

qui mît dans sa dépendance le roi, et qui l'armât d'une grande force pour protéger les artisans de la nouvelle constitution. Cette constitution dont il ne pouvoit se faire aucune idée, puisque personne ne la connoisétoit sa chimère. Il entendoit que la révolution ne seroit consommée que quand le royaume entier auroit été façonné aux nouvelles loix, et il désiroit rester jusqu'à cette époque investi de toute la force armée, afin qu'on crût que sans lui cette ré. volution ne se seroit jamais faite. C'est ce qui faisoit qu'il disoit quelquefois complaisamment: J'ai fait une révolution en Amérique; quand j aurai fini celle de France, j'en irai faire une troisième à Rome. Cette folie prouve toute la présoinption de cet homme qui en Amérique joua le rôle de spec tateur, et qui en France se trouvant à la tête d'une armée formidable, ne sut vaincre ni un d'Orléans, ni un Danton, ni un Marat, ni un Robespierre.

Les fédérés jugèrent très-bien et d'Orléans et la Fayette. Ils ne cessèrent de montrer pendant leur séjour à Paris, le plus tendre attachement au roi et à sa famille. Tous les soirs et bien avant dans la nuit, ils se réunissoient sous les fenêtres du château. Les uns chantoient des couplets à la louange du monarque; les autres faisoient retentir l'air des bénédictions qu'ils lui prodiguoient. J'ai été même témoin que plusieurs traçoient sur le papier les expressions de leur zèle et de leur

fidélité,

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