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ne voyoit les dangers que quand ils étoient présens, n'avoit rien su des menées qui s'étoient faites à cet égard. Il ne connut la détermination des conjurés que lorsqu'elle fut publique. Il essaya de s'opposer au retour du prince; son honneur y étoit intéressé; il avoit fait serment chez le duc de Coigay, chez le comte de Montmorin, et en présence du roi lui-niême, de ne jamais habiter la ville où se trouveroit d'Orléans, et de ne plus remettre le pied au château, si ce prince revenoit à Paris.

La Fayette d'ailieurs enivré des flagorneries de ses courtisans et de quelques journalistes, et pensant de bonne foi être l'idole de la garde nationale, se croyoit aussi être chef de parti. Il avoit son genre d'ambition; il imaginoit que l'assemblée nationale pour assurer l'affermissement de ses travaux, lui déféreroit, sinon le nom, du moins la puissance de protecteur de France. Il se flattoit que cette royauté dureroit jusqu'à ce que les peuples fussent accoutumés à l'empire des nouvelles loix. De-là vient qu'il s'étudioit principalement à augmenter son crédit dans la garde nationale, à caresser les députés qui avoient la confiance du peuple, et à convaincre le public qu'il étoit d'une absolue nécessité de laisser subsister pendant quelques années une puissance extraordinaire qui contraignît et le roi et la nation de se soumettre aux nouveautés constitutionnelles.

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Ces folles et ambitienses idées portoient la Fayette à regarder d'Orléans comme un rival d'autant plus dangereux, que le peuple sembloit se pousser vers lui plus volontiers que vers aucun autre chef de parti. Dans la conduite qu'il tint pour empêcher le prince de revenir en France, il agit véritablement en roi. Il dédaigna de recourir à l'autorité des ministres et même du monarque. Se regardant déja comme protecteur de France il dépêcha en son propre et privé nom, un envoyé à notre ambassadeur à Londres. Cet envoyé qui étoit un de ses aides-de-camp et qu'on appelloit de Boinville, eut pour instruction d'enjoindre à l'ambassadeur de France, d'ordonner à d'Orléans de rester en Angleterre. Cette manière d'agir est fort extraordinaire. Ce qui l'est bien plus encore c'est que l'ambassadeur qui ne devoit obéir qu'au roi son maître, obéit à la Fayette. Il se transporta accompagné de l'aide-de-camp Boinville, chez d'Orléans, et commanda à celui-ci de la part de la Fayette, de ne pas bouger de Londres.

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Le prince trouva ce procédé si nouveau que dissimulant la gaieté qu'une telle folie lui inspiroit, il pria et l'ambassadeur et l'aidede-camp de vouloir bien lui prouver qu'ils parloient sérieusement, et pour cela de mettre par écrit et de signer ce qu'ils venoient de lui dire. Ils n'en firent aucune difficulté, et qui plus est, ils laissèrent l'original de leur écrit entre les mains du prince. Celui-ci alors

riant aux éclats, s'égaya beaucoup aux dépens du protecteur la Fayette, et finit par dire à l'ambassadeur ainsi qu'à l'aide-decamp, qu'ils eussent à préparer les commissions dont ils voudroient le charger pour Pa-. ris, parce qu'il croyoit y être rendu sous peu de jours.

Il crut cependant nécessaire, d'après les avis que lui faisoient passer les conjurés, de se faire précéder par une sorte d'apologie. J'ai tout lieu de croire, sans pouvoir toutefois l'assurer, qu'elle fut rédigée par Voidel. Elle est foiblement écrite, et les raisonnemens en sont pitoyables. On l'intitula: Exposé de la conduite de M. le duc d'Orléans dans la révolution de France, rédigé par lui-même, à Londres.

Dans cet écrit le prince flagorne les Anglois, les Gardes-Françoises, l'assemblée nationale, les Jacobins qu'il désigne sous le nom de patriotes, et enfin les parisiens; il dit de ces derniers, que leur conduite fera l'admiration des ruces futures.

Il parle avec éloge de l'abbé Sieyes et du roi avec vénération.

Il repousse l'accusation d'avoir débauché les Gardes-Françoises et ensuite plusieurs autres corps militaires par ce raisonnement: Pour que j'eusse acheté les soldats, il auroit fallu qu'ils eussent été à vendre; or c'est leur faire injure de penser d'eux une semblable chose.

Il s'excuse d'avoir contribué au mouve

ment qui se fit le 14 juillet, en disant que la nuit qui suivit cette journée, il avoit couché dans sa maison de Mouceau qui est à la porte de Paris.

Il s'excuse également d'avoir influé en aucune manière sur les dangers que courut le roi le 16 juillet, lorsqu'il vint à l'hôtelde-ville de Paris, en disant qu'il n'avoit point été de la députation qui ce jour là accompagna le roi.

Il falloit que les auteurs de cette rapsodie Comptassent étrangement sur l'indulgence des lecteurs, pour croire qu'ils regarderoient de telles assertions comme des preuves convaincantes de l'innocence de d'Orléans.

Quant à ce qui est relatif aux attentats des 5 et 6 octobre, le prince dit que s'il fut vu dans l'avenue de Versailles entre deux cavaliers, c'est que ces deux cavaliers étoient une escorte qu'on lui avoit donnée sur la route, pour qu'il ne fût pas insulté. Il avoue qu'il passa à Paris toute la matinée du 5 octobre; qu'il se trouva à Versailles le lendemain matin, et qu'il étoit au château lorsqu'on vint avertir le public que le roi se décidoit à se rendre avec toute sa famille à Paris.

est remarquable qu'à l'occasion de ces forfaits des 5 et 6 octobre, d'Orléans nie formellement qu'il y eût eu un complot pour engager le roi à fuir; d'où il tire cette conséquence: Ce n est pas moi que cette calomnie outrage, c'est à-la-fois le monarque.

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et la nation. Pour preuve de sa dénégation, il ajoute Jamais le roi n'a manqué de confiance dans le peuple, ni le peuple dans le roi.

Sur l'accusation d'aspirer à la régence ou à la lieutenance-générale, il s'exprime ainsi: L'assemblée nationale décrétera sûrement qu'un régent, un Lieutenant-général sera responsable. Alors cette place toute éminente qu'elle seroit, devra moins exciter l'ambition que la crainte. Ce n'étoit pas là répondre à l'accusation; c'étoit au contraire lui donner de la vraisemblance, en convenant qu'il étoit question de régence et de lieutenance-générale même dans l'assemblée

nationale.

Dans cet écrit le prince avoua l'entrevue avec la Fayette chez le duc de Coigny; il confessa aussi qu'étant arrivé à Boulogne, un agent venu de Paris, engagea le peuple à ne pas le laisser partir. Il se tait au reste sur le véritable objet de sa mission dont il est clair que les conjurés n'eussent pas fait

un mystère, si elle eût été ou réelle ou honorable.

Cette apologie, bien loin de faire tomber aucun des soupçons qui entachoient le prince, leur donna par le peu de solidité avec laquelle eile étoit écrite, une nouvelle force at près de tous les esprits impartiaux. Quoiqu'elle fût répandue avec la plus grande profusión, elle tomba bientôt dans un entier oubli. C'est cette dernière considération qui

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