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a tellement changé la disposition des esprits, que les principales personnes d'un parti ne craignent plus de se dévouer au parti contraire, tandis que le peuple se défie de tout.

>> Ceux qui ne croient pas que le duc ait quelqu'affaire politique à traiter à Londres, regardent l'assertion de M. de Montmorin à l'assemblée nationale, pour motiver le départ du duc, comme un moyen controuvé pour donner un prétexte honnête et plausible à un voyage dont l'objet réel est de faire sortir le duc du royaume.

>> Ceux qui croient que le duc est réellement chargé de quelque négociation importante en Angleterre, sont vivement allarmés du secret de cette négociation. Ils craignent que le duc n'ait été gagné par la cour, et que sa mission ne soit de traiter avec l'Angleterre, pour en obtenir des secours, à l'effet de rétablir le pouvoir de la

couronne.

» Au total, chaque conjecture sur cette absence, ne tend qu'à augmenter les craintes des patriotes, et à répandre parmi eux les semences de l'animosité et de la discorde. »

Il est aisé de voir que ces réflexions n'étoient jettées dans le public, que pour engager d'Orléans à ne pas priver plus longtemps de sa présence le parti qu'il sembloit avoir abandonné. L'auteur de la feuille intitulée Daily Advertiser, essaya aussi d'allarmer le prince sur l'interprétation que ses

partisans pourroient donner à son éloignement. Cet auteur s'exprima ainsi :

Il est très extraordinaire que le due d'Or. léans ait choisi le moment présent pour revenir en Angleterre. Dans les commencemens des troubles en France, il parut être un des plus zélés partisans du peuple, et fut réputé pour avoir été un des principaux ressorts qui l'excitoient à faire de glorieux efforts en faveur de la liberté. Il eût été du devoir d'un vrai patriote, d'avoir travaillé à appaiser l'ardeur qu'il avoit si puissamment excitée, et d'avoir employé sa sagesse, son expérience et son autorité pour le complément d'une constitution qui doit tendre à établir les droits du peuple, et à assurer irrévocablement sa puissance.

En s'éloignant de France dans un temps où ses services politiques lui seront le plus nécessaires, il est à craindre que le duc d'Orléans ne donne lieu aux soupçons et aux inculpations les plus envénimées de l'envie et de la malignité. L'avenir seul pourra répondre que sa conduite n'a pas été fondée sur des principes qui ne lui donneroient des droits ni à l'affection du roi, ni à la reconnoissance du peuple. »

D'Orléans auroit dû, ce me semble, se faireun point d'honneur de persuader au pu blic, qu'il étoit en effet chargé auprès de la cour d'Angleterre, d'une mission honorable et importante. Ce souci n'entra point dans

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son ame; il ne parut à son ordinaire, occupé que de jeu, de bonne chère, de débauche, de courses de chevaux, et de tous ces vains amusemens dont la continuité et le bruit l'empêchoient d'écouter la voix de sa conscience. Sa première visite fut au prince de Galles qu'il vit à Carleton; il ne fut question là que de plaisirs. Le prince lui rendit sa visite; mais insensiblement cette liaison se refroidit, et se rompit pour ne se plus renouer.

Il fallut aussi que d'Orléans pour sauver les apparences, et remplir l'objet de sa prétendue mission, fut admis à l'audience du roi de la Grande-Bretagne; notre ambassadeur à Londres le présenta au monarque. Ce qui se passa dans cette entrevue, convainquit tout le monde' que de part et d'autre, on jouoit une comédie. On m'a assuré que George III noù-seulement n'avoit point adressé la parole au prince, mais n'avoit pas même daigné jetter les yeux sur lui. L'accueil que d'Orléans reçut de la reine d'Angleterre, ne fut pas plus flatteur. Chaque fois qu'il se montra à la cour, aussi longtems que dura son séjour à Londres, il recut du roi et de son auguste compagne, çut toutes ces marques de mépris qui pour être voilées par de justes ménagemens de politique, n'en sont pas moins très-intelligibles.

Le jugement d'un roi et d'une reine qui sur un des premiers trônes de l'Europe, ont constamment travaillé de concert à assurer l'empire des bonnes mœurs et la félicité de

leurs

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leurs sujets, par l'exemple et l'exercice des plus belles et de plus aimables vertus, sufțiroit seul pour déterminer l'opinion que la postérité doit se faire du rôle que d'Orléans a joué parmi nous. Ce jugement servit de règle à la conduite que tinrent envers ce prince, les hommes des meilleures maisons d'Angleterre, et ceux même d'entre les plébéiens qui s'étoient fait de justes notions sur les véritables vues des moteurs de nos trou-, bles. D Orléans ne conserva de liaisons qu'avec quelques gentilshommes du parti de l'opposition. La majeure partie du peuple Anglois le voyoit non-seulenient avec mépris, mais encore avec horreur,et l'accusoit hautement d'avoir été l'instigateur des attentats des 5 et 6 octobre. Chaque fois qu'il paroissoit à un spectacle ou à une fête publique les spectateurs l'obligeoient de proférer le cri de bénédiction que le peuple anglois prononce sur son roi: God save The King! Un tel cri étoit évidemment un reproche fait à ce prince d'avoir mis en péril les jours de son

roi.

Ces témoignages peu équivoques de l'horreur qu'il inspiroit, l'obligèrent enfin à renoncer à tous les plaisirs qu'il lui auroit fallu partager avec le public. Resté seul avec ses gens et quelques Anglois ou séduits, ou ses complices, ou intéressés à le pousser à sa ruine pour jouir de celle de la France, forcé de se dérober pour ainsi dire, à la vue du peuple, il finit par trouver le séjour de l'AnTome III.

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gleterre insupportable, et jura s'il parvenoit la quitter, de ne plus paroître chez une nation qui commençoit à son égard le jugement que prononceroient contre lui Dieu et la postérité.

Ainsi l'impatience de d'Orléans à revenir en France, étoit égale à celle qu'avoient tous les conjurés de l'y revoir pour ne plus le perdre. Ils craignoient toujours les conquêtes que le roi et la reine pouvoient faire parmi les Parisiens et leurs autres sujets. Ils pensoient que rien n'étoit plus propre que la présence du prince à empêcher que les François ne se rapprochassent de la famille royale; ils estimoient qu'étant sur les lieux, il jugeroit mieux des moyens qui pouvoient procurer cette harmonie, et auroit plus d'intérêt et d'ardeur à réunir tous ses efforts pour la rendre impossible.

Une autre considération les portoit à hâfer le retour du prince. Comme c'étoit pour lui que la faction excitoit journellement des désordres, il importoit qu'il fût présent au moment où il lui en faudroit recueillir le fruit. Les insurrections il est vrai, depuis qu'on n'avoit plus les subsistances, n'étoient que partielles, mais il n'en pouvoit pas moins sortir d'une de ces séditions un événement qui perdroit le roi, avec sa famille, et obligeroit de montrer à l'instant même au peuple, le prince qui devoit commencer une Rouvelle dynastie.

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Louis XVI de son côté, voyant que l'ab

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