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mille fois dans les beaux jours de sa fortune, soigner les malades de ses propres mains, et respirer pendant des heures entières, l'air empesté qui s'exhaloit du lit d'un mourant. L'exercice d'une si belle et si pénible vertu, doit bien racheter quelques taches. Les premières années de cette princesse n'en ont pas été exemptes; mais la calomnie les a infiniment trop exagérées; elles ne prenoient point leur source dans un cœur naturellement bien né, mais uniquement dans l'inexpérience et dans cette légèreté que donnoit aux personnes d'une certaine naissance, l'habitude d'obtenir tout ce qu'elles désiroient. Ce sera nu des torts de ce siècle, qu'une princesse dont la fortune avoit toujours été le patrimoine des indigens, ait été elle-même réduite parmi nous aux derniers excès de la pauvreté.

Elle erra dans la manière dont elle jugea d'abord la révolution. Amalgamant par une bisarre tour gure d'esprit, les rêves des politiques modernes, avec les vérités de la religion, elle regarda la déclaration des droits comme un second évangile. Mais elle s'en tint à son opinion, et refusa constamment de prendre aueune part aux changemens qui se préparoient. Seulement étant vigement sollicitée par sa section lors de la fédération de 1790, d'écrire aux princes émigrés pour les inviter à rentrer, elle condescendit à ce désir, sachant très-bien que sa prière comme il arriva, ne seroit point exaucée.

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Elle se dissimula long-tems le but auquel marchoit d'Orléans. Quand on lui disoit que son frère ambitionnoit la royauté, elle répondoit non, il n'aime que son plaisir, que la débauche, que l'indépendance. Cependant elle n'avoit avec lui aucune sorte de relation, et dans tout le cours de la révolution, elle ne l'a pas vu six fois, quoiqu'elle visitât sa belle sœur.

Mais les derniers événemens l'éclairérent sur les vues coupables de son frère. Alors elle cessa absolument de se regarder comme sa sœur, et le traitoit hautement de scélérat. I osa lui demander une entrevue au commencement de mars 1793; elle y consentit d'abord; mais sachant qu'il se proposoit de lui demander d'être médiatrice entre lui et son épouse, pour engager la duchesse d'Orléans à divorcer, elle retira sa parole, et refusa absolument de le voir.

A la même époque, elle se rendit à PetitBourg, résolue d'y passer le reste de ses jours. Elle ne vit plus personne, mit dans sa con duite et ses opinions la plus grande sagesse, et n'eut d'autre souci que de dérober aux yeux du public ses actes journaliers de bienfaisance. Lorsqu'elle apprit que les propriétés étoient menacées, elle assura à chacune des personnes attachées à son service, le fond de ses gages et pensions, se réservant pour elle-même une somme annuelle de vingt mille liv., et fit offre à la convention nationale du

surplus qui se montoit à dix ou douze millions.

Elle montra beaucoup de grandeur d'ame et de courage, lorsqu'elle fut arrachée de sa retraite, et du milieu des malheurenx dont elle étoit la bienfaitrice, pour être conduite dans les prisons de l'Hôtel-de-la-Force, et traînée ensuite dans celles de Marseille. Ses malheurs alors furent à leur comble. Il n'est peut-être personne qui ait plus enduré que. cette princesse de souffrances morales et physiques. Elle trouve aujourd'hui dans une piété éclairée la force et les consolations que ne peuvent donner les vains discours des philosophes. Ainsi en considérant avec impartialité la vie de la duchesse de Bourbon, on y trouvera infiniment plus à louer qu'à blâmer; et les fautes de ses premières années, bien loin de paroître des taches, doivent être de nouveaux titres pour lui assurer l'estime publila vertu en effet semble tirer de l'éclat que des erreurs mêmes qu'elle expie.

Sa gloire en est plus belle, et s'accroît tous les jours.

J'ai cru que ces détails sur la famille de d'Orléans ne déplairoient pas, et ne seroient point déplacés dans l'histoire de la vie publique de ce prince. Je me proposois aussi de dire en terminant cet écrit, dans quel état se trouvoit depuis sa mort la monstrueuse conjuration dont il avoit été le chef. Il s'en

faut de beaucoup que les espérances de ses complices soient détruites; ce qu'on faisoit pour lui de son vivant, on tente aujourd'hui de le faire pour le duc de Chartres son fils aîné. Il y a toujours et en France et en Europe, une nombreuse classe d'hommes qui ne quittent point l'idée que notre révolution doit se terminer par un changement de dynastie. Des calvinistes, des hommes de toutes les sectes, des personnages considérables d'anciens ministres, des généraux d'armée, des membres de notre première assemblée nationale entrent dans ce complot. C'est une vérité dont personnellement je ne puis pas douter; je dirai plus : un club établi à Morat en Suisse est le foyer de cette conspiration.

Mais les machinations que j'aurois à dévoiler, les correspondances que j'aurois à révéler pour mettre cette vérité dans tout son jour, m'entraîneroient dans un nouveau récit qui donneroit beaucoup trop d'étendue à cet ouvrage, auquel d'ailleurs il paroît étranger, car je ne m'y suis proposé que de raconter la part que d'Orléans a eue personnellement aux malheurs de notre patrie. Les menées que font encore ses complices après sa mort, doivent être la matière d'un autre écrit. Je me borne donc en finissant, à adjurer tous les amis de notre malheureuse France, de se tenir en garde contre les nou veaux forfaits que pourroit engendrer une conjuration qui n'a nullement été étouffée

par le supplice de son chef. S'il pouvoit se faire que quelqu'un de la race de l'infâme Philippe régnât sur nous, notre honte et nos désastres seroient à leur comble. Jurons de nous ensevelir sous les ruines de notre patrie, plutôt que d'endurer cet opprobre qui nous laisseroit sans excuse auprès de la postérité.

CONCLUSION

DE CETTE

HISTOIRE.

S'IL est un spectacle digne d'être profondément médité, c'est celui qu'offrent les Empires au moment de leur chute. Ces grands corps n'ont sans doute pas plus que les individus, le privilège de l'immortalité. Tout ici bas est sujet au changement, à la dissolution, à la mort; la divinité seule est immuable. Une nation naît, s'accroît, s'élève, tombe et périt: voilà le cercle que le doigt de l'Eternel trace aux sociétés humaines. Parmi cette foule de peuples qui ont tour-à-tour couvert ce globe, il en est dont le nom même a été dévoré par le néant.

Mais s'il est impossible au législateur, de préserver ses institutions des ravages du tems, il ne l'est pas aux maîtres du monde, de. donner à la grande famille dont la conservation leur est confiée, un haut dégré de fortune, de lui donner même peut-être la durée du monde.Il est en effet des renièdes à toutes

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