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eût été le plus heureux et le plus envié des hommes. Il aima le crime, et cette même opulence, ces mêmes grandeurs contribuerent à en faire le plus misérable, le plus odieux des hommes; elles furent comme les instrumens qui le traînèrent du palais de ses ayeux dans une prison, et de cette prison sur un échafaud.

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On peut d'autant moins s'empêcher de gémir sur cette longue et lamentable suite de forfaits qui ont couvert d'Orléans de tant d'opprobres, et l'ont poussé au dernier málheur, que peut-être sans les amis pervers dont il s'environna dès sa jeunesse, et qui firent si je puis parler ainsi, entrer le crime par tous les pores dans son ame, il eût joué parmi nous un autre rôle. Il eut en effet quelque conformité avec cet autre d'Orléans si connu sous le nom de Gaston, dont le cardinal de Retz nous a tracé le portrait en ce peu de mols: Il entra dans toutes les affaires parce qu'il n'avoit pas la force de résister à ceux qui l'y entraînoient, et il en sortit toujours avec honte parce qu'il n'avoit pas le courage de les soutenir. Ce dernier trait sur-tout convient parfaitement à d'Orléans.

Mais ce prince différa essentiellement de Gaston par son impudenee ainsi que par son mépris pour l'estime publique. Quoiqu'il sût parfaitement que Louis XVI et la famille royale n'avoient depuis le massacre des gardes.

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du-corps, nul doute sur ses vues, il ne cessa de venir à la cour toutes les fois qu'il sembloit être de son devoir de s'y monirer. Ily paroissoit tous les jours où l'on faisoit ce qu'on appelloit sallon, et dans les grandes fêtes où Louis XVI mangeoit en public. I assistoit également à la tenue du chapitre de l'ordre du Saint-Esprit; à la dernière cérémonie de ce genre qui eut lieu, il ne se plaça point non plusque son fils au rang des princes; il suivit l'ordre de sa réception, et par cet arrangement le duc de Chartres se trouva à la dernière place.

Ceux qui connoissoient les desseins sinistres de d'Orléans, et les pensées criminelles qu'il ne cessoit de rouler dans son esprit, ne concevoient pas comment il osoit se mêler aux courtisans qui venoient rendre leurs hommages au monarque. C'étoit en quelque sorts braver ce roi malheureux. Jamais en effet on n'avoit vu un tel excès d'impudence. Mais ce qui paroissoit plus inconcevable encore, c'étoit la stupide stoïcité avec laquelle d'Or léans dévoroit les affronts que les personnes du château ne manquoient jamais de lui prodiguer, dès qu'elles l'appercevoient parmi elles.

Un jour entr'autres, comme il arrivoit au moment où l'on faisoit le service de la table, le public qui savoit qu'il n'avoit nulle délicatesse sur l'article du vol, cria unanimement aux personnes du service: prenez garde à vos plats; voilà le duc d'Orléans! Ea

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même tems la foule l'environna, et le poussa assez brusquement sur l'escalier. Un particulier qui venoit derrière lui, affecta de lui marcher à diverses reprises sur les talons. D'Orléans ne pouvant résister à la douleur, se tourna enfin, et dit à ce particulier : Estce que vous avez monsieur l'intention de m'insulter? En doutez-vous, répondit celui-ci? Et que faut-il faire de plus pour vous en convaincre ? D'Orléans alors appercevant la Fayette, lui dit : Monsieur, je vous en prie, donnez-moi main-forte pour me garantir des insultes qu'on me fait. La Fayette souriant, cria à quelques gardes nationales: Messieurs, défendez Monsieur, qui ne sait pas se défendre lui-même. (1)

Tandis que cette scène se passoit sur l'escalier, les laquais qui étoient dans les cours frappoient à coups de bâtons le cocher du prince, et lui reprochoient d'appartenir à un tel maître. Ces outrages glissoient sur l'ame de d'Orléans, et ne l'empêchoient pas de reparoître quelques jours après au château pour en recevoir de nouveaux.

Je n'ai pas besoin de dire que ni le roi, ni la reine, ni aucune des personnes de la famille royale ne lui parloient dans ces occa

(1) Eh! la Fayette a-t-il mieux su se défendre luimême ? N'a-t-il pas mérité, et la postérité ne lui Conservera-t-elle pas le surnom de Gilles Premier que lui avoit donné le feu duc de Choiseul ?

sions solemnelles qui l'attiroient à une cour, d'où s'il eût eu quelque pudeur, il se seroit exilé de lui-même dès les premiers orages de la révolution. Quelques jours avant le 10 août, il eut l'insolence de demander à Louis XVI un rendez-vous. Le monarque le lui donna en public, et lui permit de l'entretenir dans l'embrasure d'une fenêtre; l'entre- * tien se fit à voix basse, et dura un quart d'heure; on remarqua que chaque réponse du roi étoit accompagnée d'un signe de mépris.

La famille de d'Orléans se trouve composée au moment où j'écris, de Louise, Marie, Adélaïde de Bourbon, sa veuve, des ducs de Chartres et de Montpensier, du comte de Beaujolois, ses trois fils, d'une princesse sa fille, qui portoit le titre de Mademoiselle, et de Louise-Marie-Thérèse Batilde, duchesse de Bourbon sa sœur.

Toute cette famille est dans ce moment dispersée. De Chartres et sa sœur errent dans la Suisse; ses deux frères, la duchesse d'Orléans et celle de Bourbon sont en France. On a vu par ce que j'ai dit dans le cours de cette histoire des trois fils de d'Orléans, que le seul comte de Beaujolois donnoit des espérances; mais il est possible que les dures leçons de l'adversité ayent jetté des germes beureux dans les cours des deux aînés, et. purifié le sang qui coule dans leurs veines. La princesse leur sœur est peut-être de toutes les personnes de cette famille, celle dont on

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doit le plus déplorer le sort. Livrée à l'intri gante Sillery, elle réunit au malheur de sa naissance, celui d'une éducation empoisonnée. Agée au plus de dix-huit ans, il seroit encore tems pour elle, sinon de connoître le bonheur, du moins de guérir les plaies qu'ont pu faire à son ame des exemples impurs et des leçons empestées; mais il faudroit pour cela qu'elle s'arrachât des bras de sa perfide institutrice.

Je n'ajouterai également rien à ce que j'ai déjà dit de la duchesse d'Orléans. Ses malbeurs, si peu mérités, sa résignation, sa douceur, sa bienfaisance lui ont concilié la vénération de ses contemporains, et lui vaudront l'estime de la postérité. L'histoire sera juste et indulgente à son égard; elle ne lui reprochera même pas d'avoir en quelques occasions, poussé peut-être trop loin la complaisance pour l'indigne époux sur lequel elle n'avoit dans le fond d'autre autorité que celle de l'exemple.

Quant à la duchesse de Bourbon., sa sensibilité, des chagrins domestiques, une piété mal entendue, ses liaisons avec une fille visionnaire, appellée Suzanne Courselle de la Brousse, et un chartreux apostat, appellé dom Gerles, en ont fait depuis long-tems un être infiniment malheureux. Son caractère est bon, généreux, et l'hospice qu'elle a fondé sera un monument éternel de sa tendre compassion pour les malheureux. On l'a vue

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