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couriers qui alloient et venoient de Paris à Londres à cette époque ?

>> Non.

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» Pendant votre séjour à Londres n'avez-vous pas été lié avec des créatures de Pitt?

>> Non; j'ai vu Pitt parce que j'avois des lettres à lui remettre.

Navez-vous pas eu des liaisons avec des Anglois résidans en France depuis 1790? » Je ne le crois pas.

>> Les raisons du voyage de votre fille n'avoient elles pas pour but de la marier à quelque prince de la maison d'Angle

terre ?

» Non.

>> Quels ont été les motifs de votre prétendue mission en Angleterre?

» C'est que l'on savoit que j'étois très-lié avec le parti de l'opposition, et il s'agissoit d'entretenir la paix avec l'Angleterre à cette époque.

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» Avez vous eu connoissance des manoeuvres de Dumouriez avant que sa trahison eût éclaté?

» Non.

>> Comment pensez-vous faire croire aux citoyens jurés que vous ignoriez les manœu vres de ce scélérat, lui qui étoit votre créature, vous dont le fils commandoit sous ses ordres, et qui a fui avec lui en partageant sa trahison envers le peuple françois, vous

qui aviez votre fille près de lui, et qui entreteniez des correspondances avec lui?

» Je n'ai jamais reçu de lui que deux ou trois lettres qui ne rouloient que sur des choses très-indifférentes.

>> Pourquoi dans la république souffriczvous que l'on vous appellât prince?

» J'ai fait ce qui dépendoit de moi pour l'empêcher; je l'avois même fait afficher à la porte de ma chambre, en observant que ceux qui me traiteroient ainsi seroient condamnés à l'amende en faveur des pauvres.

» Quelles étoient les vues des grandes largesses que vous avez faites pendant la révolution?

» Je n'ai point fait de grandes largesses; j'ai été assez heureux pour soulager mes concitoyens indigens au milieu d'un hiver rigoureux, en vendant une petite portion de mes propriétés. »

Tel fut l'interrogatoire qu'on fit subir à d'Orléans. On voit que Fouquier-Tainville dédaigna de s'y servir des avantages que pouvoit lui donner la vie toute criminelle de l'accusé; c'est que dans ce monstrueux tribunal où Fouquier faisoit les fonctions d'accusateur public, on ne tenoit aucun compte ni des interrogatoires ni des formes; il s'y agissoit seulement de mettre à mort.

Lorsque l'interrogatoire de d'Orléans fut fini, Voidel demanda qu'il lui fût permis de faire entendre en faveur de son client, des témoins justificatifs. Cette faveur étant ac

cordée, ces témoins justificatifs se réduisirent à un seul appellé Claude Agoust, officier de paix. Ce témoin unique raconta qu'il tenoit d'une femme qu'un particulier avoit été porteur d'une épée empoisonnée pour assas siner le citoyen Egalité; que lui officier de paix avoit pris le signalement de ce particu lier et recommandé à l'accusé de se plastroner crainte d'événement; que celui-ci lui avoit répondu qu'il se tranquillisât sur son compte, attendu que si le particulier venoit, il lui brûleroit la cervelle.

Pour donner quelque crédit à cette petite fable qui au fond ne prouvoit pas que d'Orléans ne fût très - coupable, il auroit fallu produire la femme qui l'avoit racontée; elle ne parut pas. Quant au porteur de l'épée empoisonnée, Agoust dit qu'il étoit à Gênes.

Cet Agoust ajouta que le citoyen Egalité lui avoit dit un jour, qu'il ne vouloit pas être roi, qu'il n'en falloit pas. Voidel en déterrant ce seul témoin n'avoit pas fait là une découverte fort heureuse pour son client. On l'entendit ensuite lui-même. Son plaidoyer fut long, mais extraordinairement foible. Il insista sur-tout beaucoup sur le voyage que la fille de d'Orléans avoit fait en Angleterre vers la fin d'octobre 1792, et en ne voit pas pourquci il mettoit une si haute importance à ce voyage. Il dit que la marquise de Sillery n'avoit pas voulu le faire sans être accompagnée de deux chauds patriotes, et qu'en conséquence d'Orléans avoit ordonné à

lui Voidel et à Pétion d'accompagner cette femme; ce qu'ils avoient fait.

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Au lieu d'insister à laver d'Orléans de toute relation avec Dumouriez, Voidel perdit son tems à déclamer contre celui-ci et à maudire sa trahison. Il est, s'écria-t-il l'auteur de tous les malheurs arrivés à la famille de mon client; il a égaré l'esprit du jeune Egalité, et l'a engagé à s'expatrier avec lui, tandis que la femme Siilery d'un autre côté pervertissoit l'opinion de sa sœur qui est à errer avec elle. L'accusé ici présent a été long-tems sans savoir ce que sa fille étoit devenue; ce n'est que depuis peu de jours qu'il a appris qu'elle étoit dans un hôpital en

Suisse. »

Voidel fit aussi beaucoup valoir les sacrifices que son client avoit faits à la révolu tion, et qui avoient dévoré toute sa fortune. C'est, dit-il à ce sujet, qu'il a toujours été ami de la liberté, qui d ailleurs étoit son seul élément. Il parla également beaucoup de la haine que les royalistes portoient à l'accusé. » Ils ne pouvoient pas, dit-il, le souffrir; il étoit leur plus mortel ennemi, et si la contre-révolution avoit pu avoir lieu, ils n'auroient pas manqué de le faire périr. » Cette dernière assertion n'étoit pas bien exacte si la contre-révolution eût pu avoir lieu, et que les délits de d'Orléans eussent été jugés impardonnables, c'eût été la justice seule qui l'eût fait périr. Que les royalistes

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au reste eussent fait périr d'Orléans, la chose ne paroissoit nullement extraordinaire, mais que ceux-là pour qui il avoit tout fait, et dont il s'étoit servi pour commettre des milliers d'assassinats l'envoyassent eux mêmes à l'échafaud, il y avoit là quelque chose de surnaturel.

Enfin Coustard et son défenseur ayant été entendus à leur tour, Herman qui présidoit le tribunal, rendit le fatal jugement en ces

termes :

« Le tribunal d'après la déclaration unanime du jury, portant que Louis-PhilippeJoseph Egalité, ci-devant duc d'Orléans, et Anne-Pierre Coustard, ex-députés à la convention nationale, sont convaincus d'être les auteurs ou complices de la conspiration qui a existé contre l'unité et l'indivisibilité de la république, contre la liberté et la sûreté du peuple françois, condamne lesdits Egalité et Coustard à la peine de mort. »

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Coustard en entendant ce terrible arrêt perdit toute force et tout courage. Quant à d'Orléans il n'en parut ni étonné ni ébranlé; il s'écria d'une voix forte: Eh bien ! marchons tout de suite. Il descendit d'un pas ferme les gradins de l'estrade où il étoit assis, et s'avança la tête haute dans la pièce où les exécuteurs l'attendoient. Il ne donna à leur vue aucun signe de foiblesse. Il eut pour compagnons de son supplice Coustard et trois autres infortunés que le tribunal avoit

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