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cienne gaîté, et lui firent leurs adieux en ces

termes;

Tonjours sur l'humide élément,
D'Orléans a fait des merveilles ;
Et le grand vainqueur d'Ouessant
Va, dit-on, ramer à Marseille.
à la liberté

Rendons grace

Qu'il va purter sur nos galères;
Un amant de l'égalité

N'y peut rencontrer que des frères.

Les jacobins cependant ne savoient trop que penser de la détention du prince. Robespierre seul en avoit le secret, et profondément dissimulé, il ne le disoit à personne. Desfieux qui présidoit la caverne des jacobins, témoigna qu'il ne concevoit rien à la rigueur dont on usoit envers d'Orléans, car en vérité, ajouta-t-il, je crois qu'il n'existe contre lui aucune preuve.-- Pour moi, dit Marat, j'ignore si d'Orléans est criminel de lèse-nation; mais ce que je sais fort bien, et ce que je persiste à dire, c est que Buzot est son homme d'affaires.

Quelques jours après la translation des prisonniers, Robespierre qui commençoit par s'emparer de nos propriétés, pour avoir ensuite notre vie, fit séquestrer tous les biens de la maison de d'Orléans, et un décret ordonna que ce prince et Montpensier son second fils, seroient traduits devant le tribunal criminel du département des Bouches-du

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Rhône. Si l'on avoit connu dès-lors toute la noirceur de la politique de Robespierre, on auroit jugé que d'Orléans, son épouse et Montpensier leur fils, étoient destinés à la mort, afin que l'immense fortune de cette famille devint une propriété nationale. Le duc de Chartres étant hors de la loi par son émigration, n'apportoit aucun obstacle à cette spoliation. Quant au jeune Beaujolois, Robespierre disoit sans doute en lui-même de cet enfant, ce que Chabot avoit dit tout haut dans la convention nationale du fils de Louis XVI: c'est à l'apothicaire à en purger la France.

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Cette affaire fut la seule que Robespierre conduisit avec une sorte de sagesse. Il laissa les parisiens, les jacobins, les diverses factions se livrer à toutes les sortes de conjectures, mais lorsque par l'emprisonnement et la mort d'une foule de députés et d'hommes de tous les partis, il se fût rendu maître absolu de la chose publique, il commença agir, et encore en agissant, il s'enveloppa dans des ténèbres si épaisses, que nul homme en France ne put deviner où il vouloit aller. Ce secret et cette dissimulation furent portés au point que l'on commença à craindre qu'il n'y eût dans tout cela une machination au moyen de laquelle d'Orléans quand il le fau-, droit, sortiroit vainqueur de sa prison, et occuperoit le trône. De manière que dans l'incertitude de savoir si Robespierre se proposoit d'être ou son sauveur, ou son bour

reau, on se tut absolument sur le compte du prisonnier, et le bien et le mal qu'on en diroit, pouvant également le conduire à l'échafaud.

Il paroît que d'Orléans lui-même n'auguroit point mal de sa position. Il avoit passé les premiers jours de sa détention à Marseille à se désespérer. L'espoir sembla ensuite renaître dans son ame. Il profita alors des adoucissemens qu'on lui procuroit dans sa prison pour se livrer avec fureur à toute la brutalité de ses anciens goûts. Dépourvu dé tous ces talens agréables qui charment les loisirs d'un prisonnier, incapable d'aucune sorte d'application, il passoit ses journées à se gorger de viandes, de vins, de liqueurs avec les prostituées que son argent attiroit auprès de lui. Ses gardiens qui ne savoient pas si leur prisonnier ne seroit pas un jour leur maître, n'osoient contredire aucune de ses fantaisies.

La vie qu'il menoit dans sa prison étoit si licentiense, si hideusement scandaleuse, que le prince de Conty qui partageoit la même prison, ne put y tenir. Il écrivit à la convention pour s'en plaindre, et lui représenter qu'il préféroit la mort au supplice d'être sans cesse en face de ce monstre; il demandoit en conséquence sa translation dans une autre prison. On n'eut point dégard pour sa demaude. Le jeune Montpensier de son côté écrivoit à ses amis de Paris avec beaucoup de

naïveté, et très-peu de respect sur les mœurs dissólues de son père.

Le prince comme le vouloit le décret dont j'ai parlé plus haut, parut enfin devant le tribunal criminel du département des Bou-. ches-du-Rhône. Les membres de ce tribunal, qui comme les gardiens de d'Orléans, igno roient les vues ultérieures qu'on avoit sur l'accusé, et qui ne recevoient à son sujet nulle instruction de Paris, le déchargèrent honorablement de toufe accusatios; mais il ne fut point élargi, parce qu un arrêté du comité de salut public le défendoit, quoiqu'il plût aux juges de prononcer.

Des qu'on eut à Paris la nouvelle de cette absolution, on commença à y craindre sérieusement qu'il ne fût question de faire proclamer d'Orléans roi dans le Midi. Mais Robespierre qui ne disoit point encore son secret, et pour qui l'axiôme non bis in idem n'étoit pas plus sacré que toutes les autres maximes de justice, rit en lui-même du jugement prononcé par le tribunal provençal. Le prince écrivit à la convention pour deman der son élargissement; pas une seule réflexion Le suivit la lecture de sa lettre qui fut repoussée par l'ordre du jour.

Voidel d'autre part, quoiqu'il pressentit que le silence de Robespierre cachoit un dessein sinistre, osa publier une apologie du prince; il en placarda les murailles de Paris; on lut l'affiche, on leva les épaules, et Robespierre continua à se taire.

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Il y avoit six mois que d'Orléans végétoit dans les prisons de Marseille, lorsqu'enfiu Robespierre dit un premier mot,encore ne sut-on que penser de ce premier mot. André Amar, le premier, le plus servile et peut-être le plus farouche ministre de ses vengeances, monta dans la tribune de la convention, et y lut un acte d'accusation contre plusieurs de ses collègues. Cette pièce est si longue, que l'extrait que j'en présenterois feroit lui-même un volume; d'ailleurs, elle est à-peu-près étrangère à mon sujet; car Amar n'y articula absolument rien contre d'Orléans. Si j'en parle, c'est uniquement parce qu'elle servit de bâse au second procès que subit ce prince. Fouquier-Tinville, accusateur public auprès du tribunal révolutionnaire, ne produisit contre lui d'autre acte d'accusation que celui lu à la convention par Amar; ce qui est d'au tant plus singulier, que comme je viens de le dire, cette pièce n'étoit pas dirigée contre d'Orléans; mais sous le règne de Robespierre, il n'y eut parmi nous que singularité et bizarrerie; peu lui importoit ce qu'on penseroit de sa tyrannie, pourvu que les bras des bourreaux fussent continuellement en exercice.

Cet acte d'accusation au resie n'étoit ni mal rédigé, ni saus logique, et on y prouvoit assez bien par des faits et des écrits, que ceux qu'il frappoit, n'avoient voulu en parlant de république que donner à la France ua maître, et que tous avoient été ardens

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